Sur le boulevard Triomphal, large artère de Libreville, des bâtiments publics construits lorsque l’argent de l’or noir coulait encore à flots rivalisent de démesure. A côté du ministère du pétrole voisin, imposante carcasse de béton en forme de torche pointée vers le ciel, le ministère des eaux et des forêts se remarque à peine. Sorte de cité perdue parmi des colosses arrogants, sa façade rouge déborde d’arbustes graciles qui font de l’ombre à des mosaïques figurant des plantes, des poissons et des hippocampes.
Trompeuse discrétion. Au dernier étage du bâtiment s’affaire un des personnages les plus écoutés et les plus singuliers du régime. « Je suis un Blanc qui s’appelle White, mais au bout de toutes ces années, je fais partie des meubles », devance avec humour le scientifique britannique pour répondre à la curiosité qu’il ne manque pas de susciter. A 56 ans, Lee White, nommé en 2019 ministre des eaux, des forêts, de la mer, de l’environnement et chargé du plan d’affectation des terres, a passé plus de la moitié de sa vie au Gabon, dont il a fini par prendre la nationalité.
Un gorille saisi par une caméra dormante dans le Parc de La Lopé, au Gabon, dans le cadre du projet Biomonitoring. Agence nationale des parcs nationaux du Gabon
Depuis plus de vingt ans, l’intellectuel affable et brillant incarne l’influence qu’exercent avec succès les conservationnistes sur les Bongo, maîtres inamovibles de cet éden africain où subsistent les dernières grandes populations d’éléphants de forêts menacées par le trafic de l’ivoire. Après dix années passées à la tête de l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) à lutter contre les braconniers, il a accepté sans hésitation son ultime promotion. « J’aurais pu rester biologiste et documenter toute ma vie la destruction des forêts tropicales. J’ai choisi d’agir », insiste-t-il dans un français dont l’accent rappelle la terre de Sa Gracieuse Majesté. Ministre paré d’une longue liste d’attributions, il a enfin toutes les cartes en main pour réaliser son ambition : faire de « l’émirat » du golfe de Guinée le pionnier d’un développement écologique en Afrique. Comme l’est devenu le Costa Rica en Amérique centrale. « Dans une quinzaine d’années, la rente pétrolière sera épuisée. Seule la forêt pourra la remplacer. Nous devons trouver un équilibre entre l’exploiter et la protéger », défend le biologiste.
Le Gabon a été le premier pays africain à apporter sa pierre à l’accord de Paris sur le climat, en promettant d’infléchir de plus de 60 % ses émissions de gaz à effet de serre
Ce natif de Manchester, qui se plaît à rappeler son enfance en Ouganda au temps du dictateur Idi Amin Dada, minimise son rôle de conseiller du prince, dont il est, à son goût, trop souvent crédité. Il ne se voit pas davantage en faire-valoir d’un régime dévoyé auprès des bailleurs étrangers. « Je connais son cœur, il ne fait pas cela pour redorer son image », assure-t-il en louant la « volonté politique » d’Ali Bongo Ondimba, qui a succédé en 2009 à son père, Omar, demeuré au pouvoir pendant près de quarante-deux ans. A ceux qui l’accusent de compromission, il répond simplement : « J’ai accepté mon poste sans aucune réserve. C’est un privilège qui me donne le pouvoir d’agir concrètement pour la protection de la nature. Il ne nous reste qu’une décennie pour éviter le pire. »
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L’engagement d’Ali Bongo est une réalité. Le Gabon a été le premier pays africain à apporter sa pierre à l’accord de Paris sur le climat en promettant, en 2015, d’infléchir de plus de 60 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à un scénario non maîtrisé. Il fait aussi partie de l’avant-garde des Etats militant pour que 30 % des terres soient placées sous protection afin d’enrayer le déclin dramatique des espèces.
« Démocratie climatique »
Malgré les séquelles d’un grave accident vasculaire cérébral survenu en 2018, Ali Bongo, rare chef d’Etat d’Afrique francophone à s’exprimer en anglais, continue, de sommet en sommet, de plaider la cause du climat, des éléphants et des forêts. Cet agenda que l’héritier d’Omar partage avec le prince Charles a facilité son rapprochement avec le Royaume-Uni, où il séjourne souvent. Lee White, distingué Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique par Elizabeth II pour « services rendus à la protection de la nature en Afrique centrale », est là pour l’appuyer. Leurs routes se croiseront à nouveau en novembre, lorsque le Royaume-Uni sera l’hôte de la conférence mondiale sur le climat et le Gabon, pays porte-parole de l’Afrique.
