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En Grèce, le mouvement #MeToo étouffé par les querelles politiques

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Publié le : 28/02/2021 – 17:18

Le mouvement #MeToo a commencé à imprégner la société grecque il y a un mois seulement, après le témoignage d’une championne olympique de voile. Mais l’instrumentalisation par les partis politiques de l’une des affaires pourrait bien décourager d’autres victimes de briser l’omerta autour des agressions sexuelles et de la pédophilie.

Trois ans. C’est le temps qu’il aura fallu au mouvement #MeToo pour résonner à l’intérieur des frontières de la Grèce. Il aura aussi fallu une voix, celle de Sofia Bekatorou, pour que la parole se libère, que les victimes osent enfin briser l’omerta. Mi-janvier, la skippeuse grecque, deux fois médaillée olympique et aujourd’hui âgée de 43 ans, a témoigné, lors d’une conférence en ligne organisée par le ministère de la Culture et des Sports, des « abus sexuels » dont elle a été victime de la part d’un membre de la fédération de voile lorsqu’elle avait 21 ans. Les déclarations de la championne font alors l’effet d’une bombe : le #MeToo grec est enfin lancé.

Dans les médias, le monde de la culture et sur les réseaux sociaux – sous les hashtags #MeToo, #MeTooGR ou encore #eimasteoloimazi (« nous sommes tous ensemble ») –, les témoignages pleuvent. « Ça a pris une grosse ampleur très vite », s’est félicitée Sofia Bekatorou auprès de l’AFP. « Je suis heureuse car beaucoup de personnes s’expriment publiquement, parlent des agressions subies et se tournent vers les autorités. »

La dynamique du #MeToo grec s’est pourtant rapidement retrouvée otage des affrontements intenses entre gauche et droite qui caractérisent la vie politique quand a éclaté le scandale Dimitris Lignadis, ancien directeur du Théâtre national grec soupçonné d’abus sexuels sur mineurs. « Cette histoire a politisé le débat », explique Alexia Kefalas, correspondante de France 24 à Athènes. « Et ça risque de tuer dans l’œuf le mouvement #MeToo, qui venait à peine de naître en Grèce. »

Un mouvement mort-né ?

Dimitris Lignadis a été arrêté le 20 février et placé en détention. En dehors du volet concernant les soupçons de viols sur mineurs entre 2010 et 2015, le parquet d’Athènes enquête également sur des violences sexuelles sur des mineurs migrants non accompagnés, qui suivaient des cours de théâtre avec l’acteur et metteur en scène entre 2017 et 2018.

L’affaire a rapidement tourné au scandale politique, le parti de gauche radicale Syriza accusant le gouvernement d’avoir tenté de « camoufler l’affaire » et de ne pas avoir donné suite aux premières révélations. Des accusations dont s’est défendu le Premier ministre conservateur Kyriakos Mitsotakis, jeudi 25 février devant le Parlement, reprochant lui-même à l’opposition et aux médias de gauche de traîner le débat public dans la « boue » et d’avoir répandu le « poison de la démagogie ».

« Les partis politiques ont commencé à se renvoyer la balle, et maintenant que ce débat est politisé, il en train de s’éteindre », affirme Alexia Kefalas, tout en soulignant combien un mouvement comme #MeToo est important pour la Grèce. « Depuis que Dimitris Lignadis est en prison, on ne parle que de ça et on n’entend pas les autres voix qui s’élèvent concernant d’autres directeurs de théâtres, acteurs, rédacteurs en chef, directeurs de chaînes, popes, curés… », poursuit-elle. « Personne n’a jamais parlé dans ce pays », jusqu’à la prise de parole de Sofia Bekatorou, mais aussi celle d’actrices comme Tonia Sotiropoulou, qui a elle aussi témoigné de faits de harcèlement sexuel subis lors d’un tournage télévisé alors qu’elle avait 18 ans.

« La poussière est mise sous le tapis »

En Grèce, « nous ne sommes pas des leaders en matière de féminisme ou d’égalité des genres », a déploré Sofia Bekatorou auprès de l’AFP. « Nous avons beaucoup de progrès à faire pour que des femmes assument des postes importants et montrent la voie. »

Un constat que partage Alexia Kefalas, qui précise cependant que la place de la femme dans la société grecque n’est pas la seule problématique. « Il s’agit aussi de pédophilie, et de manière générale, de langues qui se délient. C’est toujours dur dans ce pays, tout est tabou et la poussière est mise sous le tapis », assure-t-elle, évoquant notamment des affaires d’inceste dans les villages et sur les îles, et des scandales mettant en cause des popes dans un pays où l’Église n’est pas séparée de l’État. « C’est ce qu’on déteste dans la politique grecque : on politise un fait et ça bloque les autres », poursuit la journaliste, donnant l’exemple de la sous-médiatisation d’une autre affaire relative à des allégations d’abus sexuels tenues par un groupe d’anciens élèves contre des enseignants de la prestigieuse école privée d’Arsakeio.

Dans le sillage de la polémique Dimitris Lignadis, Kyriakos Mitsotakis a annoncé, jeudi, une série de mesures allant du durcissement des peines pour les agresseurs sexuels au rallongement du délai de prescription pour les agressions sur mineurs, en passant par la mise en place de codes de déontologie dans les entreprises, de cours d’éducation sexuelle dans toutes les écoles dès la rentrée prochaine et de plateformes en ligne où il sera possible de dénoncer des abus (metoogreece.gr).

L’irruption de #MeToo dans la vie politique grecque a eu le mérite de faire naître le débat mais le mouvement se heurte à une société toujours très conservatrice et parfois archaïque. Bien sûr, ces mesures peuvent aider, estime Alexia Kefalas, « mais le problème est que si chacun est exposé sur la place publique comme c’est le cas maintenant, les langues risquent de moins se délier : en Grèce, il ne faut jamais s’exposer, jamais avoir honte… Le changement de mentalité est excessivement lent. »

En 2020, la Grèce était en queue de peloton dans l’Union européenne en matière de parité, selon l’Institut européen pour l’égalité des genres (EIGE). Une étude de l’ONG ActionAid, publiée fin 2020, a par ailleurs révélé que neuf Grecques sur dix avaient déjà subi une agression sexuelle dans leur environnement professionnel.

Avec AFP

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