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ReportageDans la vallée de la Ferghana, au pied des montagnes du Pamir, Kirghizistan et Tadjikistan se disputent des territoires et l’accès à l’eau à partir de cartes dessinées sous Staline.
Le jardin planté d’abricotiers d’Abdykapar Mamytov, à la sortie du village kirghiz de Kok-Tach, ressemble à un cauchemar géopolitique. Côté nord, au-delà du muret de pierres, explique-t-il, c’est le Tadjikistan. Pour cet ancien chauffagiste de 67 ans, la chose est évidente : au-delà du mur, derrière un canal asséché, vit son voisin – un Tadjik avec lequel il a rompu tout contact, et cela suffit à tracer une frontière.
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Pour les deux capitales impliquées dans ce conflit frontalier hérité de la période soviétique, la situation est plus complexe. Selon Douchanbé, la propriété de M. Mamytov se trouve en territoire tadjik, puisqu’elle borde une route revendiquée par le Tadjikistan, vitale à la survie de la ville de Voroukh, enclavée en territoire kirghiz. Pour Bichkek, la lecture tadjike équivaut à une annexion : le voisin de M. Mamytov est certes un Tadjik, mais sa maison appartenait auparavant à un Kirghiz – sa nationalité ne suffit pas à déclarer le territoire tadjik. Quant à la route, elle a toujours été d’usage partagé.
Affrontements armés
Inextricable ? Il y a pire. Un autre habitant de Kok-Tach, Erguechov Douchebay, raconte avoir tenté d’enregistrer sa maison au cadastre. Les employés kirghiz ont refusé de lancer la procédure car, pour se rendre chez lui, ils devraient traverser des terrains appartenant à des Tadjiks. Or, cela pourrait créer un incident diplomatique, voire, pour ces officiels, un risque d’enlèvement par les forces de sécurité de Douchanbé.
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Car le conflit frontalier opposant le Kirghizistan et le Tadjikistan dans la vallée de la Ferghana, au pied des majestueuses montagnes du Pamir, n’est pas qu’un simple différend de papier. Depuis le début des années 2010, il provoque régulièrement de brefs affrontements armés. En avril 2021, le conflit a atteint une gravité inédite. Il s’est étendu le long de la frontière et a vu l’usage d’armes lourdes : 56 personnes sont mortes – 36 côté Kirghizistan, 20 côté Tadjikistan, pays qui paraît s’être préparé à une offensive d’envergure, amorçant une escalade que Bichkek s’est refusé à suivre.
Abdykapar Mamytov et son voisin Erguechov Douchebay devant la maison d’Abdykapar, à Kok-Tach, au Kirghizistan le 17 novembre 2021. Sa maison a été endommagée par des tirs de mortier durant les combats du mois d’avril. MAXIME FOSSAT POUR « LE MONDE » Abdykapar Mamytov dans son jardin d’abricotiers bordant le Tadjikistan à Kok-Tach, le 17 novembre 2021. MAXIME FOSSAT POUR « LE MONDE »
Durant les combats, Abdykapar Mamytov s’est terré dans son jardin, à l’abri d’un haut mur, de ciment celui-là, érigé après des accrochages en 2017, orienté à l’est, vers le carrefour disputé sur lequel les forces tadjikes ont dirigé leurs tirs. Des traces de balles et des éclats de mortier sont encore visibles sur le portail et la façade de sa maison. En 2017, profitant de la fuite de la famille Mamytov, des civils tadjiks s’étaient emparés de son réfrigérateur et de sa télévision et avaient brûlé un cabanon. Cette fois, Abdykapar s’est contenté d’éloigner ses enfants et petits-enfants et de monter la garde. Par bonheur, les coups de feu n’ont pas abîmé les abricotiers, qui offrent un complément à sa retraite de 11 000 soms (115 euros).
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