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Strasbourg-Kehl, un tram pour l’Europe…

Par José-Alain Fralon

Publié aujourd’hui à 08h00, mis à jour à 08h00

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ReportageLe succès de la ligne D du tram franco-allemand entre Strasbourg et Kehl ne se dément pas depuis son inauguration en 2017. Un trajet transnational symbole d’une union incarnée au quotidien par ses voyageurs. A l’image de Philippe, Juliette, Quentin ou Eric, rencontrés en amont de la Nuit de l’Europe, un événement organisé par Sciences Po Strasbourg, en partenariat avec « Le Monde », au Cardo, le 21 mai.

« C’est magique ! » Philippe Hoegy, qui fut l’un des premiers conducteurs de la ligne de tram reliant Strasbourg à Kehl, inaugurée en 2017, a gardé son enthousiasme des premiers jours. « Chaque fois que nous traversons le Rhin, surtout le matin quand le soleil se lève sur le fleuve, je suis émerveillé », raconte cet homme discret de 56 ans. Si les usagers de la ligne partagent sans doute son émotion, leurs préoccupations immédiates semblent plus terre à terre.

Dans leur immense majorité, ils vont d’abord en Allemagne pour profiter des prix plus alléchants proposés à Kehl. Comme Juliette, une grand-mère pimpante, qui, poussant son chariot, emprunte ce tram au moins une fois par semaine pour faire notamment le plein de produits d’entretien. « J’en profite aussi pour boire un café et manger un strudel aux pommes », confie-t-elle, mutine. Quentin, 25 ans, en recherche d’emploi, veut profiter, lui, de l’écart considérable entre les prix des cigarettes : 70 euros la cartouche d’américaines à Kehl, 105 euros à Strasbourg.

Les passagers de la ligne D du tram entre Strasbourg et Kehl, Strasbourg, 26 avril 2022. PASCAL BASTIEN POUR « LE MONDE »

Céline, gérante allemande de Tabac Stop, un magasin situé très exactement en face de l’arrêt du tram, aurait du mal à critiquer celui-ci, tant son arrivée a boosté ses ventes. « Au moins 30 % en plus », avoue-t-elle, faussement modeste, dans un français impeccable. Même enthousiasme pour Eric, étudiant en histoire, qui aime bien faire la fête le samedi soir dans les discothèques de Kehl « ouvertes plus tôt, fermées plus tard et bien moins chères qu’à Strasbourg ». Il avoue aussi risquer quelques euros dans les machines à sous des casinos, qui se multiplient dans la ville allemande.

Céline dans son bureau de tabac Tabac Stop, à Kehl, Allemagne, le 26 avril 2022. PASCAL BASTIEN POUR « LE MONDE » Philippe, conducteur de tram à Strasbourg, le 26 avril 2022. PASCAL BASTIEN POUR « LE MONDE »

Si Philippe confie son émerveillement quand le soleil se lève sur le fleuve, le conducteur concède cependant que les retours au petit matin sont plus glauques. « Ce sont les seuls moments que je n’aime pas, reconnaît Philippe Hoegy. Les jeunes sont souvent très saouls, se battent, retardent la fermeture des portes. » Depuis que des gardiens ont été spécialement affectés à ces petites heures du dimanche, le calme est revenu. « Curieux, note le conducteur, mais les vigiles allemands qui opèrent au départ du tram, en Allemagne donc, ont plus d’autorité que leurs homologues français. »

Ces chahuts dominicaux mis à part, le succès de la ligne est indéniable. « Au départ, ce n’était pourtant pas gagné, tant les deux villes semblaient se tourner le dos », explique Annette Lipowsky, directrice de cabinet du maire de Kehl. « Plusieurs fois, ajoute cette ancienne journaliste, si la volonté politique de réussir n’avait pas été prédominante en France comme en Allemagne, des détails administratifs, aussi absurdes d’un côté comme de l’autre, auraient pu faire faire échouer le projet. » Et de citer, par exemple, l’obligation de placer des clignotants sur les trams, comme cela est d’usage en Allemagne, mais pas en France. Sans parler de ces discussions, qui ont duré vingt-deux mois, pour obtenir l’autorisation de construire une passerelle entre les deux rives. Cela, à cause d’une erreur de traduction dans les conclusions d’un rapport. « C’est une connerie [en français dans le texte] », ajoute Annette Lipowsky pour dénoncer un obscur règlement administratif de l’Hexagone empêchant aujourd’hui l’édification d’un four d’incinération à Strasbourg qui pourrait traiter les boues produites à Kehl.

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