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Au Nigeria, la présence d’anciens de Boko Haram « terrorise » en silence les habitants de Maiduguri

Des silhouettes désœuvrées sont assises à même le sol, au pied d’un panier de basket. Ces ombres immobiles que l’on distingue difficilement par-delà un mur surmonté de barbelés, sont devenues le cauchemar d’Ibrahim (un nom d’emprunt). « Personne ne nous a informés de ce qu’il se passait », explique ce professeur, qui enseigne dans l’école primaire attenante. « Puis nous avons compris que les autorités utilisaient ce terrain pour loger des gens de Boko Haram, lâche-t-il avec amertume. Ça nous terrorise, car nous savons bien qu’ils sont capables de tout ! »MoussaLes dortoirs qui servaient habituellement à héberger les pèlerins en partance pour La Mecque à proximité de l’aéroport de Maiduguri ont été discrètement réquisitionnés à la fin du mois de juillet 2021. Dans l’école d’Ibrahim, un mur a dû être élevé en urgence, pour cacher aux élèves les rangées de tentes blanches plantées dans le champ voisin. Elles ont été dressées à la hâte pour accueillir une partie des hommes toujours plus nombreux à sortir de la forêt de Sambisa, bastion de Boko Haram, dans le sud de l’Etat de Borno.

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A la mi-octobre 2021, l’armée nigériane annonçait la reddition de « 13 243 terroristes et leurs familles » à travers tout le nord-est du pays. Ces « sortants » de Boko Haram seraient maintenant près de 20 000 côté nigérian. Au moins 2 000 personnes se sont aussi rendues au Cameroun, selon un décompte datant du mois de septembre. Femmes et enfants composent les trois-quarts des effectifs, mais environ 1 200 combattants et commandants djihadistes ont également choisi de déposer les armes. C’est la plus grande vague de défections jamais enregistrée depuis le début de l’insurrection djihadiste, en 2009, dans la région de Borno.

Un quartier proche du camp de Bakassi, qui a été fermé récemment, à Maiduguri, au Nigeria, en janvier 2022. Certaines personnes sont retournées dans leur village, mais beaucoup d’autres, en particulier les veuves et les orphelins, n’ont nulle part où aller. BÉNÉDICTE KURZEN / NOOR POUR «LE MONDE»

Boucliers humains

La disparition d’Abubakar Shekau, le chef historique du mouvement terroriste, a marqué un tournant dans la crise qui déchire le nord-est du Nigeria depuis plus d’une décennie. Au mois de mai 2021, le djihadiste connu pour sa violence envers les civils a déclenché sa ceinture d’explosifs pour échapper à ses rivaux du groupe Etat islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap). La prise de la forêt de Sambisa par cette faction issue d’une scission de Boko Haram en 2016 a changé la donne pour tous ceux qui vivaient jusque-là sous le joug de Jamaat Ahl Al-Sunnah Lil Dawa Wal Jihad (JAS), la mouvance dirigée par Abubakar Shekau.

« Il y a beaucoup de villages à l’intérieur et autour de la forêt qui étaient sous son contrôle », développe Malik Samuel, un chercheur nigérian affilié à l’Institute for Security Studies. « Parmi ces repentis, il y a des paysans, des civils qui ne pouvaient pas fuir plus tôt à cause des contrôles de Boko Haram sur les routes alentour. » Les otages des djihadistes étaient utilisés comme boucliers humains ou fournissaient de la main-d’œuvre gratuite. On compte parmi eux un très grand nombre de femmes arrachées à leurs familles et mariées de force aux combattants, ainsi que leurs enfants.

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Adamu, âgé de quelques semaines, est l’un de ces petits sans père. Sa mère, Aisha, était encore enceinte lorsqu’elle a fui la forêt de Sambisa fin octobre, après six ans de captivité. Le quotidien de la jeune femme de 28 ans était jusque-là rythmé par l’étude du Coran et les bombardements de l’armée nigériane. Se sont ajoutés ces derniers mois les violents combats entre factions djihadistes rivales. « Quand l’Iswap a pris le dessus, ils nous ont laissé le choix, raconte-t-elle, son bébé accroché au sein sous son long voile bleu. Les hommes nous ont réunies et nous ont demandé ce que nous voulions faire. Beaucoup ont choisi de s’enfuir. »

« Sans réelle remise en cause idéologique »

Aisha a donc pris la route avec un groupe de femmes et d’enfants. Ils ont fini par croiser des militaires nigérians qui les ont conduits jusqu’à la ville de Gwoza, à plus de 100 kilomètres au sud-est de Maiduguri. Puis la jeune femme a été transférée dans la capitale régionale, où elle a accouché. Elle évoque rapidement la mort de trois de ses enfants dans la brousse et la disparition de son premier mari, tombé aux mains de l’armée nigériane alors qu’il achetait de la nourriture sur un marché pour les djihadistes. Elle ignore aussi ce qu’est devenu le père de son dernier-né, parti combattre l’Iswap pour le compte du JAS et jamais reparu depuis. Désormais, Aisha, se prend à rêver d’un avenir meilleur à Maiduguri, auprès de la famille éloignée qui l’a recueillie. « Au bout du compte, c’est Dieu qui nous a sauvés », sourit-elle.

