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Plus on est riche, plus on pollue

Après un premier rapport en 2018, l’équipe d’économistes spécialisée sur les inégalités animée par l’Ecole d’économie de Paris (Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Gabriel Zucman…) vient de sortir, mardi 7 décembre, un second état des lieux sur les inégalités dans le monde. Comme on s’en doute, le Covid n’a pas amélioré le tableau : la fortune des hyper-riches n’a jamais été aussi élevée, les inégalités de revenus et surtout de patrimoine se sont creusées. Entre 1995 et 2021, les 1% les plus riches de la population ont capté 38% de l’augmentation mondiale de la richesse, pendant que les 50% les plus pauvres n’en captaient qu’un minuscule 2%.

Mais la grande innovation de cette édition est de s’intéresser, pour la première fois, aux inégalités d’empreinte écologique. Et le constat est là aussi cinglant : plus on est riche et plus on pollue et les écarts sont saisissants avec les plus pauvres, contraints à être plus économes, y compris des ressources de la planète. Le mode de vie des riches est un gros contributeur au réchauffement climatique.

Plus on est riche, plus on pollue

Alors que les grands Sommets de l’ONU sur le changement climatique (les fameuses COP) s’efforcent d’obtenir des engagements de réduction d’émissions de la part des nations, c’est plutôt à l’élite mondialisée, des beaux quartiers de Londres à Dubaï, de Pékin à Tel Aviv, qu’il faudrait réclamer des efforts.

Les chiffres sont parlants : les 10% de Terriens les plus fortunés sont responsables de 48% de toutes les émissions de gaz à effet de serre mondiales, tandis que les 50% les plus pauvres ne sont responsables que de 12% du total. En moyenne, chaque humain émet 6,6 tonnes de CO2 par an, mais les 10% les plus riches sont à 31 tonnes et le top 1% à 110 tonnes par personne (!)… soit près de cent fois plus que les 50% les plus pauvres au monde, dont l’empreinte moyenne n’est que de 1,6 tonne. Ces données sont à mettre en perspective avec le niveau d’émissions de carbone par individu à atteindre pour espérer contenir le réchauffement climatique à 2 °C de plus d’ici à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle : 3,4 tonnes chaque année d’ici à 2050… et 1,1 tonne, pour contenir le réchauffement à 1,5 °C.

On comprend bien pourquoi le niveau de pollution augmente avec celui de la fortune. C’est de bon sens : plus on est riche et plus on consomme sans compter, de l’énergie, on alimente la grande machine de la production et du commerce mondiaux. On peut s’offrir une (ou plusieurs) vaste demeure qu’il va falloir équiper, éclairer, chauffer (avec éventuellement une piscine à remplir), une (ou plusieurs) confortable berline gourmande en carburant, des vacances au soleil en avion, et ces 1001 achats « coup de cœur » mais non indispensables, pour une babiole fabriquée en Chine, le smartphone dernier cri, le nouveau sac à la mode, une livraison de repas…

Pour autant, mesurer précisément l’inégalité mondiale du carbone est délicat, plus encore que l’évaluation des disparités de revenus et de richesse. Dans cette étude, l’économiste Lucas Chancel s’est appuyé sur l’empreinte carbone au sens large de la consommation privée, avec pour défi d’attribuer justement au client final l’émission carbone du produit qu’il achète, même importé. Lorsqu’un Américain acquiert un iPhone, les émissions de carbone créées lors de la production, du transport et de la vente de ce téléphone lui sont attribuées, et non aux Chinois même si le téléphone a été fabriqué là-bas.

Les pauvres plus sobres

Il en ressort que la classe sociale est un indicateur de pollution souvent bien plus pertinent que le pays de résidence. En Europe, la moitié la plus pauvre de la population émet environ 5 tonnes de CO2 par an et par personne… un peu plus que les 3,1 tonnes émises par les 50 % les plus pauvres habitants de Chine et d’Asie du Sud-Est. Mais, à l’inverse, les 10% d’Européens les plus riches, avec 29 tonnes de CO2 produites chaque année en tenant compte des importations, polluent moins que les plus riches Moyen-Orientaux qui émettent 34 tonnes par an et Chinois, à 39 tonnes annuelles.

Le cas de la France est éclairant des disparités aiguës au sein d’un même pays : la moyenne nationale à 8,7 tonnes masque un grand écart entre les 10% les plus riches à 24,7 tonnes par habitant, contre moins de 5 tonnes par habitant pour la moitié la moins riche.

