Les plateformes d’emploi de type Uber ou Deliveroo remettent en cause tous les fondements de notre modèle social. Et en particulier toute la législation du travail qui, au travers du code du travail et de la jurisprudence, a permis de fixer des règles, des droits et des protections aux travailleurs. Avec son statut d’indépendant, et son régime fiscal d’auto-entrepreneur, le livreur Uber Eats ou Deliveroo se retrouve en situation d’extrême précarité. Pour lui, ni durée maximale de travail ni rémunération horaire minimale ! Ses conditions de travail, hyper physiques et dangereuses, sont régies par des algorithmes sur lesquels il n’a aucune prise.
La révolution digitale, loin de réduire la pénibilité du travail, au contraire, l’augmente et crée de nouveaux prolétaires. Pour gagner leur vie, les livreurs doivent rouler toujours plus pour compenser les baisses de tarifs imposées par les plateformes. Résultat, les livreurs prennent toujours plus de risques – en cramant notamment tous les feux rouges – pour gagner la moindre seconde soit le moindre centime. Cette détérioration des conditions de travail a conduit à une modification de la sociologie des livreurs. Au début, il y avait beaucoup d’étudiants, et de chômeurs en quête de revenus complémentaires. Aujourd’hui, les livraisons sont massivement faites par des jeunes sans aucune qualification ou des migrants, souvent sans-papier, qui sous-louent les comptes de livreurs contre rémunération.
Croissance effrénée
Cette activité de livraison aurait-elle pu se développer sous le régime du salariat ? Certainement. Avant la révolution digitale, des chaînes de pizzeria proposaient bien des services de livraison à domicile, en embauchant des livreurs en CDD ou en CDI à temps très partiel. Les conditions de travail de ces jeunes n’étaient certainement pas exemplaires, mais ils bénéficiaient néanmoins de protections bien supérieures. En revanche, il est évident que ces plateformes n’auraient jamais pu connaître une expansion aussi rapide sans s’affranchir du code du travail. En France, l’invention du régime des auto-entrepreneurs en 2008 (par l’ultralibéral Hervé Novelli) a largement contribué au développement hyper rapide de ces applications numériques. En s’exonérant de toute règle sociale, les sociétés Uber et compagnie ont pu gagner des parts de marché à un rythme fou. Sans jamais, d’ailleurs, se soucier véritablement de leur rentabilité. Ces plateformes ne gagnent d’ailleurs pas d’argent : leur valorisation, et donc la richesse de leurs créateurs, ne repose que sur leur croissance effrénée.
Rien ne dit pour autant que ces acteurs vont au final pouvoir imposer leur modèle économique, et continuer à détruire toutes les protections des travailleurs. Car les pouvoirs publics prennent conscience de l’extrême dangerosité de ces plateformes. Et pas seulement en France. De la Chine à la Californie, en passant par l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni, la résistance des Etats s’organise. Sous l’impulsion des législateurs et/ou des juges. Partout sur la planète, ces applications numériques voient leur avenir menacé par la puissance publique, qui cherche à faire reconnaître la qualité de salariés de ces livreurs ou chauffeurs, dont l’activité ne relève en rien de l’indépendance. Sans parler de la fronde montante des riverains, qui luttent contre l’implantation de « dark kitchens » à proximité de leur domicile. Pas tant par solidarité avec les livreurs. Mais parce qu’ils ne supportent plus les nuisances sonores générées par le va-et-vient incessant de scooters qui viennent prendre livraison des commandes de leurs clients.
Par Jérôme Pimot, syndicaliste et ex-livreur à vélo, président du Collectif des livreurs autonomes de plateformes (Clap)
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