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Le marché carbone européen à l’épreuve de la crise de l’énergie

Le marché européen du carbone, un outil pionnier de lutte contre le changement climatique, voit son élargissement remis en cause par des Etats inquiets d’une crise sociale, en pleine flambée des prix de l’énergie.

Les marchés du carbone, où les entreprises achètent et revendent des « droits à polluer » alloués en nombre limité par les autorités, seront un sujet-phare de la COP26, où le projet européen aura valeur de test.

Etabli dès 2005, le premier du globe, l’actuel système d’échange de quotas d’émission (ETS) européen couvre les producteurs d’électricité et industries gourmandes en énergie (sidérurgie, ciment…), soit 40% des émissions du continent.

Or, pour réduire de 55% d’ici 2030 les émissions de gaz à effet de serre de l’UE par rapport à 1990, Bruxelles a proposé mi-juillet de sabrer les quotas gratuits au transport aérien, d’intégrer le transport maritime au système, et surtout d’en créer un deuxième pour le transport routier et le chauffage des bâtiments.

A partir de 2025, les fournisseurs de carburants et fioul domestique devraient à leur tour acheter des quotas d’émissions.

Au risque de répercuter le surcoût sur les consommateurs: le projet, dénoncé par une partie des Etats membres –dont l’accord est nécessaire–, est désormais fragilisé par la crise énergétique.

Une pompe à essence près de Peine, en Allemagne, le 18 octobre 2021 (AFP – Ina Fassbender)

La flambée des prix du gaz s’accompagne d’une envolée du prix de la tonne de CO2 en Europe: il a doublé en un an pour dépasser 60 euros fin août.

Mais seulement un cinquième de la hausse des prix de l’électricité est attribuable au marché carbone, insiste Bruxelles, où l’on rappelle que le renchérissement du prix du CO2 a aussi permis aux Vingt-Sept d’engranger 11 milliards d’euros supplémentaires de janvier à août.

– « Piège à pauvreté » –

Lors d’une rencontre début octobre, les ministres européens de l’Environnement n’en ont pas moins exprimé leurs réserves.

« La création d’un nouveau marché carbone suscite de profondes inquiétudes, elle risque d’augmenter les coûts de l’énergie pour les ménages sans donner de visibilité sur l’évolution des prix » du CO2, s’est alarmée la Française Barbara Pompili.

La ministre française de la Transition écologique Barbara Pompili à l’Assemblée nationale, à Paris, le 12 octobre 2021 (AFP/Archives – Alain JOCARD)

« Nous sommes préoccupés, en raison des problèmes actuels de précarité énergétique », a renchéri son homologue chypriote Andreas Gregoriou.

« Il faut que ce soit socialement acceptable », prévenait dès juillet le ministre polonais de l’Environnement Michal Kurtyka, fustigeant un « piège à pauvreté » alors qu’en Europe centrale, une partie de la population « ne peut simplement pas se permettre » de payer davantage pour l’essence et le chauffage.

En outre, sur l’ETS actuel, « la spéculation a augmenté massivement », surpassant toutes les prévisions, s’est plainte la ministre espagnole Teresa Ribera, interrogeant « la viabilité du système ».

– « Outil de décarbonation » –

Pascal Canfin, président (Renew, libéraux) de la commission Environnement au Parlement européen, modère: « On entre dans un niveau de prix (du CO2) permettant de rendre les technologies décarbonées beaucoup plus profitables », et l’ETS actuel ne touche que très indirectement les consommateurs, assure-t-il.

En revanche, il se dit aussi hostile à l’extension aux transports et bâtiments. « C’est très régressif sur le plan social (…) on retravaille à une recalibration pour ne pas pénaliser les ménages », précise-t-il.

Des eurodéputés envisagent d’étendre l’ETS uniquement aux poids-lourds et à l’immobilier commercial.

Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, à Bruxelles, le 29 septembre 2021 (POOL/AFP/Archives – Stephanie LECOCQ)

La Commission, elle, s’accroche au projet: son vice-président Frans Timmermans fustige « l’argument +gilets jaunes+ », assurant ne voir aucune autre solution d’efficacité comparable pour verdir les secteurs ciblés.

Il rappelle volontiers que Bruxelles propose l’établissement d’un fonds social, évalué à quelque 70 milliards d’euros sur sept ans et alimenté par les recettes du marché carbone, pour limiter l’impact social.

Une solution viable selon Thomas Pellerin-Carlin de l’institut Jacques-Delors: « Une partie des revenus de l’ETS va déjà dans des fonds européens pour l’innovation et la modernisation », rappelle-t-il.

« Le marché du carbone n’est pas une fin en soi, c’est un outil pour générer de l’investissement dans la décarbonation » en encourageant les technologies vertes, fait valoir M. Canfin.

Bruxelles veut aussi soumettre certaines importations (acier, aluminium, ciment, engrais, électricité) aux règles de l’ETS européen, en leur imposant des « certificats d’émissions » calculés sur le prix du CO2 dans l’UE. Tout en tenant compte des quotas déjà achetés par les producteurs dans leur pays s’il y existe un marché carbone.

Au risque de calculs complexes: si environ quarante pays hors UE ont un marché du carbone, beaucoup ont des critères différents, tandis que d’autres Etats appliquent plutôt des normes d’émissions ou des taxes.

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