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Eviter le naufrage d’Interpol

Editorial du « Monde ». Dans l’imaginaire collectif, l’Organisation internationale de police criminelle (OIPC), dite « Interpol », est une institution respectable consacrée à la coopération des polices du monde entier en vue de l’interpellation des criminels. En réalité, cette plate-forme reliant les services de police de 194 pays est sous-financée, son fonctionnement est opaque et ses résultats sont peu probants. Comme si cela ne suffisait pas, elle est de plus en plus détournée par des régimes autoritaires pour traquer leurs opposants politiques.

Jeudi 25 novembre, les treize membres de son conseil exécutif, dont son président, doivent être désignés au cours d’une assemblée générale à Istanbul. Le grand favori de ce vote est le général Ahmed Naser Al-Raisi, inspecteur général du ministère de l’intérieur des Emirats arabes unis.

Qu’un dignitaire d’un régime autoritaire où l’Etat – et donc la police – fonctionne sans le moindre contre-pouvoir, impliqué au surplus dans de multiples scandales d’écoutes et de piratages informatiques, est déjà plus que problématique. Mais le général qui pourrait diriger la police mondiale à partir de jeudi se trouve être visé en France par plusieurs plaintes pour torture. L’une d’elles a été déposée au nom du militant des droits humains Ahmed Mansour, condamné en 2018, au terme d’une parodie de justice, à dix ans de prison pour « atteinte à la réputation de l’Etat ». Depuis, il est maintenu à l’isolement, sans visites, dans une cellule de 4 mètres carrés.

Sous-financement chronique

Interpol n’a jamais été un exemple éclatant de coopération internationale. Son histoire – fondée en 1923 à Vienne, elle est passée aux mains des nazis après l’annexion de l’Autriche par le IIIe Reich – est tumultueuse. Mais, bien gérée, dirigée de façon irréprochable, elle pourrait constituer un outil crucial à l’heure où s’affirme le caractère transnational de la criminalité, du terrorisme et de tous les trafics. En particulier pour les Etats pauvres dépourvus des leviers diplomatiques ou économiques permettant d’obtenir des renseignements.

Or le sous-financement chronique de l’organisation favorise sa manipulation par des régimes autoritaires. Les Emirats, devenus le deuxième contributeur à son budget, sont aussi, avec la Chine et la Russie, l’un des Etats qui utilisent le plus à des fins politiques, les « notices rouges », ces avis de recherche internationaux émis par Interpol.

Il serait tout simplement catastrophique que le général Al-Raisi, haut responsable policier d’un pays connu pour son absence de démocratie et ses violations des droits humains, poursuivi pour actes de torture, soit désigné pour diriger une organisation gérant les fichiers des personnes recherchées à l’échelle de la planète et censée respecter le droit international. A l’approche du centenaire d’Interpol et après le traumatisme de la disparition soudaine de son précédent président, le Chinois Meng Hongwei, emprisonné en Chine depuis 2018 et dont on est sans nouvelles, ce serait un symbole désastreux.

La France entretient d’excellentes relations avec Abou Dhabi, où elle dispose d’une base militaire ; elle espère vendre des avions Rafale aux Emirats. Pourtant, elle qui accueille le siège d’Interpol depuis 1946 – à Paris, Saint-Cloud, puis Lyon depuis 1989 – a une responsabilité particulière. Paris ne peut contribuer au dévoiement d’une organisation internationale. Un président digne des missions d’intérêt mondial de l’OIPC doit être désigné. Emmanuel Macron, qui défend l’exemplarité du pays en matière de droits humains, doit tout faire pour éviter le naufrage d’Interpol.

Le Monde

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