Un babouin dans le Parc national de la Lopé, au Gabon. Agence nationale des parcs nationaux du Gabon
Parmi des invités triés sur le volet, Ali Bongo a participé en avril à la conférence sur le climat organisée par le président américain, Joe Biden. Au passage, il en a profité pour tancer ceux qui n’agissent pas, en leur rappelant que le monde vit « dans une démocratie climatique », lui dont les deux élections – en 2009 puis en 2016 – restent fortement contestées.
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Le mois suivant, alors qu’Emmanuel Macron réunissait à Paris une trentaine de chefs d’Etat du continent pour parler du financement des économies africaines, l’homme fort de Libreville lançait de son côté un appel, avec le président du Costa Rica, Carlos Alvarado Quesada, pour réclamer un nouveau traité international destiné à sanctionner plus sévèrement le trafic des espèces sauvages. Une idée chère au conservationniste John Scanlon, que Lee White connaît bien. L’Australien a dirigé la convention sur le commerce international des espèces en danger d’extinction (Cites), cette enceinte où se décident les moratoires au commerce comme celui qui frappe l’ivoire. Depuis l’an dernier, John Scanlon préside le fonds créé par le gouvernement britannique pour combattre la criminalité faunique. La conservation est un petit monde avec ses réseaux et ses relais. En Afrique centrale, le président gabonais est assurément leur meilleur allié.
La méfiance règne entre les bailleurs occidentaux et des Etats aux pratiques de corruption bien ancrées
Le Gabon est aussi le premier pays de la région dont la Norvège a choisi de récompenser les efforts contre la déforestation. En 2019, un accord qualifié d’« historique » a été signé, avec à la clé le versement de 150 millions de dollars sur dix ans (126 millions d’euros). Pour qui connaît le long parcours auquel doivent se plier les Etats pour accéder à ces financements internationaux, le qualificatif n’est pas exagéré. Jusque-là, seuls des pays du bassin amazonien et l’Indonésie étaient parvenus à obtenir le soutien du gouvernement norvégien, qui, depuis plus d’une décennie, agit en principal « mécène » des forêts tropicales. Car si le sauvetage de ces précieux puits de carbone est considéré comme primordial pour maîtriser le dérèglement climatique, le mécanisme imaginé dans le cadre des négociations internationales s’est révélé laborieux et frustrant pour les pays d’Afrique centrale. A ce jour, l’argent promis pour le programme baptisé REDD (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts) a surtout fait la fortune des cabinets de consultants étrangers et de quelques ONG dont l’expertise a été mobilisée pour mesurer le stock de carbone forestier, guider les gouvernements dans la formulation de leurs engagements, mener des programmes pilotes…
Le faible niveau de déforestation dans le bassin du Congo, comparé à la destruction observée en Asie et en Amérique du Sud, avec l’avancée de fronts pionniers liés aux grandes cultures industrielles et à l’élevage, a souvent été mis en avant pour justifier que le deuxième bassin forestier de la planète passe au second plan dans l’agenda international. L’argument n’a peut-être pas tant joué que le manque de confiance des bailleurs occidentaux envers des Etats connus pour leurs pratiques de corruption bien ancrées. Là encore, la réputation et les arguments de Lee White ont permis au Gabon de contourner l’écueil. Le 22 juin, l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI), à travers laquelle la Norvège opère, a annoncé le décaissement d’une première tranche de 17 millions de dollars. A 5 euros la tonne de carbone, le prix se situe loin des attentes du ministre, mais cette étape est un rendez-vous pris avec les marchés du carbone.
Dès 1999, l’objectif est d’attirer l’attention du monde sur ces paysages décrits comme les derniers refuges d’une nature encore vierge
La forêt humide gabonaise, avec ses 23 millions d’hectares, absorbe environ 140 millions de tonnes de CO2 chaque année. « Ce premier versement aidera à financer des projets de préservation des forêts tout en ouvrant la voie pour finaliser les systèmes qui permettront au Gabon de vendre officiellement des crédits carbone à l’avenir », a déclaré Lee White, en remerciant le représentant d’Oslo pour ce geste de « reconnaissance ». Professeur honoraire de l’université de Stirling (Royaume-Uni), Lee White est convaincu depuis longtemps que les Etats pollueurs ou les multinationales auront besoin de se tourner vers des pays comme le Gabon pour acheter des crédits leur permettant de compenser une partie de leurs propres émissions de CO2 et respecter leurs engagements climatiques.
