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Le Tadjikistan peut-il servir de base arrière à la lutte contre les Taliban ?

De nombreux chefs de l’opposition afghane ont fui au Tadjikistan voisin et espèrent utiliser ce refuge comme base pour combattre les Taliban. Un pari compliqué au vu du rapport de force favorable au groupe islamiste, estiment les experts.  

La résistance anti-Taliban s’organise au Tadjikistan. Selon les informations du Financial Times, plusieurs figures de l’opposition afghane se trouvent actuellement à Douchanbé, la capitale de ce pays d’Asie centrale, au nord de l’Afghanistan, où le gouvernement tadjik leur offre l’asile. Parmi eux, Ahmad Massoud, célèbre chef du Front national de résistance (FNR) dans la vallée du Panchir, Amrullah Saleh, ancien vice-président et président intérimaire autoproclamé de l’Afghanistan, ainsi qu’Abdul Latif Pedram, le chef du Parti du Congrès national (PCN) afghan. La présence de ces militants sur le sol tadjik est jugée crédible par plusieurs experts contactés par France 24, le Tadjikistan étant un ennemi historique du groupe islamiste.

Alors que d’autres pays de la région, notamment l’Ouzbékistan voisin, la Russie et la Chine ont tenu à établir de bonnes relations diplomatiques avec les Taliban, le Tadjikistan a maintenu une ligne dure face aux nouveaux dirigeants afghans. Le mois dernier, le président tadjik Emomali Rahmon a attribué la plus haute distinction du Tadjikistan au père d’Ahmad Massoud, Ahmad Shah Massoud, dit le « lion du Panchir » : un geste symbolique fort à l’égard de cette figure de la résistance contre les Taliban, assassiné le 9 septembre 2001. Après la chute de Kaboul, le 15 août, et alors que États-Unis opéraient un retrait précipité du pays, Emomali Rahmon s’est inquiété de voir l’Afghanistan redevenir une base arrière du terrorisme : « Si nous laissons les évènements évoluer sans y prêter attention, la situation de 2001 risque de se répéter », a-t-il déclaré.

Une position anti-Taliban « populaire » au Tadjikistan

Au pouvoir depuis 1992, Emomali Rahmon est le seul dirigeant de la région dont le mandat remonte à l’époque où les Taliban régnaient sur l’Afghanistan, de 1996 à 2001. Le Tadjikistan a soutenu la résistance de l’Alliance du Nord qui s’opposait aux Taliban pendant cette période, tandis que des centaines de milliers de Tadjiks d’Afghanistan ont fui le pays pour échapper à la domination des militants islamistes. « Le Tadjikistan a des liens avec l’opposition afghane depuis cette époque. Le précédent historique est là », souligne Weeda Mehran, professeur de politique et spécialiste de l’Afghanistan à l’université d’Exeter, au Royaume-Uni.

Pour le président tadjik, la lutte anti-Taliban présente également un enjeu de sécurité nationale car des militants islamistes tadjiks ont fui vers l’Afghanistan, explique Jennifer Brick Murtazashvili, experte de la région et professeure adjointe à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’université de Pittsburgh. Il existe une « crainte réelle que les Taliban accueillent ces militants et qu’ils déstabilisent le Tadjikistan ».

En bon président, Emomali Rahmon tient également à se présenter comme un défenseur des Tadjiks, le deuxième groupe ethnique d’Afghanistan, dont beaucoup sont opposés aux Taliban. « Cela joue en sa faveur sur le plan intérieur : sa position anti-Taliban non dissimulée est populaire au Tadjikistan », explique Paul Stronski, spécialiste de l’Asie centrale à la Fondation Carnegie pour la paix internationale. « Le gouvernement n’a pas à s’inquiéter des élections, mais il doit apparaître crédible vis-à-vis du peuple. Or la plus grande minorité en Afghanistan est tadjike et défendre ce groupe lui permet de marquer des points nationalement. »

Enfin, la position du président tadjik sur les Taliban suscite l’intérêt des puissances occidentales, et notamment de la France : Emmanuel Macron l’a invité à se rendre à Paris pour des entretiens le 13 octobre. Selon Paul Stronski, Emomali Rahmon utilise sa position pour tenter d’améliorer son image d’homme d’État exemplaire : « Le fait d’être perçu comme un leader régional qui repousse les Taliban aide vraiment le président Rahmon à renforcer son influence dans le monde. Les dirigeants d’Asie centrale ont du mal à nouer le dialogue avec leurs homologues internationaux. Rencontrer de grands leaders internationaux comme Emmanuel Macron renforce sa crédibilité. »

Quel soutien pour la résistance ?

