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Un patient présente ses résultats positifs au test de dépistage du Covid-19 à l’hôpital catholique Saint-Paul, à Douala, le 9 juin 2020. JOSIANE KOUAGHEU / REUTERS
Voilà près de deux heures que Stella Ngo Ekeya et sa sœur Marie sont assises à l’entrée de l’espace aménagé pour la vaccination contre le Covid-19 à l’hôpital de district de Deido à Douala, capitale économique du Cameroun.
Elles chuchotent, n’osent pas se rapprocher de l’infirmière pour se faire enregistrer. « Ces vaccins ont trop de conséquences, souffle Stella, en réajustant le masque qui mange une partie de son visage. Sur les réseaux sociaux, on dit que les gens meurent après les avoir pris. »
Les deux jeunes femmes sont « bien coincées ». Elles souhaitent se rendre à l’étranger et on leur a « demandé de prendre Pfizer », soupirent-elles. L’infirmière leur explique que « pour l’instant, le Cameroun n’a pas Pfizer », mais qu’elles peuvent trouver d’autres vaccins comme Sinopharm ou Johnson & Johnson. « On va aller réfléchir », avance Stella Ngo Ekeya. Marie, elle, est « prête à laisser tomber le voyage ».
Alors que le Covid-19 a fait officiellement 1 686 morts dans le pays, pour 102 499 contaminations confirmées, « les Camerounais fuient ce vaccin comme la peste », se désole le directeur d’un hôpital situé en périphérie de Douala. Depuis le lancement de la campagne d’injection le 12 avril prioritairement pour les personnels de santé, les personnes avec pathologies sous-jacentes ou encore celles âgées de 50 ans et plus, seul 1,1 % de la population cible est complètement vaccinée.
Défiance dans tous les segments de la société
Le pays a eu beau relancé une campagne intensive de vaccination en juillet, rien n’y fait. A l’heure actuelle, 160 000 personnes sont complètement vaccinées sur une population de 27,2 millions.
D’après le Programme élargi de vaccination (PELV), c’est la région anglophone du Sud-Ouest – plongée depuis 2017 avec sa voisine du Nord-Ouest dans une guerre civile entre l’armée camerounaise et les combattants séparatistes – qui affiche le plus bas de taux de vaccination.
Au 22 octobre, sur une population cible régionale de 978 469 personnes âgées de 18 ans et plus, seules 12 892 avaient reçu une première dose, tous vaccins confondus. Et sur 4 880 doses de vaccins AstraZeneca arrivés à péremption dans le pays, la région arrive en tête avec le plus haut taux de perte, soit 39,9 %.
Car la défiance s’est répandue dans tous les segments de la société. Kelly, 28 ans, vendeuse dans une boutique de produits alimentaires à Buea, dans la région Sud-Ouest, lit divers échanges dans le groupe WhatsApp familial : « Le Covid-19 rend stérile, tue, fait gonfler les testicules des hommes, détruit des organes du corps, rend fragile à vie… »
« Je ne peux pas accepter ce truc dans mon corps »
Elle interrompt sa litanie pour montrer des photos de Nicki Minaj, la chanteuse américaine aux millions d’abonnés sur les réseaux sociaux. « Elle-même, assure Kelly, est contre le vaccin. Jamais je ne me vaccinerai. Je ne veux pas mourir ou devenir stérile », jure-t-elle.
Au marché Nkoulouloun à Douala, il suffit d’évoquer le sujet pour attirer une foule d’antivax brocardant un vaccin fabriqué « trop tôt et pas efficace » alors que, depuis des années, « le sida et le paludisme nous tuent et les Blancs ne créent pas de vaccins ».
Moïse, commerçant de sacs à dos de seconde main, estime que l’épidémie est un vaste mensonge. « Ils ont dit que le coronavirus allait tuer beaucoup d’Africains, mais rien ne s’est passé, dit-il. Regardez ce marché, même quand on interdisait les rassemblements de plus de cinquante personnes, on se serrait comme dans une boîte de sardine ici. »
Près de lui, Delphine, vendeuse de vêtements pour enfants opine du chef. Ses enfants en Allemagne l’ont suppliée en vain de venir faire son contrôle de santé annuel. Elle ne veut pas se faire vacciner. « Je ne peux pas accepter ce truc dans mon corps. Je suis déjà hypertendue et si je le prends, je mourrai », croit cette sexagénaire qui a pourtant contracté le Covid-19 il y a quelques mois. Ses enfants ont beau lui dire que le vaccin la protégera davantage, elle refuse « catégoriquement ».
A deux mois de la Coupe d’Afrique des nations
Selon le professeur Yap Boum, représentant régional d’Epicentre, la branche Recherche et épidémiologie de Médecins sans frontières (MSF), « les populations tirent leur information principalement des réseaux sociaux où certains professionnels de santé diffusent des informations contradictoires vis-à-vis des vaccins. De ce fait, il y a une hésitation que la communication gouvernementale peine à contrer ».
Le Cameroun, pense-t-il, devrait déployer « une communication plus agressive », mobilisant des personnalités connues afin que l’information arrive « à tous les niveaux de la société ». A l’occasion des campagnes de vaccination intensives – la prochaine est prévue du 17 au 21 novembre –, « il faudra aussi aller au contact des populations avec des vaccinodromes, mais aussi des équipes mobiles capables d’assurer la sensibilisation, le dépistage, la vaccination des personnes testées négatives et la prise en charge de celles testées positives », poursuit Yap Boum.
En attendant, le pays fait face à une rupture des vaccins AstraZeneca, ce qui affecte de nombreux vaccinés ayant déjà reçu la première dose. Dans un centre, un directeur fait défiler sur son ordinateur les chiffres : sur plus de 270 personnes éligibles, seules 4 ont reçu la seconde dose. Contacté, le ministère de la santé n’a pas donné suite.
A deux mois de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui doit se tenir au Cameroun, la faible couverture vaccinale inquiète. D’autant plus que la résistance à l’injection prend de l’ampleur. Certains services publics ont tenté de rendre la vaccination obligatoire.
Face à la levée de boucliers des fonctionnaires, de l’ordre des avocats et des syndicats, Joseph Le, le ministre de la fonction publique et de la reforme administrative, a dû préciser qu’il n’avait « jamais été question d’obliger les personnels de l’Etat à se faire vacciner ». Néanmoins, selon Yap Boum, dans le cadre de la CAN, « un passe sanitaire est en cours de finalisation au Cameroun (…). Le dépistage massif et la vaccination seront les deux composantes ».
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