Aux premiers jours de 2020, la « main tendue » promise par le président algérien fraîchement élu Abdelmadjid Tebboune avait semblé se matérialiser : 76 militants du Hirak, dont plusieurs figures de ce mouvement de contestation populaire né en février 2019, étaient remis en liberté. Un geste symbolique destiné à apaiser la contestation et tourner la page des années Bouteflika.
Pourtant, au fil des mois, la « main tendue » s’est muée en poigne de fer : militants, opposants politiques, journalistes et internautes sont la cible des autorités, qui multiplient interpellations, poursuites judiciaires et condamnations afin d’empêcher une reprise du Hirak, entravé par la crise sanitaire. Depuis des semaines, les procès s’enchaînent.
Selon le Comité national de libération des détenus, une association algérienne de soutien aux prisonniers d’opinion, plusieurs dizaines de personnes sont actuellement emprisonnées pour leur participation au mouvement de protestation. Selon cette structure, dans l’immense majorité des cas, les poursuites font suite à des publications critiques envers l’exécutif sur les réseaux sociaux.
Deux ans après les premières marches du Hirak, de plus en plus d’organismes de défense des droits civiques mettent en garde contre des dérives liberticides dans le pays. « L’Algérie mérite un meilleur sort », plaide ainsi le romancier Yasmina Khadra dans un entretien au quotidien La Liberté, appelant à la libération de tous les détenus d’opinion : « Nous avons subi les pires outrages et payé le prix fort pour un minimum d’égards, et voilà que nos sacrifices s’émiettent contre l’absurdité d’un système qui ne sait où donner de la tête (…). La tyrannie finit toujours par s’autodévorer. »
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Un mouvement à l’arrêt à cause du Covid-19
Soulèvement inédit, pacifique et sans véritable leadership, le Hirak débute en février 2019, dans le sillage du refus de la candidature à un cinquième mandat de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika.
Le 16 février, le pays est secoué par une série de manifestations sporadiques lors desquelles les Algériens expriment un immense ras-le-bol. Huit jours plus tard, des rassemblements de plus grande ampleur sont organisés dans les principales villes, dont la capitale, Alger, où toute réunion est pourtant interdite depuis 2001. Depuis cette date, chaque vendredi, des millions de personnes défilent pour réclamer un profond changement du « système » en place depuis 1962. Le 2 avril, le président Bouteflika quitte le pouvoir, après vingt ans à la tête du pays.
L’accession à la présidence, le 12 décembre, d’Abdelmadjid Tebboune – à l’issue d’un scrutin boycotté et marqué par des manifestations massives – ne marque pas la rupture souhaitée. Proche de l’homme fort du pays, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah – mort des suites d’une crise cardiaque fin décembre 2019 –, M. Tebboune fut, en outre, l’un des soutiens d’Abdelaziz Bouteflika, dont il a été un éphémère premier ministre en 2017. Par ailleurs, le Parlement, issu des fraudes électorales des années Bouteflika, est toujours en place.
Moins que cette élection, c’est davantage l’épidémie de Covid-19 qui, dans les premiers mois de 2020, met un coup d’arrêt au mouvement. Face à la propagation du SARS-CoV-2 dans le pays, les contestataires décident d’une « trêve » dans la mobilisation après un dernier vendredi d’action, le 28 février 2020.
Cette suspension des marches hebdomadaires n’incite pas pour autant le pouvoir à une désescalade, ni à des gestes de clémence envers les militants incarcérés. Au contraire : la répression s’accentue, avec notamment dans le viseur les médias indépendants et critiques du gouvernement.
Dans un communiqué diffusé le 11 février, le média TSA-Tout sur l’Algérie dénonce ainsi « vingt mois de censure arbitraire », expliquant ne plus être accessible dans le pays. « D’autres médias en ligne sont également toujours suspendus, insiste-t-il. Nous dénonçons la poursuite de ce blocage qui confirme que, deux ans après le Hirak, rien n’a changé en Algérie concernant le respect des libertés. » Quant aux manifestants, faute de pouvoir se réunir dans les rues le vendredi, ils continuent le combat sur Internet, sur les réseaux sociaux, non sans risques.
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L’illusion d’une « Algérie nouvelle »
Le 1er novembre 2020, l’exécutif a tenté d’offrir une réponse politique à la colère populaire en organisant un référendum sur une réforme de la Constitution. Elle limite le nombre de mandats présidentiels à deux et propose d’élargir le champ des libertés publiques, facilitant la création d’associations et l’exercice du droit de réunion et de manifestation (sur simples déclarations). Elle prévoit également le cas de figure éventuel d’une cohabitation entre une « majorité présidentielle » et une « majorité parlementaire » distinctes.
Mais si les médias officiels n’ont cessé de répéter que cette réforme accédait aux requêtes du « Hirak populaire originel » et permettrait d’instaurer une « Algérie nouvelle », le référendum, organisé à la date anniversaire du début de la guerre d’indépendance contre la France (1954-1962), a été boudé par les électeurs. Ils ne sont que 23,7 % à s’être rendus aux urnes, un taux de participation historiquement bas pour le pays. Le projet, conçu par ses rédacteurs comme un moyen de neutraliser le Hirak et perçu par l’opposition comme un « ravalement de façade », a néanmoins été adopté.