Un léopard dans le Parc de la Lopé, au Gabon. Agence nationale des parcs nationaux du Gabon
Il est difficile de comprendre pourquoi, au début des années 2000, l’ex-colonie française est devenue une nouvelle frontière pour les conservationnistes anglo-saxons, si l’on n’a pas à l’esprit l’expédition de l’aventurier américain Mike Fay. Financé par la National Geographic Society, le zoologiste, spécialiste des gorilles, part le 20 septembre 1999 de Bomassa, dans le nord du Congo voisin, avec pour projet de relier la côte gabonaise en s’enfonçant au plus profond du gigantesque massif forestier. Pour cette traversée, baptisée Megatransect, il emmène avec lui Nick Nichols, photographe de la revue américaine. L’objectif est d’attirer l’attention du monde sur ces paysages décrits comme les derniers refuges d’une nature encore vierge.
Leur périple s’achève quatre cent cinquante-cinq jours plus tard, le 18 décembre 2000, après qu’ils ont parcouru 3 200 kilomètres, au cours desquels le représentant de la Wildlife Conservation Society (WCS), l’une des plus anciennes ONG de conservation, collecte échantillons de plantes, traces d’animaux, empreintes humaines… National Geographic publie trois longs reportages, riches de photos époustouflantes, au cœur de cette « Afrique sauvage » qui nourrit l’imaginaire d’un éden perdu.
Les « Lee boys »
En route, ils se sont arrêtés à la station d’études des gorilles et des chimpanzés de la réserve de faune de la Lopé, où travaille Lee White. C’est ici que, à la fin des années 1980, le biologiste a fait sa thèse sur l’impact de l’exploitation forestière sur les populations d’éléphants et de grands singes avant de rejoindre WCS, dont il a ouvert le bureau local. Située à 400 kilomètres à l’est de Libreville, la Lopé est restée son quartier général. L’idée de proposer la création de parcs nationaux au gouvernement prend forme au fil de sa conversation avec les aventuriers.
La suite est restée gravée dans la mémoire de cette petite tribu de missionnaires de la nature comme le coup le plus extraordinaire de leur histoire. La partie commence en mai 2002. Philipp Henschel, installé à la terrasse du Tropicana, un agréable restaurant de bord de mer à Libreville, s’en souvient nettement. « Nous étions en train de dîner avec Lee, à l’endroit où je vous parle, quand nous avons reçu un appel de Mike [Fay] depuis New York. Grâce aux relations de WCS avec des sénateurs, Mike venait de rencontrer Omar Bongo et de lui présenter des photos de l’expédition. L’accueil avait été à la fois enthousiaste et surprenant. Le président venait de découvrir l’existence d’une faune dont il ignorait tout. » Philipp Henschel dirige aujourd’hui l’antenne de l’ONG américaine Panthera, spécialisée comme son nom l’indique dans la protection des félins. Cet Allemand fait partie de ceux baptisés ici les « Lee Boys ». Comme leur mentor, ils sont arrivés au Gabon, la vingtaine encore fraîche, pour faire leur thèse ou travailler pour une ONG, et ils n’en sont plus jamais repartis. « Le Gabon est la seule lueur d’espoir pour la conservation dans le bassin du Congo. C’est un pays stable, nous sommes soutenus au sommet de l’Etat, et il y a encore tellement de choses à découvrir », se réjouit-il en décrivant ses longues missions passées dans la forêt à observer les léopards.
Au mois d’août 2002, la deuxième manche de la partie se joue à Libreville, lors du conseil des ministres extraordinaire convoqué par Omar Bongo. Lee White, Mike Fay et Andre Kamdem Toham, représentant du World Wildlife Fund (WWF), l’autre ONG de conservation très active dans le pays, ont été conviés. Les résultats de Megatransect sont présentés au gouvernement. Une carte ébauchant un réseau de treize parcs nationaux ciblant les espaces les plus précieux et couvrant 11 % du territoire national a été préparée. A l’issue de premières discussions entre les naturalistes et le ministre des forêts, Emile Doumba, est envisagée la création d’un unique parc sur le site de la Lopé, la plus ancienne réserve de chasse instaurée par les Français, en 1946. Mais, à la surprise générale, Omar Bongo, en nouveau converti, veut davantage.
