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Les PDG, une espèce en voie d’extinction ?

Inaugurée le 8 avril par Xavier Huillard à Vinci, la saison des assemblées générales 2021, en mode digital comme l’an dernier (lire encadré ci-dessous), bat son plein cette semaine : une dizaine de sociétés, dont Veolia, Kering et Bouygues, ont choisi la date du 22 avril pour organiser ce rendez-vous avec leurs actionnaires, après L’Oréal, le 20 avril, et avant Renault, le 23. Si le climat et l’environnement, ainsi que les rémunérations des dirigeants en temps de crise, figurent en bonne place parmi les sujets d’actualité, un autre thème monte en puissance : celui de la dissociation des fonctions de président et de directeur général, à l’ordre du jour à L’Oréal, Bouygues, Danone (29 avril), Valeo (26 mai) et Saint-Gobain (3 juin), sans oublier ArcelorMittal (4 mai). Capgemini avait franchi le pas dès 2020 et Schneider Electric s’y prépare d’ici à 2022, tout comme Scor et Orange.

Centraliser le pouvoir ou accepter un partage des rôles ? « Historiquement, il y a un grand nombre de PDG en France, avec une tendance à accorder un degré de plus au président et un de moins au directeur général, rappelle Patricia Barbizet, présidente du Haut Comité de gouvernement d’entreprise, chargé de faire respecter le code Afep-Medef, et qui connaît de l’intérieur

de nombreux conseils du CAC 40. Mais s’il y a deux systèmes c’est que chacun a ses vertus et je suis attachée au maintien des deux. »

Trouver la bonne formule

Au pays du PDG tout-puissant, la question de la dissociation se pose pourtant avec un peu plus d’acuité chaque année. Parfois sous le coup d’une crise violente, comme celle qui a conduit à l’éviction du PDG Emmanuel Faber de Danone avec la nomination de Gilles Schnepp à la présidence et celle, programmée, d’un nouveau directeur général, le 14 mars. Parfois de façon moins précipitée, à la faveur d’une succession organisée selon les règles de l’art, comme entre Jean-Paul Agon et Nicolas Hiéronimus à L’Oréal, Martin Bouygues et Didier Roussat chez Bouygues, Jacques Aschenbroich et Christophe Périllat à la tête de Valeo ou Pierre-André de Chalendar et Benoit Bazin à Saint-Gobain (lire page 14). Exercice qui n’en comporte pas moins sa part de risque.

Pas de formule Hespérides pour les grands patrons ! « Il faut faire attention à ne pas créer des postes de président pour préparer sa retraite, à l’exception de groupes contrôlés par un actionnariat familial », avertit Ross McInnes, le président de Safran. L’homme d’affaires franco-australien est convaincu des vertus du modèle britannique où les fonctions de patron opérationnel et de président non-exécutif sont clairement dissociées, à condition que ce ne soit pas l’ancien PDG qui change tout simplement de fauteuil : « une formule proscrite au Royaume-Uni », souligne-t-il. Et un point de vue partagé par les fonds anglo-saxons, comme Artisan Partners à Danone, et maintenant par l’Etat actionnaire, à Engie.

« Les PDG sont devenus minoritaires dans le CAC 40 comme dans le SBF 120 », constate Floriane de Saint Pierre, présidente d’Ethics & Boards (voir graphique ci-contre). Pour cette experte, la pression des fonds anglo-saxons n’explique pas tout. « Il existe des raisons structurelles, comme la place croissante de la gouvernance extra-financière : environnement, climat, diversité… des sujets à la fois stratégiques et très précis, auxquels s’ajoute de plus en plus la gouvernance des risques sanitaires et cyber. Ils prennent tellement de temps que cela devient un sujet pour les instances non exécutives. D’autres raisons apparaissent plus conjoncturelles, par exemple à l’occasion d’une succession. » « Nous voulons mettre en place une succession en douceur », témoigne Jacques Aschenbroich, le PDG de Valeo : son dauphin Christophe Périllat s’installera donc à la direction générale en janvier 2022 tandis qu’il deviendra président non exécutif. Lui-même a vécu une telle transition. « Quand je suis arrivé en 2009, c’était ma première direction générale d’une société cotée, rappelle-t-il. Nous avions le fonds activiste Pardus comme actionnaire et au conseil, nous étions en plein dans la crise financière de 2008-2009 et mon prédécesseur avait été remercié ! Avoir Pascal Colombani comme président du conseil d’administration était un support inestimable. »