Aisha, rêve d’un avenir meilleur à Maiduguri, auprès de la famille éloignée qui l’a recueillie. Elle était enceinte lorsqu’elle a fui la forêt de Sambisa fin octobre 2021, après six ans de captivité.  Elle évoque la mort de trois de ses enfants dans la brousse et la disparition de son premier mari, tombé aux mains de l’armée nigériane.  Elle ignore aussi ce qu’est devenu le père de son dernier-né, parti combattre l’Iswap pour le compte du JAS. BÉNÉDICTE KURZEN / NOOR POUR «LE MONDE»

Dans la capitale régionale protégée par des tranchées et surveillée nuit et jour par l’armée nigériane, les autorités semblent avoir décidé de renvoyer rapidement femmes et enfants dans leurs familles ou vers les camps de déplacés de la région, mais le sort des hommes est plus difficile à trancher. Impossible pour ces « sortants » de rejoindre le programme de déradicalisation « Safe Corridor » géré par l’armée depuis 2016, puisque ses capacités (environ 600 personnes) sont déjà dépassées.

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Le gouverneur de l’Etat de Borno a dû prendre les choses en main, en répartissant en urgence les nouveaux arrivants dans trois camps de transit, en plein cœur de Maiduguri. Mais ce dispositif manque de transparence et pose de réelles questions « de sécurité, d’identification et de triage », estime Vincent Foucher, chercheur au CNRS. D’autant qu’« il est probable que certaines de ces sorties soient très contextuelles, sans réelle remise en cause idéologique », selon lui.

« C’était infernal »

Même s’il assure qu’il souhaitait changer de vie depuis longtemps, Moussa reconnaît que l’irruption de l’Iswap dans la forêt de Sambisa a précipité sa reddition aux côtés d’une cinquantaine d’autres combattants. « Ils nous ont pourchassés jusqu’à ce que nous manquions d’eau et de nourriture, c’était infernal », raconte le trentenaire, qui avait rejoint le JAS en 2014 après l’invasion de son village par les djihadistes. « Je voulais continuer à soutenir ma famille. Ceux qui ont refusé de les suivre ont été tués », se remémore-t-il. Après trois mois d’entraînement, le jeune home est devenu un combattant actif, responsable de la mort de nombreux civils et partie prenante d’attaques contre les militaires nigérians. Aujourd’hui encore, il ne cache pas une certaine admiration pour Abubakar Shekau, qu’il qualifie d’« homme bon, qui traitait ses hommes comme s’ils étaient ses enfants ».

Moussa, trentenaire, ancien combattant de Boko Haram, reconnaît que l’irruption de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap) dans la forêt de Sambisa a précipité sa reddition aux côtés d’une cinquantaine d’autres combattants. BÉNÉDICTE KURZEN / NOOR POUR «LE MONDE»

Malgré ce lourd passif, Moussa n’est resté que peu de temps dans le camp de transit où il avait été placé. Il dit avoir été relâché au bout de deux semaines environ, après avoir juré sur le Coran qu’il renonçait à l’idéologie djihadiste. « Je ne sais pas combien ont été libérés, j’ai l’impression que nous avons été sélectionnés un peu au hasard », affirme-t-il. A Maiduguri, où il rêve d’ouvrir un petit commerce, Moussa reste discret sur son passé, pour ne pas avoir à subir « le mépris » de la population, très opposée au regroupement de ces combattants dans la capitale régionale

Leur présence inquiète particulièrement les habitants du quartier de 1 000 Estate Housing, qui jouxte le camp situé près de l’aéroport. Début décembre 2021, un obus tiré par l’Iswap est tombé sur la maison de l’un des résidents du lotissement, dans lequel vivent des fonctionnaires et des familles de la classe moyenne. Cette attaque n’a fait aucune victime, mais elle a contribué à alimenter la psychose. « Nous avons l’habitude d’entendre des détonations, mais c’est la première fois que notre quartier est touché, donc forcément, ça a fait paniquer tout le monde », explique Mallam Babakura, un des responsables de l’association des résidents de l’Estate.

Ce tir visait vraisemblablement l’aéroport de Maiduguri et la base de l’aviation nigériane, au cœur de la stratégie de l’armée dans le Borno. Mais les habitants de 1000 Housing Estate soupçonnent l’Etat islamique d’avoir voulu toucher le camp de transit abritant les repentis du JAS. Ils réclament désormais le départ de ceux qu’ils considèrent comme « des tueurs ». « Nous ne connaissons pas leurs intentions. Nous voulons qu’ils aillent ailleurs. Hors de la ville et même hors de l’Etat », appuie Mallam Babakura. La sécurité a été depuis renforcée autour du camp de transit, surveillé par des unités de police mobile. Le gouverneur Babagana Zulum s’est aussi déplacé en personne, à deux reprises, pour rassurer les habitants du quartier.

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Mais des interrogations subsistent quant aux intentions réelles des repentis. Elles sont largement partagées par le chercheur tchadien, Remadji Hoinathy, qui constate que les moyens manquent pour assurer la bonne prise en charge des anciens combattants djihadistes, malgré la mise en place de programmes de réintégration dans les quatre Etats frontaliers du lac Tchad. « Les communautés devraient être mieux associées aux processus de réhabilitation, dans toute la zone, observe-t-il. Quoi qu’ils fassent, les Etats ne pourront pas décider de la réconciliation, sur laquelle ils ne sauraient légiférer. »

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