« National Geographic » parle d’un exploit qui a changé le cours de la conservation en Afrique, comparable à la création du premier parc national américain de Yellowstone
La naissance de 13 parcs nationaux est actée par décret en septembre, quelques jours avant le sommet mondial sur le développement durable organisé à Johannesburg, où le chef de l’Etat peut en faire l’annonce. A la même tribune, son ami Jacques Chirac fustige dans un discours resté célèbre l’aveuglement de ceux qui regardent ailleurs alors que notre « maison brûle ». National Geographic est encore là pour magnifier l’événement : il fait sa « une » sur le « Sauvetage d’un éden africain », parle d’un exploit qui a changé le cours de la conservation en Afrique, comparable à la création par le président Ulysses Grant du premier parc national américain, Yellowstone, en 1872. « C’est comme si la reine avait posé une clôture autour du Pays de Galles », insiste la légende de la photo pour en donner la mesure.
L’ascension de Lee White peut commencer : l’ONG américaine WCS, déjà bien implantée dans le bassin du Congo, devient un partenaire incontournable pour donner vie à ces enclaves dessinées sur le papier. Les fonds affluent des Etats-Unis et de l’Union européenne. L’administration gabonaise a peu d’expérience dans la gestion des aires protégées, et si une Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) voit le jour, ce sont en réalité les experts de l’ONG qui sont aux commandes pour former les écogardes et gérer les sites dont ils assurent le suivi écologique.
Un pangolin géant dans le Parc de la Lopé, au Gabon, saisi par une caméra dormante. Agence nationale des parcs nationaux du Gabon
Le parc de la Lopé, sanctuaire de 5 000 kilomètres carrés, devient le laboratoire et la vitrine de cette aventure qui s’écrit en famille. La femme de Lee White, Kate Abernethy, biologiste aussi affiliée à l’université de Stirling, travaille alors sur le comportement des gorilles des plaines. Deux ans auparavant, elle avait pris la direction de la station d’études. Dans ce havre de science isolé au milieu de la forêt, chercheurs et ONG forment une seule communauté. Quelques maisons construites en planches d’okoumé servent d’abri pour dormir, manger ou travailler. La plus grande fait office de maison commune, avec sa cuisine et sa terrasse ouverte sur une poche de savane où se promènent les animaux dans la fraîcheur de la soirée. Au petit matin, chacun regagne son terrain, sécateur à la main, pour se frayer un chemin dans l’entrelacs des lianes et des grands arbres.
« C’est un lieu d’inspiration et le cerveau de la station », s’enthousiasme Brice Roxan Momboua, un jeune étudiant gabonais en poste ici, en poussant la porte de la case qui, pour ces passionnés, tient lieu de salle au trésor. Sur la droite, dans une grande bibliothèque, sont soigneusement rangés les ouvrages des pionniers de l’écologie tropicale et des monographies pointues sur la faune et la flore du Gabon. L’Origine des espèces de Charles Darwin y trouve comme il se doit sa place. Dans un coin, trois photos un peu jaunies de Lee et Kate sont restées accrochées. L’herbier créé par Lee White occupe un autre pan de mur avec des piles de cahiers dans lesquels sont consignées les observations patiemment collectées sur un groupe de quelque sept cents arbres. « Chaque mois, nous mesurons les arbres, vérifions la qualité de leurs feuilles, la maturité des fruits, l’état de la canopée », détaille M. Momboua.
Les villageois en veulent aux éléphants de détruire leurs cultures et aux autorités locales de ne pas les protéger. Les « éléphants de Lee » sortent de plus en plus des forêts
Lee White a beau avoir quitté depuis longtemps la station de la Lopé, les relevés continuent à lui être envoyés. Ces données accumulées depuis 1989 constituent le plus long suivi phénologique d’Afrique centrale. Elles ont permis d’établir un lien entre le changement climatique et une chute spectaculaire de la quantité de fruits disponibles dans la forêt pour les éléphants. Croisé avec 3 000 photos de pachydermes, ce résultat donne aussi une possible explication à l’amaigrissement des animaux observé par les chercheurs. L’étude a paru dans la revue Science en septembre 2020. S’il est entré en politique, le professeur n’a jamais cessé de publier et continue d’entretenir d’intenses échanges avec ses collègues de Stirling ou d’autres universités. La science fait partie des armes de son plaidoyer.
Mais s’il est acclamé dans les enceintes internationales où se discute l’avenir de l’humanité, il n’a pas ici que des apôtres. La saga prend alors un tour moins enchanté. Fin mai 2021, un écogarde a été tué d’un coup de fusil à Mekambo, une ville de quelques milliers d’habitants située dans le nord-est du pays, à proximité du Congo. Il n’a pas encore été établi si le meurtrier était un braconnier, comme l’a rapidement affirmé le ministre des forêts. Mais depuis plusieurs semaines, la ville vivait au rythme des manifestations de villageois venus crier leur colère contre la destruction de leurs champs par les éléphants et l’inertie des autorités.