Le symbole du titre

Une fois la société remise sur les rails, en 2016, Colombani s’est éclipsé et Jacques Aschenbroich a été nommé PDG. A son tour, il veut maintenant gérer au mieux le passage de relais à Christophe Périllat. « C’est quelque chose de naturel, assure-t-il. A partir de janvier 2022 ce sera lui le patron, je n’aurai plus les manettes, mais je l’épaulerai autant que je peux. » L’actuel PDG restera au poste de président jusqu’à la fin de son mandat d’administrateur, en mai 2023, pas plus. Jean-Paul Agon et Pierre-André de Chalendar, eux, n’ont pas fixé d’échéance. Périllat deviendra-t-il pour autant PDG ? Affaire à suivre…

Car nul ne l’avouerait, mais tous en ont envie ! Et cela ne date pas d’hier, comme s’en souvient Patricia Barbizet : « Chez Renault, Carlos Ghosn ne voulait pas être directeur général, et Louis Schweitzer a dû faire preuve d’imagination pour lui trouver un titre de “président de la direction générale” ». Cette histoire date de la fin des années 1990, mais l’être humain n’a pas fondamentalement changé depuis. Ross McInnes rappelle aussi que « Jean-Paul Herteman [ex-patron de ce qui était alors la Snecma] voulait être PDG ». Satisfaction accordée en 2011, même si elle nécessitait la transformation d’une gouvernance à directoire et conseil de surveillance en société à conseil d’administration. Avec un PDG.

C’était aussi l’ambition d’Isabelle Kocher, quand elle a été nommée directrice générale d’Engie, en 2016, avec pour chaperon l’ex-PDG, Gérard Mestrallet –« deux ans d’enfer », résume un témoin – puis Jean-Pierre Clamadieu, venu de Solvay en 2018. Première femme à la tête d’un groupe du CAC 40, Isabelle Kocher a été poussée vers la sortie sans avoir obtenu le titre tant désiré, au grand dam des réseaux de femmes dirigeantes qui espéraient ce scalp. « Le directeur général ne doit pas considérer que sa fonction est amoindrie parce qu’il ne porte pas le titre de président », soulignait pourtant l’Institut français des administrateurs dans un rapport de 2019. Catherine Mc Gregor, qui a succédé à Isabelle Ko-cher, le sait et l’a d’autant mieux accepté que la répartition des rôles était claire dès son recrutement. Pour retrouver la stabilité, il faut parfois en passer par une phase de destruction créatrice.

Olivier Roussat et Martin Bouygues (Bouygues). La passation de pouvoir prévoit que le premier nommé devienne directeur général du groupe.

 

Olivier Roussat et Martin Bouygues (Bouygues). La passation de pouvoir prévoit que le premier nommé devienne directeur général du groupe.

(Meignieux/Sipa)

 

Nombre d'entreprises selon les modes de gouvernance au sein du SBF 120

 

Nombre d’entreprises selon les modes de gouvernance au sein du SBF 120

 

Jacques Aschenbroich et Christophe Périllat (Valeo). Le PDG cèdera la direction générale en janvier 2022 tandis qu'il deviendra président non exécutif.

 

Jacques Aschenbroich et Christophe Périllat (Valeo). Le PDG cèdera la direction générale en janvier 2022 tandis qu’il deviendra président non exécutif.

(Photos : Julian Dodd/ Valeo)

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