Exception -de taille- où la nationalité l’emporte sur la fortune en matière d’émission carbone: les Etats-Unis, qui battent des records. L’ »American way of life » se traduit en des émissions de l’Américain moyen trois fois plus élevées que la moyenne des autres humains. Du coup, les Nord-Américains les plus pauvres polluent plus que les 10 % les plus riches d’Afrique subsaharienne. Et la moitié la plus pauvre de la population aux Etats-Unis a des niveaux d’émission de CO2 comparables aux classes moyennes européennes, bien qu’elle soit presque deux fois plus pauvre.

Quant aux 10% d’Américains les plus riches, ils crèvent les plafonds, avec 73 tonnes de CO2 par an. Sans parler du duel que se livrent les deux hommes les plus riches du monde, Elon Musk et Jeff Bezos à coup de fusées dans l’espace, un véritable désastre écologique.

Du coup, pas facile de s’attaquer au problème du climat si on ne s’attaque pas de front à la question inégalitaire. Car les émissions de la moitié la plus pauvre de la population des pays développés sont d’ores et déjà en ligne avec l’objectif que ces pays se sont fixés comme objectif pour 2030 ! Donc les pauvres sont déjà « vertueux »… comment pourraient-ils dès lors accepter des mesures de taxation écologique qui les frappent au portefeuille ?

Le pollueur doit être le payeur

« Les politiques climatiques doivent davantage cibler les pollueurs aisés, ceux qui émettent 30 tonnes ou plus de CO2 par an, considèrent les auteurs du rapport. Or, jusqu’à présent ces politiques – par exemple les taxes carbone sur les carburants – ont souvent frappé de manière disproportionnée les catégories à revenus faibles ou moyens, sans faire évoluer les habitudes de consommation des catégories les plus fortunées ». Or, « lorsque les politiques environnementales ne tiennent pas compte du contexte socio-économique, elles peuvent vite échouer et générer de la méfiance, considérées comme injustes ». Pour rappel, fin 2018, le mouvement des gilets jaunes avait pour point de départ une protestation d’automobilistes contre la perspective d’une hausse générale de la taxe carbone.

Selon les auteurs du Rapport sur les inégalités, il faut donc réfléchir à une taxe climatique qui cible les plus aisés et indemnise au contraire les plus fragiles. Plutôt qu’un taux forfaitaire, les économistes prônent pour l’instauration d’une taxation progressive sur le carbone, suivant notamment le niveau des émissions mais aussi de richesse des individus.

ISF climatique?

Qu’à cela ne tienne, le vert Yannick Jadot et la socialiste Anne Hidalgo, candidats à la présidentielle, y ont pensé, proposant chacun un « ISF climatique », aux modalités cependant différentes. Anne Hidalgo propose plus ou moins de rétablir l’ISF tel qu’il avait été aboli par Emmanuel Macron (impôt progressif sur le patrimoine immobilier et financier à partir de 1,3 million d’euros) mais d’en dédier les recettes à un fonds d’accompagnement de la transition écologique pour les plus modestes, par exemple pour qu’ils puissent acquérir un véhicule électrique au prix d’une voiture à essence.

Le projet de Yannick Jadot est autrement plus ambitieux. Il propose, toujours à partir d’un seuil de patrimoine de 1,3 million, d’indexer l’impôt selon les émissions de gaz à effet de serre induites par les placements financiers du foyer. Il s’agirait donc d’établir le bilan carbone des placements, obligations, actions détenues pour pénaliser les plus « climaticides » et inciter les riches à « décarboner » leurs actifs. Sans mauvais jeu de mot, on voit d’ici l’énorme usine à gaz que ça représenterait pour le fisc et les contribuables.

Certains économistes prônent l’idée, plus pragmatique, de flécher au moins une partie des prélèvements assis sur les énergies fossiles – 15 milliards de TVA et 20 milliards de taxes spécifiques, dont la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) – sur la lutte contre le réchauffement climatique avec des aides aux ménages sous conditions de revenus pour la transition énergétique. C’est déjà le cas par exemple pour les primes à la conversion pour acheter une voiture électrique, ou à la rénovation thermique des logements (MaPrimeRénov’).

Les chiffres du Laboratoire des inégalités posent en tout cas l’enjeu : plus question d’envisager un financement de la transition écologique sans l’accompagner d’une compensation sociale.

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