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La maison du préfet a été saccagée, et il a dû se réfugier au poste de gendarmerie pour échapper à la foule. A Mekambo, la colère a pris une tournure dramatique, mais dans le reste du pays, la tension monte aussi. Est-ce parce qu’ils ont faim ou qu’ils ne sentent plus le danger, les « éléphants de Lee », comme ils sont surnommés ici, sortent de plus en plus des forêts. Sur le bord des routes, il suffit d’être blanc et de rouler en 4 x 4 pour être interpellé. « Les Américains donnent de l’argent pour sauver les éléphants, mais nous, nous n’avons rien, hurle un homme à côté de sa maison. Ils sont venus cette nuit, ils ont tout dévasté. Mes deux plantations de taro et de bananes ont été piétinées, que vais-je faire maintenant pour nourrir mes enfants ? »
« La protection de la faune continue à être imposée de manière répressive, alors que, dans les campagnes, les populations n’ont rien », assure Marc Ona Essangui, fondateur de l’ONG Brainforest
Les statistiques enregistrent froidement la montée de ces « conflits hommes-faune », mais, sur le terrain, aucune réponse n’a été apportée, hormis la pose de quelques clôtures électriques au coût trop exorbitant pour être généralisées. « Nous avons reçu 46 plaintes en 2020, mais nous n’avons pas d’argent pour dédommager les victimes. Les populations sont à bout et nous avons du mal à les calmer », s’inquiète le chef d’un cantonnement du ministère des eaux et forêts, en demandant à ne pas être cité. Le faible peuplement – 2 millions d’habitants, en majorité concentrés dans les villes côtières – a longtemps été un argument pour minimiser l’ampleur du problème. Il n’est aujourd’hui plus possible de l’ignorer. Pour la première fois, 1,6 milliard de francs CFA (2,5 millions d’euros) ont été inscrits dans le budget pour s’en occuper.
Comme ailleurs en Afrique, la création des parcs nationaux a entraîné des expulsions qui ont laissé les populations amères. Aucune compensation ne leur a été versée et les promesses de retombées économiques grâce au développement de l’écotourisme ne se sont pas matérialisées. Difficile de faire venir des visiteurs étrangers dans un pays où presque aucune route n’est bitumée. « La conservation s’est faite sur le dos des populations », reconnaît un zoologiste témoin de leur marginalisation, qui souhaite rester anonyme. Marc Ona Essangui, fondateur de l’ONG Brainforest et président du mouvement citoyen Tournons la page, fait ce constat sévère : « La protection de la faune continue à être imposée de manière répressive, alors que, dans les campagnes, les populations n’ont rien. Pas d’accès à l’électricité, pas d’accès à la santé, et l’agriculture est leur seul moyen de subsistance. »
En cette fin du mois de mai, des agents des eaux et forêts font grève. Ils revendiquent le paiement de leurs arriérés de salaire en jouant du tam-tam au pied du ministère. Sur une banderole tendue entre deux arbres, il est écrit : « Satan, sors de chez nous ! » A quelques quartiers de là, les écogardes de l’Agence nationale des parcs nationaux ont aussi débrayé. Ils réclament un statut comparable à celui des fonctionnaires et des comptes sur ce qu’il est advenu des cotisations versées à leur caisse de retraite et introuvables à ce jour.
Un éléphant d’Afrique dans le Parc de la Lopé, au Gabon. Agence nationale des parcs nationaux du Gabon
« Cela fait des mois que cela dure. Les agents qui ne sont plus payés tracassent la population [comprendre : rackettent] et gardent les amendes tirées des saisies de braconnage », fulmine un diplomate européen, qui ne masque plus son agacement. Les députés ont recalé le projet de loi soutenu par le chef de l’Etat actant la transformation de l’Agence nationale des parcs nationaux en Agence nationale pour la protection de la nature. Une modification sémantique qui aurait en réalité fortement étendu son autorité. Crime de lèse-majesté.
Faut-il y voir un signal d’alerte pour le puissant ministre ? Ali Bongo est à la fois la force et le talon d’Achille du scientifique britannique. « Que Bongo tombe et Lee devra partir », entend-on bruisser dans Libreville, alors que les spéculations sur les prochaines élections, prévues en 2023, ont déjà commencé. L’intéressé reconnaît que tout n’est pas parfait, que peut-être un jour il devra s’en aller, puis il esquive par une pirouette : « Je n’ai pas un mauvais CV. »
Cet article a été réalisé en partenariat avec la Ville de Paris à l’occasion de l’Initiative de Paris pour la préservation des forêts d’Afrique centrale.
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