Depuis la demi-finale du Mondial-2018 remportée par la France, une rivalité toxique exacerbée par les réseaux sociaux est née entre les Français jugés méprisants et une Belgique qui serait mauvaise perdante, ou plutôt ayant le « seum », selon l’expression consacrée. Trois ans plus tard, les deux voisins se retrouvent dans une autre demi-finale, celle de la Ligue des nations cette fois, pour une revanche au sommet.
La rivalité fait le sel du football. Longtemps, celle entre la France et la Belgique a été bon enfant et toute rencontre entre les deux nations était qualifiée sans ironie de gentille « fête des voisins ». Mais cette amitié a volé en éclats le 10 juillet 2018 à Saint-Pétersbourg, lorsqu’un but et un déhanché de Samuel Umtiti face aux Diables rouges a catapulté les Bleus en finale du Mondial. Une défaite sur le plus petit des scores que les Belges, qui avaient pourtant livré une belle prestation sur le terrain, ont eu du mal à digérer.
« Je préfère perdre avec cette Belgique que gagner avec cette France », avait lancé le capitaine belge Eden Hazard, après la demi-finale perdue.
« C’était un match frustrant, la France a joué à rien, a joué à défendre avec onze joueurs à 40 mètres de leur but », avait lâché le gardien Thibaut Courtois. « La frustration est là, car on perd contre une équipe qui n’est pas meilleure que nous, on a perdu contre une équipe qui joue à rien, qui défend. »
Sur les réseaux sociaux après ces deux déclarations effectuées sans recul après le match, les Diables rouges et leurs supporters sont rapidement dépeints en mauvais perdants ayant le « seum » (la rage, en argot) par des supporters français goguenards et un brin arrogants.
Sur la Toile française nait alors un gag récurrent – ou mème – et le drapeau belge devient un synonyme de « seum ». Depuis, l’antagonisme n’a fait que grandir entre les supporters alors que les deux rivaux se retrouvent jeudi 7 octobre en demi-finale de la Ligue des nations (20 h 45).
« Se moquer cinq minutes ça va, en rajouter depuis trois ans, c’est inutile », explique Fabien Bonnel, un des animateurs du groupe de supporters Les Irrésistibles Français (IF), à propos de ce « running-gag de bas niveau » qui prolifère sur Internet. Il se met à la place des supporters belges : « Si on me sort ça tous les matins, à mettre du ‘seum’ à toutes les sauces, à un moment je vais t’en vouloir et ne pas forcément être gentil ».
« Il y a toujours eu une petite animosité, mais plutôt taquine historiquement », affirme Swann Borsellino, journaliste pour le magazine français So Foot mais aussi pour la chaine de télé belge RTBF. Mais « depuis 2018, cela m’agace vraiment car c’est devenu toxique, invivable et stupide », dit-il, effaré devant les proportions prises par cet antagonisme.
La rivalité atteint de nouvelles proportions à l’Euro-2021. Alors que les supporters des deux nations salivent à l’idée de se croiser en demi-finale, la France se fait éliminer par la Suisse dès les huitièmes de finale. Une sortie de piste fêtée en Belgique par des attroupements de supporters. À Bruxelles, certains brûlent un drapeau français, selon le site belge 7 sur 7. À Charleroi, l’élimination des Bleus a aussi été fêtée avec des coups de klaxon et des fumigènes.
La revanche face à leur arrogant voisin était à portée de main pour les Belges, mais le karma n’est jamais loin : la Belgique s’est inclinée en quart de finale face à l’Italie, future championne d’Europe. Autant pour les rêves de premier sacre.
« Qui seum le vent récolte le chauvinisme »
À l’approche de la nouvelle demi-finale entre les voisins, à Turin, plusieurs acteurs du monde du football tentent de désamorcer la tension croissante entre les deux nations.
La rivalité a toujours été « saine et sportive » sur le terrain, mais il y a à l’extérieur « des excès des deux côtés, car on est dans les interprétations de propos à chaud (…) qui ont pris certainement trop d’importance », a ainsi tenté de tempérer le sélectionneur français Didier Deschamps en conférence de presse.
Swann Borsellino, pour sa part, paierait cher pour retrouver le souvenir des France-Belgique d’avant-2018. « Je rêverais qu’il n’y ait que la rivalité sportive, entre une Belgique n°1 mondiale [au classement Fifa, NDLR] et une France championne du monde. Elle est superbe, cette rivalité-là, c’est celle-là qui compte », dit le journaliste qui vit entre Paris et Bruxelles
Au lendemain de l’incident du drapeau, son collègue Bertrand Henne avait rédigé un édito titré « Qui seum le vent récolte le chauvinisme », tandis que Swann Borsellino appelait à un retour de la bienveillance.
Je n’ai pas vocation à être ambassadeur de France à Bruxelles et surtout j’ai conscience des nombreux abus venus de mon côté du Quiévrain mais il y a un moment où il faut que ça redevienne bon enfant.
— Swann Borsellino (@SwannBorsellino) June 28, 2021
À la Coupe du monde en Russie en 2018, les Belges avaient « l’une des meilleures équipes de leur histoire, ils avaient une croyance énorme en leurs chances », poursuit-il. L’opportunité de gagner un Mondial se présente rarement chez eux, « beaucoup de gens qui se moquent des Belges ne comprennent pas cette situation ».
« La Belgique a une super génération et pouvait espérer ce moment de joie ultime qu’on a eu, je me doute que c’était douloureux et que ça puisse encore l’être pour eux », prolonge Fabien Bonnel, l’animateur du groupe de supporters Les Irrésistibles Français (IF).
Lui préfère retenir la complicité nouée avec ses homologues belges autour d’un barbecue en 2013, d’une partie de foot en 2018 en Russie ou encore dans les tribunes du Stade de France, avec des supporters venus « avec leurs maillots belges » pour assister à un match des Bleus.
« Nous les ‘IF’, on a une amitié avec les ultras belges », poursuit Kin-Wai Yuen, un membre actif, prenant en exemple la bâche installée l’été dernier durant Suisse-France en hommage à Erik Reynaerts, figure des tribunes décédée à l’Euro-2016. « C’est une amitié avec ces supporters belges, ça ne représente pas le grand public, les réseaux sociaux, les ‘haters’ [les haineux, NDLR]. »
Du côté des Irrésistibles Français, on espère que les tensions perceptibles en ligne et dans certaines manifestations de rue ne trouveront pas un prolongement aux abords du Juventus Stadium alors que plusieurs matches, notamment en Ligue 1, ont été marqués par les débordements de supporters ces dernières semaines.
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