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Covid-19 : polémique royale autour de la vaccination en Thaïlande

La Thaïlande a lancé cette semaine sa campagne de vaccination « massive » dans un contexte houleux pour le gouvernement… et le roi Rama X. Ce dernier possède, en effet, le laboratoire censé produire localement les doses de vaccins AstraZeneca. Or ce qui aurait dû devenir un exemple d’indépendance vaccinal est en train de virer à la débâcle. 

Ce n’est pas de gaîté de cœur que la Bangkok a décidé, mardi 8 juin, de passer commande en urgence pour 20 millions de doses du vaccin de Pfizer contre le Covid-19. Le produit du laboratoire américain n’est même pas encore officiellement autorisé par les autorités sanitaires thaïlandaises.

La Thaïlande s’était imaginée, à l’automne 2020, devenir un exemple d’indépendance vaccinale. Elle voulait produire localement plus de 18 millions de doses d’AstraZeneca par mois à partir de mi-2021. Elle espérait même devenir le fournisseur officiel de toute l’Asie du Sud-Est, passant des accords pour livrer ses vaccins à la Malaisie, aux Philippines ou encore à Taïwan. 

Campagne de vaccination « honteuse »

L’achat, en parallèle, de deux millions de doses de Sinovac, l’un des vaccins chinois, devait servir de roue de secours pour s’assurer que l’objectif officiel d’administrer deux doses à 70 % des près de 70 millions de Thaïlandais avant la fin de l’année serait tenu.

Mais force est de constater que rien ne s’est passé comme prévu. Le gouvernement n’a lancé sa campagne de vaccination « massive » que lundi dernier, reconnaissant que le pays avait pris du retard. Depuis le début de l’année, la Thaïlande n’a vacciné qu’environ 5 % de sa population, bien moins que certains de ses voisins comme le Cambodge ou le Laos, pourtant moins riches.

Les livraisons d’AstraZeneca « made in Thailand » à l’étranger ont également pris du retard. Les Philippines ont confirmé avoir appris qu’elles ne recevraient pas l’intégralité des 17 millions de doses promises par Bangkok, et Taïwan a déclaré n’avoir accusé réception que d’un peu plus de 100 000 doses sur les 10 millions qui devaient être livrées, rapporte Reuters.

Même la presse, « normalement plutôt réservée à l’égard du pouvoir, a déploré une campagne de vaccination ‘honteuse’ », note le Financial Times. C’est d’autant plus regrettable qu’à l’époque de la première vague de la pandémie, au printemps 2020, la Thaïlande faisait figure d’élève modèle, ayant réussi à fortement limiter la circulation du virus. 

Mais cette fois-ci, le pays plie sous une troisième vague dopée aux variants. Plus de 20 000 cas par jour y sont actuellement recensés et le nombre de décès s’accélère : près de 70 % du total des décès depuis le début de la pandémie ont été enregistrés depuis un mois… Autant dire que sans solution vaccinale rapide à l’horizon, les espoirs de rouvrir complètement et rapidement le Thaïlande aux touristes, économiquement si importants, s’amenuisent.

Le Premier ministre thaïlandais, le général Prayut Chan-o-cha, ainsi que son ministre de la Santé, Anutin Charnvirakul, ont rapidement été accusés d’avoir raté le train de la vaccination. Mais les critiques ont été beaucoup plus discrètes concernant Siam Bioscience, le laboratoire chargé de produire les doses d’AstraZeneca.

Un laboratoire sans expérience dans le production de vaccins

Pour cause : le sujet est politiquement des plus sensibles, car Siam Bioscience est détenue à 99,9 % par le roi de Thaïlande, Maha Vajiralongkorn (Rama X). Or les critiques contre le monarque peuvent rapidement être considérées comme des insultes, passibles de poursuites pénales.

Thanathorn Juangroongruangkit, l’un des principaux opposants thaïlandais, en a fait l’amère expérience. Fin mars, il a été reconnu inculpé de crime de lèse-majesté pour avoir osé remettre en question la décision du gouvernement de reposer tous ses espoirs sur un seul vaccin, AstraZeneca, produit par un laboratoire détenu par le roi. Il risque jusqu’à 15 ans de prison pour ses dires.

Pourtant, le choix de Siam Bioscience n’allait pas de soi. Ce laboratoire, fondé en 2009, n’a aucune expérience dans la production de vaccins. Jusqu’à présent, cette société n’a mis sur le marché que quelques médicaments, dont la majorité ont été développée en partenariat avec une entreprise cubaine.

Siam Bioscience ne figurait même pas dans la liste officielle de 2020 des structures privées et publiques approuvées par le gouvernement thaïlandais pour participer à l’effort national de lutte contre le Covid-19.

Malgré cela, lorsqu’AstraZeneca a cherché à l’automne 2020 un partenaire thaïlandais pour produire localement son vaccin, le choix s’est porté sur ce laboratoire contrôlé par le roi de Thaïlande. Dans la foulée, le gouvernement a accordé une aide publique de plus de 16 millions d’euros à Siam Bioscience pour produire les doses d’AstraZeneca.

Un chèque qui pourrait relancer le débat sur l’enrichissement du roi. En 2017, il a pris le contrôle direct de l’intégralité des actifs de la monarchie qui, jusqu’alors, était géré par un fond institutionnel rattaché au Bureau des propriétés de la couronne thaïlandaise. Un transfert de fortune « qui a fait du roi l’un des monarques les plus riches de la planète », rappelle le Financial Times.

Une nouvelle casserole pour AstraZeneca ?

La décision d’AstraZeneca de collaborer avec ce laboratoire a mis le laboratoire britanno-suédois dans une position délicate. « Je pense que le groupe a fait une erreur d’appréciation. On aurait pu penser que les responsables se seraient renseignés sur les implications de conclure un partenariat avec une entreprise liée à la couronne », estime Thitinan Pongsudhirak, un politologue thaïlandais de l’université Chulalongkorn à Bangkok, interrogé par le Financial Times.

Le choix d’AstraZeneca est d’autant plus contestable qu’il implique une figure politique controversée. Depuis son accession au trône en 2016, Rama X a été accusé à plusieurs reprises – notamment par Washington en 2019 – d’avoir laissé le régime prendre un tournant de plus en plus autoritaire. 

AstraZeneca n’a pas voulu s’aventurer sur le terrain de l’éthique, mais il a assuré au Financial Times que Siam Bioscience semblait être « la meilleure option [en Thaïlande] du fait de ses installations modernes, de son expertise technique et de son accès à d’importantes quantités de matériels pharmaceutiques ».

Il n’empêche que si Siam Bioscience continue d’être à la traîne, ce sera probablement une nouvelle casserole à mettre à l’actif d’AstraZeneca. Et pas des moindres puisque ce laboratoire « royal » est censé devenir le principal fournisseur en vaccins pour toute la région d’Asie du Sud-Est et ses plus de 650 millions d’habitants.

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