Publié le : 01/11/2021 – 18:43
La crise diplomatique entre le pays du Cèdre et l’Arabie saoudite, déclenchée après les propos d’un ministre libanais critiquant la guerre au Yémen, dans laquelle Riyad intervient depuis 2015, fait craindre une aggravation de la situation économique et de nouvelles tensions politiques au Liban. Décryptage.
Le Liban a appelé, lundi 1er novembre, l’Arabie saoudite au « dialogue » pour régler la grave crise diplomatique entre les deux pays, provoquée par la colère de Riyad contre des propos du ministre libanais de l’Information, George Kordahi. Avant sa nomination au gouvernement, ce dernier avait qualifié d’ »absurde » l’intervention militaire du royaume wahhabite au Yémen.
Après avoir rappelé son ambassadeur de Beyrouth – une initiative imitée par plusieurs pays du Golfe – et demandé le départ de l’ambassadeur libanais à Riyad, l’Arabie saoudite a arrêté les importations en provenance du Liban vendredi, portant un coup sévère à l’économie d’un pays en plein naufrage financier.
Alors que le ministre en question, appuyé par le Hezbollah, n’entend pas démissionner, le gouvernement du Premier ministre Najib Mikati se retrouve très fragilisé.
Pour comprendre les conséquences de cette crise entre les deux pays, France 24 a interrogé Karim Sader, consultant spécialiste des pays du Golfe.
Comment expliquez-vous cette crise ? Et quelles peuvent être ses conséquences politiques au Liban ?
Karim Sader : Il faut d’abord rappeler que les relations bilatérales entre ces deux pays, depuis l’élection en 2016 du président Michel Aoun, grâce notamment à son alliance avec le Hezbollah, ne sont pas bonnes. Riyad ne digère pas la forte et croissante influence exercée par le parti chiite pro-iranien sur le Liban, un pays dans lequel le royaume a pourtant énormément investi. Les déclarations du ministre libanais, qui ont permis à Riyad d’initier cette crise, sont un prétexte venu à point nommé pour le prince héritier Mohammed ben Salmane [MBS], qui voulait absolument taper du poing sur la table et rappeler à l’ordre ses alliés occidentaux. Car à ses yeux, Paris et Washington, spécifiquement, se sont montrés très conciliants et passifs vis-à-vis de Téhéran sur la scène libanaise. Ces derniers mois, l’épisode de la formation du gouvernement, marqué par une forte empreinte du Hezbollah, et celui de l’arrivée au Liban de camions-citernes transportant du fioul iranien commandé par le parti chiite, en faisant fi des risques de sanctions américaines, sont considérés comme des camouflets pour les Saoudiens.
La réaction de MBS est d’autant plus musclée qu’elle reflète son besoin de sortir d’un certain isolement, depuis sa mise en quarantaine internationale après l’élection de Joe Biden, encore illustrée par son absence au dernier G20. La scène libanaise lui permet de se réaffirmer sur la scène régionale et de faire la démonstration que l’Arabie saoudite a des leviers importants pour influer à la fois politiquement et économiquement sur le pays du Cèdre. Un pays cher aux Occidentaux et aux Français particulièrement. Ainsi, le premier de ces leviers est de pouvoir faire planer la menace d’un torpillage du gouvernement de Najib Mikati, qui a été si laborieusement formé après de longs mois de tractations. La France et les États-Unis, qui ont donné leur bénédiction à sa formation, ne veulent pas entendre parler de la moindre déstabilisation de ce gouvernement ou de démission du Premier ministre, alors que depuis le début de cette crise, le scénario de sa chute a été évoquée à plusieurs reprises au Liban.
Quelles peuvent être les conséquences de cette crise sur une économie libanaise déjà en lambeaux ?
Le contexte est terrible pour le Liban, étranglé financièrement et privé d’aide internationale. C’est pour cela que Riyad choisit bien son moment. L’économie est le dernier levier direct de Riyad dans le pays, après avoir perdu une grande influence sur les acteurs politiques depuis son divorce avec le camp de l’ancien Premier ministre Saad Hariri. Cette crise n’est pas de bon augure pour le Liban et peut lui coûter très cher économiquement en raison de sa forte dépendance envers les pétromonarchies du Golfe, l’Arabie saoudite en tête. Le pays du Cèdre est plus que jamais dépendant des transferts de devises émanant de sa diaspora, sachant qu’une grande majorité de ses expatriés génère ses revenus à partir des pays du Golfe, puisqu’ils sont près de 550 000 à vivre dans la région, dont près de 350 000 en Arabie saoudite. Des devises dont le Liban manque cruellement après les restrictions imposées par les banques sur les retraits en dollars et la fin des subventions internationales. Les mesures de rétorsion économiques saoudiennes, à savoir l’embargo contre les importations libanaises, sont également un coup dur : on parle de 300 millions de dollars annuels de manque à gagner pour le Liban. Ce dernier n’est pas un pays qui a vocation à exporter, mais 10 % de ses exportations totales vont vers l’Arabie saoudite. Donc en frappant au portefeuille, Riyad rappelle aux Libanais que leur complaisance envers le Hezbollah peut leur coûter cher, dans le sens propre du terme, et qu’elle peut être un facteur d’isolement du Liban dans son environnement arabe.
Alors que le bras de fer se poursuit, quel peut-être le scénario de sortie de crise ?
L’Arabie saoudite ne souhaite pas provoquer la chute du gouvernement pour ne pas se mettre ses alliés occidentaux à dos. La manœuvre de Riyad est à relier à la politique impulsive et instinctive de MBS, qui commence souvent par une initiative ou un geste forts, avant de finir par tempérer ses ardeurs et aller dans le sens d’une désescalade. Nul n’a oublié l’épisode durant lequel il avait tout bonnement fait retenir de force, dans le royaume, Saad Hariri, qu’il avait obligé à démissionner de son poste de Premier ministre, avant de lui permettre de rentrer au Liban après l’intervention du président Emmanuel Macron. Dans le cas actuel, l’Arabie saoudite ayant déjà fait étalage de sa capacité de nuisance, ou en tout cas des leviers à sa disposition, et le message diplomatique ayant été transmis et reçu, on pourrait s’attendre à la voir tempérer ses positions. D’abord en se gardant de prendre des sanctions contre les expatriés libanais, ce qui serait quasiment fatal pour l’économie libanaise. Les Saoudiens ont tout intérêt, pour pouvoir peser sur la politique libanaise, à maintenir ces expatriés en leur faveur en leur permettant de continuer à profiter de l’économie du Golfe, puisque ces derniers seront amenés à voter lors des prochaines législatives du mois de mars.
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