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Des procès à tour de bras
Dans l’« Algérie nouvelle », les autorités continuent tout de même de miser sur les vieilles méthodes. Depuis le début de l’année 2021, les procès de militants liés au Hirak se succèdent à un rythme effréné à travers le pays. Ainsi, le 13 janvier, le tribunal de Timimoun (sud) a condamné à six mois de prison ferme trois d’entre eux, Yasser Kadiri, Khelil Kheyi et Saïd Zegar. Accusés d’offense au président de la République et de diffusion de fausses nouvelles, ils étaient en détention depuis septembre 2020.
Le 18 janvier, lors d’une journée marquée par de nombreuses comparutions de hirakistes, Dalila Touat, connue comme la porte-parole des chômeurs de Mostaganem (nord-ouest), a écopé de dix-huit mois de détention, assortis d’une amende, pour outrage à corps constitué, diffamations et publications portant atteinte à l’ordre public. Chems Eddine Laalami, détenu avec son frère depuis septembre 2020, a quant à lui vu prolonger son maintien en détention par la cour de Bordj Bou Arreridj, au sud-est d’Alger. Le même jour, le parquet de Béjaïa (nord-est) avait requis l’aggravation des peines prononcées en première instance à l’encontre de trois militants, dont le blogueur Merzoug Touati.
Le 21 janvier, un tribunal d’Alger a prononcé des peines de prison ferme contre trois autres militants. Mohamed Tadjadit, 26 ans, Noureddine Khimoud, 25 ans, et Abdelhak Ben Rahmani, 38 ans, qui étaient en détention provisoire – les deux premiers depuis la fin août 2020, le troisième depuis octobre –, ont toutefois pu quitter leur prison après avoir déjà purgé leurs peines. Dix chefs d’accusation pesaient sur les trois hommes, dont atteinte à l’unité nationale, incitation à attroupement non armé, offense au président de la République ou encore diffusion de fausses nouvelles. Ces charges étaient notamment basées sur leurs messages et vidéos relayés sur les réseaux sociaux.
Le 31 janvier, Walid Kechida a été condamné en appel par un tribunal de Sétif (nord-ouest) pour avoir diffusé des mèmes – des images détournées de façon humoristique sur les réseaux sociaux – moquant les autorités et la religion sur Facebook. Il a été condamné à six mois ferme et six mois avec sursis, et une amende de 30 000 dinars (180 euros). Le jeune homme de 25 ans a cependant pu quitter la prison, où il était détenu depuis le 27 avril 2020.
Le 15 février, Chems Eddine Laalami, dit « Brahim », a été condamné par le tribunal de Bordj Bou Arreridj, près d’Alger, à deux ans de prison ferme, ainsi qu’à une amende de 200 000 dinars (1 250 euros). Détenu depuis le 9 septembre 2020, il devait répondre de six chefs d’accusation. Il a été acquitté pour trois d’entre eux mais reconnu coupable d’« offense au président de la République », « outrage à corps constitué » et « publication de fausses informations ». Le même jour, d’autres militants ont écopé de peines de prison ferme à Tiaret (centre) ou encore Annaba (nord-est).
D’autres procès sont programmés courant février, malgré les dénégations du ministre de la communication, Ammar Belhimer, qui a répété au début du mois qu’« il n’existe pas de prisonniers d’opinion en Algérie ».
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L’affaire Walid Nekkiche et les accusations de torture
Le mouvement est-il éteint pour autant ? L’indignation en Algérie est en tout cas montée d’un cran, le 1er février, lors du procès de Walid Nekkiche devant un tribunal de l’est d’Alger. Le jeune homme de 25 ans, arrêté en marge d’une marche du Hirak et qui a passé plus d’un an en détention administrative, a témoigné avoir été « agressé sexuellement, physiquement et verbalement » par des membres des services de sécurité. Le parquet général auprès de la cour d’Alger a annoncé l’ouverture d’une enquête sur ces allégations.
Lors de son procès, le procureur avait requis la perpétuité contre l’étudiant, poursuivi pour complot contre l’Etat, atteinte à l’intégrité du territoire national et incitation de la population à prendre les armes. Il a finalement écopé de six mois de prison ferme pour distribution et possession de tracts destinés à porter atteinte à l’intérêt du pays. La peine ayant été couverte par la durée de sa détention préventive, il a recouvré la liberté à l’issue du jugement.
« Le seul tort de Walid [Nekkiche] est d’avoir pris part à une manifestation pacifique pour l’avènement d’un Etat de droit dans lequel l’exercice plein et entier de la citoyenneté est protégé par ses institutions », ont fait valoir les jeunes progressistes du Rassemblement pour la culture et la démocratie, dans un communiqué sur Facebook, appelant « l’ensemble des étudiantes et des étudiants et la jeunesse à faire revivre la mobilisation populaire pour poursuivre la révolution ouverte en février 2019 ».
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