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Sur « l’autre route migratoire », les rêves brisés des Africains partis pour l’Arabie saoudite

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Des migrants africains sont rassemblés sur le toit d’un bus de la police avant d’être transférés dans un centre de la capitale Riyad en vue de leur expulsion, en novembre 2013. FAYEZ NURELDINE / AFP

Les passeurs avaient promis à Fentahun Derebe de l’amener en Arabie saoudite, où il pourrait gagner plus d’argent qu’il n’en avait jamais rêvé, puis revenir chez lui, en Ethiopie, pour monter son entreprise.

Arrivé sur la côte somalienne, les passeurs lui ont demandé plus d’argent. Fentahun ne pouvait pas payer. Alors ils l’ont abandonné. Sans argent, seul, le jeune homme de 19 ans n’a eu d’autre choix que de rebrousser chemin, plusieurs centaines de kilomètres à travers le désert.

« On m’avait dit que j’aurais un bon travail et que je changerais de vie. On m’avait dit que ce serait facile. Mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça », raconte de sa voix douce le jeune homme, rencontré à Hargeisa, dans le nord de la Somalie.

De nombreux migrants africains, principalement éthiopiens, échouent dans cette ville, carrefour de l’une des routes migratoires les plus fréquentées au monde : la « route de l’Est », vers la péninsule arabique.

Le voyage est périlleux, parfois fatal

Loin des caméras braquées sur l’Europe, les traversées de la Méditerranée et les milliers de réfugiés actuellement massés aux frontières polonaises, cette autre route connaît un regain de fréquentation.

Le voyage est périlleux, parfois fatal, à travers les déserts et certaines régions chaotiques de la Corne de l’Afrique, les eaux tumultueuses du golfe d’Aden, jusqu’au Yémen en guerre. De là, les migrants doivent traverser de nouvelles zones hostiles dans l’espoir d’atteindre l’Arabie saoudite ou d’autres Etats du Golfe pour y trouver du travail. La plupart n’y arrivent jamais.

Des dizaines de milliers d’entre eux se retrouvent piégés au Yémen, incapables de payer un voyage de retour, pris en otage par des passeurs ou détenus par les autorités locales. En mars, un incendie dans un centre de détention surpeuplé de la capitale yéménite a tué des dizaines de migrants.

Le même mois, vingt personnes sont mortes noyées lorsque des passeurs ont jeté par-dessus bord des dizaines de migrants de leur embarcation surchargée en route vers le Yémen. Beaucoup ne quittent jamais l’Afrique, escroqués comme Fentahun avant même de mettre les voiles.

« La route n’était pas sûre »

« Ils m’ont dit que ça coûterait 500 dollars [quelque 440 euros] pour monter sur le bateau. Je n’en avais même pas 100. J’ai été choqué », raconte le jeune homme, qui a quitté sa ville de Gondar, dans le nord de l’Ethiopie, ayant à peine terminé son lycée.

Les migrants ont deux options pour rejoindre le Yémen depuis le continent africain. L’une via Obock, à Djibouti, mais les côtes y sont surveillées et les migrants traqués. L’autre depuis Bosaso, dans le nord de la Somalie, où le contrôle est plus faible. Cette dernière est plus populaire mais aussi plus longue et plus dangereuse.

Fentahun raconte que durant sa marche d’un mois entre Bosaso et Hargeisa (600 kilomètres à vol d’oiseau), il a croisé de nombreux migrants dans une situation désespérée. Certains avaient été volés ou maltraités physiquement. Tous manquaient désespérément d’eau et de nourriture. « J’avais peur, confie-t-il. La route n’était pas sûre. »

Beaucoup des migrants sur cette route sont des adolescents seuls, dont « certains n’ont pas de chaussures », souligne Farhan Omer, employé dans un centre de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Hargeisa.

« Je suis partie pour mes enfants »

Des centaines de migrants sont coincés à Hargeisa, désœuvrés, sans argent pour gagner Bosaso ou faire demi-tour et rentrer chez eux. Woynshat Esheto, 35 ans, rêvait d’aller en Arabie saoudite et devenir femme de ménage. Mais elle est tombée à court d’argent. « Je suis partie pour mes enfants », explique cette mère célibataire de quatre enfants : « Je n’avais aucun moyen de les nourrir ou de les envoyer à l’école. Je n’avais pas le choix. »

Les mouvements ont repris sur la « route de l’Est », après un ralentissement en 2020 en raison des fermetures de frontières causées par la pandémie de coronavirus. En 2018 et 2019, c’était la route de migration maritime la plus fréquentée au monde. Plus de 138 000 migrants ont embarqué sur des bateaux à destination du Yémen en 2019, contre 110 000 traversant la Méditerranée la même année.

Mais ces déplacements de population, qui ne touchent pas l’Europe ou l’Amérique du Nord, sont souvent ignorés. « Ce qui est frustrant ici, c’est qu’il y ait si peu d’attention (…). Personne ne s’intéresse vraiment aux gens qui ont des problèmes dans les pays de la Corne de l’Afrique », déplore Richard Danziger, chef de mission de l’OIM pour la Somalie.

Accroché à ses rêves d’une vie meilleure, Mengistu Amare n’est pas découragé par les périls à venir, même s’il ne sait pas grand-chose de l’endroit où il va ni de ce qui l’attend en chemin. « Je sais qu’il faut traverser la mer pour rejoindre l’Arabie saoudite. Je ne suis jamais monté sur un bateau et je ne sais pas nager », explique cet Ethiopien de 21 ans. Mais il tentera sa chance : « J’irais n’importe où, tant qu’il y a du travail. »

Le Monde avec AFP

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