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« La défaite de l’OTAN en Afghanistan est le résultat d’une stratégie erronée et d’une vision du monde biaisée »

Le général Joseph Dunford, alors chef de l’état-major interarmées, sur la base américaine de Bagram, au nord de Kaboul, le 24 décembre 2017. Le général Joseph Dunford, alors chef de l’état-major interarmées, sur la base américaine de Bagram, au nord de Kaboul, le 24 décembre 2017.

Si la victoire des talibans dans les prochains mois n’est que probable, notre défaite a été actée par la déclaration de Joe Biden annonçant le retrait total des troupes américaines pour le 11 septembre. Malgré un discours convenu sur la « victoire » américaine, aucun des objectifs fixés il y a vingt ans n’a été rempli : des centaines de militants d’Al-Qaida sont présents sur le sol afghan, l’organisation Etat islamique s’est implantée en 2014, les élections ont été depuis longtemps discréditées par des fraudes massives, les élites afghanes sont corrompues au-delà de toute description, la principale ressource de l’économie est la drogue, etc.

Les rares avancées − droit des femmes, liberté des médias − sont menacées depuis plusieurs années et disparaîtront rapidement avec le retrait définitif des forces occidentales. Comment la première alliance militaire du monde, l’OTAN, a-t-elle pu perdre cette guerre malgré un investissement de plus de 2 000 milliards de dollars, plus de 3 000 soldats tués et des dizaines de milliers blessés ? Le débat public est maigre, car cette défaite, dont nous subirons les conséquences dans les mois et les années à venir, ne passionne guère les opinions publiques.

Demande d’Etat

Il est alors facile de renvoyer notre échec à une exceptionnalité afghane. Après tout, l’Afghanistan n’est-il pas le « cimetière des empires » ? A l’inverse de ces poncifs, nous pensons que cette défaite, comme la débâcle en Syrie, en Irak et en Libye, est le résultat d’une stratégie erronée, d’une vision du monde biaisée et de mécanismes d’intervention inefficaces. Cinq éléments paraissent ici essentiels.

D’abord, le prêt-à-penser de la coalition a fait de l’Afghanistan un pays tribal, localiste dans ses intérêts, fondamentalement apolitique et allergique à l’Etat. D’un pays traversé par des courants révolutionnaires, soumis à une transformation sociale très rapide – multiplication des déplacés internes et des réfugiés, urbanisation rapide, naissance d’une classe moyenne urbaine –, les Occidentaux n’ont retenu que l’image d’un Afghanistan « traditionnel » et rétif à toute autorité étatique. Or ce qui nous a frappés est, au contraire, la demande d’Etat qui s’exprime en Afghanistan, en particulier la justice et la police, que la coalition n’a malheureusement jamais considérées comme une priorité.

Ensuite, la coalition n’a jamais fait l’effort de comprendre l’insurrection. Les qualificatifs qui lui étaient appliqués − « tribale », « ethnique », « archaïque », « moyenâgeuse » − par la plupart des experts et des militaires signalaient une méconnaissance tragique de la réalité de ce mouvement. En particulier, l’organisation d’un système judiciaire alternatif, la rotation des cadres entre les régions, l’efficacité de la propagande à destination de la population afghane auraient dû alerter les responsables militaires et politiques du potentiel de l’insurrection dès 2003.

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