Depuis le Tadjikistan, le chef du PCN, Abdul Latif Pedram, déclarait mercredi dans le Financial Times : « Nous prévoyons d’annoncer une résistance officielle aux Taliban dans un mois ». Une démarche à l’issue incertaine selon Michael Kugelman, directeur adjoint du programme Asie du Wilson Center : « C’est une chose pour le Tadjikistan d’offrir un refuge à la résistance. C’en est une autre de permettre que son sol soit utilisé pour des activités militaires transfrontalières », analyse-t-il. « Le président Rahmon est-il prêt à prendre le risque d’être entraîné dans le conflit afghan ? Son armée est-elle prête à jouer un rôle pour repousser les attaques transfrontalières des Taliban ? La réponse est probablement non. »

« Avant les attentats du 11 septembre 2001, la Russie, l’Inde, l’Iran et le Tadjikistan étaient tous sur la même longueur d’onde : ils aidaient l’Alliance du Nord, le groupe armé afghan de résistance aux Taliban », souligne Christine Fair de l’université de Georgetown. « Dans la configuration actuelle, la Russie est très conciliante avec les islamistes au pouvoir. Il y aura donc une limite à ce que le Tadjikistan sera prêt à faire, en raison de sa relation avec la Russie et de la pression coercitive que Moscou peut exercer. Il est peu probable que le pays redevienne un sanctuaire pour l’Alliance du Nord comme ce fut le cas autrefois. »

Un rapport de force inégal

De leur côté, les Taliban sont bien plus puissants aujourd’hui : « Ils bénéficient désormais du soutien indéfectible des Chinois, d’un fort soutien russe et, bien sûr, d’un appui inconditionnel des Pakistanais, ajoute Christine Fair. Ils ont également en leur possession tout le matériel de guerre que les Américains n’ont pas pu détruire, avec l’une des plus grandes flottes d’hélicoptères Black Hawk au monde. Si leur maîtrise est limitée sur le plan technologique, ils bénéficient de l’aide de l’Inter-services intelligence [ISI, agence du renseignement pakistanaise, NDLR] pour utiliser ce matériel ».

Face à la montée en puissance du groupe islamiste, les résistants panchiris ne semblent pas en capacité d’opposer une résistance crédible, selon Christine Fair. « La résistance au Panchir a échoué et ils se sont retirés au Tadjikistan. Et je ne vois pas comment ils pourraient aujourd’hui reprendre ce territoire. »

« Toute perspective d’opposition militaire aux Taliban est vouée à l’échec pour les résistants panchiris », affirme Vanda Felbab-Brown, membre du think tank Brookings Institution, basé à Washington. Car outre le rapport de force inégal, la chercheuse pointe la faiblesse de la résistance afghane : « Leur capacité d’organisation interne est très limitée. Il n’y a pas d’unité entre les opposants Ahmad Massoud et Amrullah Saleh, ils se parlent à peine. Il faudrait qu’ils se structurent mais ce travail ne va pas être facile. En septembre, pour résister aux Taliban dans le Panchir, ils s’étaient appuyés sur les milices locales. Mais les Taliban ont très vite retourné ces milices par la pression militaire, le marchandage et les négociations. Les forces de Massoud et de Salah sont donc aujourd’hui pratiquement inexistantes ». En cas de nouvel affrontement avec les Taliban, « le peu de forces qu’il reste à la résistance servirait de chair à canon », conclut Felbab-Brown.

Cet article a été adapté de l’anglais par David Rich, retrouvez l’original ici

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