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En Ethiopie, le ressentiment monte contre le premier ministre Abiy Ahmed parmi les miliciens amhara

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A Sanja, en novembre 2020, dans la région éthiopienne Amhara, miliciens Amhara combattant aux côtés des troupes du pouvoir central contre les séparatistes tigréens du TPLF. TIKSA NEGERI / REUTERS

Dans les rues de Gondar, ancienne cité impériale éthiopienne située en région Amhara, les célébrations de L’Épiphanie orthodoxe réunissent, comme chaque année en janvier, des centaines de milliers de pèlerins. Minas Alemayehu se contente de regarder l’interminable procession depuis la terrasse de son bar. Pour une fois, ce chef Fano, comme sont nommés les miliciens nationalistes amhara, ne participe pas aux manifestations de Timkat.

Le quadragénaire n’a pas le cœur à la fête. « Je suis en période de deuil, nous avons perdu sept de nos camarades au front », affirme-t-il. Sa chemise ample laisse entrevoir ses nombreux tatouages et les stigmates de la guerre. Minas Alemayehu a été touché deux fois pendant les combats de 2021. « La guerre est tout sauf terminée », lâche-t-il à propos du conflit qui oppose depuis plus d’un an le gouvernement fédéral d’Abiy Ahmed et ses alliés amhara et érythréens, aux Forces de défense tigréennes (TDF).

Célébrés en héros

En septembre, les insurgés s’étaient approchés à 100 km de Gondar, avant de se replier, en décembre, dans leur province du Tigré, qui borde la région Amhara. Bien qu’épargnée par les combats, la cité sacrée vit toujours au rythme de la guerre civile. Le front se trouve à moins de 200 km et l’hôpital continue de recevoir quotidiennement des blessés qui s’entassent dans un immense gymnase. Les miliciens et soldats en armes qui patrouillent dans les rues à l’occasion de Timkat sont célébrés en héros. Les Fano sont de loin les plus acclamés et arborent parfois leurs kalachnikovs au milieu des pèlerins.

INFOGRAPHIE LE MONDE

Cette liesse populaire a quelque chose de trompeur à l’heure où les miliciens amhara s’interrogent sur leur collaboration avec les autorités fédérales. Plusieurs mesures récentes du premier ministre ont semé le trouble dans leurs rangs. Le 7 janvier, Abiy Ahmed a ainsi gracié des cadres du Front populaire de libération du Tigré (TPLF), la matrice politique dont est issue l’insurrection tigréenne et qui a dominé la vie politique éthiopienne pendant près de trente ans.

Cette décision a provoqué la colère des alliés amhara du leader éthiopien, certains parlant même de trahison. « Notre priorité est que le TPLF soit complètement anéanti, assure Demwoz Kassie, l’un des représentants du NAMA, un parti nationaliste proche des Fano qui considère le TPLF comme l’ennemi historique des Amhara. Jamais, non jamais nous ne négocierons avec eux ! »

« Nettoyage ethnique »

Autre inquiétude des nationalistes amhara : le sort du Wolqayt et de Raya. Deux territoires fertiles dans l’ouest et le sud du Tigré, disputés de longue date entre les deux régions. Depuis fin 2020, ces terres stratégiques, aussi bien économiquement que militairement, sont contrôlées par les autorités amhara et les miliciens Fano. Des dizaines de milliers de Tigréens en ont été expulsés de force au cours d’opérations qualifiées par les Etats-Unis de « nettoyage ethnique ».

« Ces terres doivent être annexées à notre région car elles sont amhara, affirme Demwoz Kassie. Négocier sur ce sujet est une ligne rouge que le gouvernement ne doit pas franchir ! »

A Addis-Abeba pourtant, la future administration des deux territoires n’est toujours pas tranchée. Le gouvernement a par ailleurs demandé aux miliciens nationalistes de quitter les lieux début janvier, renforçant leur méfiance.

« Nous continuerons à nous battre jusqu’au bout pour le Wolkait », déclare Negest Yirga, une combattante historique des Fano, qui évoque un conflit d’intérêt avec le premier ministre. « Nous n’avons pas peur du gouvernement car nous savons quels sacrifices nous avons réalisés pour récupérer nos terres », défie-t-elle.

Renfort de poids

Les alliés d’hier pourraient-ils finir par s’affronter ? Le premier ministre est-il tenté de marginaliser des partenaires devenus trop encombrants ? Des réunions de conciliation entre Fano et autorités fédérales à la mi-janvier semblent avoir apaisé les esprits. Mais une autre rencontre dans la foulée, uniquement entre miliciens amhara, a débouché sur l’annonce de la création prochaine d’un commandement Fano uni. Une façon de coordonner les différents groupements de combattants éparpillés dans le nord de la province Amhara.

« Leur structuration et la montée en puissance des Fano semblent inquiéter le gouvernement à Addis-Abeba, glisse un universitaire éthiopien qui souhaite rester anonyme, même s’ils disposent d’effectifs et d’armements limités. »

« Nous sommes des serviteurs du peuple, nous finançons notre lutte avec notre argent », confie le chef de milice Fano, Minas Alemayehu. La venue massive de membres de la diaspora éthiopienne pendant la saison des fêtes, à l’initiative du gouvernement éthiopien et dont une majorité est issue de la province, constitue aussi un renfort de poids pour lui et ses frères d’armes. « Certains d’entre eux nous ont apporté de l’argent de l’étranger pour participer à notre combat », reconnaît-il, sans en révéler le montant.

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