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“Épidémie” d’obésité : “La politique des pouvoirs publics n’est pas assez offensive”

Le dernier rapport de l’OMS, publié mardi, alerte sur une « épidémie » de surpoids et d’obésité en Europe, notamment après la crise sanitaire. Face à un fléau qui concerne plus de la moitié des adultes européens, la Ligue contre l’obésité en France appelle les pouvoirs publics français et européen à une action plus offensive sur les facteurs obésogènes.

Le Vieux Continent victime d’une nouvelle contagion. L’Organisation mondiale de la santé a alerté, mardi 3 mai, sur une « épidémie » de surpoids et d’obésité en Europe, où plus de 1,2 million de personnes en meurent chaque année.

Une étude menée – dont l’état des lieux concerne la situation dans 53 États – révèle que 59 % des adultes européens sont en surpoids ou obèses. Une prévalence désormais plus élevée que dans toute autre région, à l’exception des Amériques. Du côté des plus jeunes, cela concerne 1 enfant sur 3.

Depuis 2016, les données individuelles ont toutes indiqué de nouvelles augmentations en Europe, en particulier depuis la pandémie de Covid-19.

S’il n’y a pas de consensus européen sur la méthodologie du calcul de la prévalence de l’obésité, les méthodes de dépistage se basent principalement sur l’indice de masse corporelle (IMC – calculé à partir de la taille et du poids) et le tour de taille. C’est notamment le cas de la France, parmi les moins bons élèves, puisqu’elle se situe dans la moyenne supérieure concernant la hausse de l’obésité. Une situation sur laquelle Jean-Philippe Ursulet, directeur général de la Ligue contre l’obésité (LCO), un organisme non gouvernemental français qui regroupe tous les acteurs qui aident à la prévention et à la lutte contre la maladie, souhaite alerter : « La France est plutôt dans le haut du classement, puisqu’on atteint presque 50 % de la population en termes de surpoids et d’obésité ».

Une aggravation, surtout depuis la crise sanitaire

Les derniers chiffres recueillis sur l’obésité en France datent de 2020. L’étude ObÉpi-Roche, financée par la LCO, révélait que 30 % de la population adulte était atteinte de surpoids (IMC égal ou supérieur à 25), et 17 % d’obésité (IMC supérieur à 30). « On aura des études d’ici les deux prochaines années pour voir l’impact de la crise sanitaire et du confinement », explique Jean-Philippe Ursulet.

Du côté des enfants, les chiffres sont alarmants. La courbe ne fait qu’augmenter, s’inquiète le directeur général de l’association. « En 1965, il y avait 3 % d’obésité chez les enfants de 2 à 15 ans ; aujourd’hui, plus de 15 % sont concernés », affirme-t-il, évoquant les projections sur 2020.

Au Royaume-Uni, les données officielles du National Child Measurement Programme montrent qu’un enfant de CP sur 7 est atteint d’obésité après trois confinements. Ce chiffre était de 1 sur 10 avant la pandémie, soit la plus forte augmentation jamais enregistrée. Parmi les élèves de 6e, la prévalence de l’obésité est quant à elle passée de 21 % en 2019-2020 à 25,5 % en 2020-2021.

En France, pas d’étude chiffrée depuis le confinement, mais des constats manifestes. Les appels passés à la ligne d’écoute de la LCO ont littéralement explosé avec le Covid-19. « D’ordinaire, nous sommes entre 500 et 600 appels annuels. Pour l’année 2020, nous sommes montés à 1 700 appels », précise le directeur général de l’association.

La pandémie a rendu le problème de l’obésité encore plus pressant, pointe l’OMS Europe dans son communiqué. Les données préliminaires suggèrent que les gens ont été plus exposés aux facteurs de risque d’obésité, notamment une augmentation des modes de vie sédentaires et la consommation d’aliments malsains. « Dans les prochaines études, la courbe risque d’évoluer, de montrer une aggravation du nombre de la prévalence de l’obésité », prédit le directeur général de la LCO.

Par ailleurs, rappelle l’OMS, les patients atteints d’obésité sont plus susceptibles de connaître des complications et de mourir du virus. En France, « 47 % des personnes qui sont décédées du Covid-19 étaient atteintes d’obésité », ajoute Jean-Philippe Ursulet. « Face à des problèmes de santé globaux, de santé publique, les personnes obèses sont toujours surreprésentées dans la mortalité ».

Les femmes davantage exposées

Dans 72 % des cas, les appels passés à la ligne d’écoute de la LCO durant le confinement concernaient des femmes, légèrement surreprésentées dans les chiffres de l’obésité, notamment en France.

Si le désordre nutritionnel est l’une des principales causes de l’obésité, il est loin d’être le seul. Manque de sommeil et problèmes psychologiques en sont aussi, sans oublier l’impact des perturbateurs endocriniens (PE) sur l’organisme. De plus en plus démontré par les scientifiques, le désordre hormonal créé par les PE peut expliquer que les femmes soient davantage concernées par l’obésité.

« Les femmes sont exposées à un certain nombre de substances qui perturbent l’équilibre hormonal », affirme Jean-Philippe Ursulet, évoquant un « cocktail de perturbateurs endocriniens dévastateurs ». Des PE présents dans l’alimentation, les plastiques et peintures, mais aussi dans les cosmétiques, davantage utilisés par les femmes, et les vêtements (dans les teintures et le cadmium, un élément faiblement radioactif qui permet aux vêtements d’être infroissables). « Sachant que la peau absorbe 2 % de l’air à travers les pores, imaginez ce qu’elle peut absorber en termes de produits nocifs qui entrent directement dans la circulation sanguine… »

« Les pays d’Europe de l’Ouest sont aussi de très gros consommateurs de produits transformés », développe Jean-Philippe Ursulet. Mais la condition de la femme dans ces pays est aussi à étudier, complète-t-il, évoquant notamment le stress et les problèmes de sommeil. « Nous pouvons aussi corréler ces chiffres avec ceux du chômage, les femmes y étant davantage exposées, et précarisées au niveau des contrats ». Autant de vecteurs de stress, qui pourraient également expliquer la surexposition des femmes à des risques obésogènes.

Mais comment réduire ces risques ? Si les facteurs d’ordre structurel ne peuvent faire l’objet d’une légifération à effet immédiat, les médecins demandent en revanche aux pouvoirs publics à ce qu’une action soit engagée directement sur certains produits.

« Une action pas assez offensive sur des produits pourtant ciblés »

« L’obésité fait fi des frontières. En Europe et en Asie centrale, pas un seul pays ne remplira l’objectif d’arrêter la progression de l’obésité, qui est l’une des cibles mondiales de l’OMS en matière de maladies non-transmissibles (MNT) », affirme dans le rapport le docteur Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l’OMS Europe. « Il existe une énorme diversité entre les pays de notre région, mais ils sont tous confrontés à un certain degré de difficulté. En créant des environnements plus favorables, en promouvant les investissements et l’innovation dans le domaine de la santé, et en mettant en place des systèmes performants et résilients, nous pouvons modifier la trajectoire de l’obésité dans la région. »

En France, l’étiquetage nutritionnel « Nutri-score », visant à favoriser une alimentation équilibrée, a permis, dès 2016, d’attirer l’attention des consommateurs sur la qualité des plats qu’ils sélectionnent. Le principe a d’ailleurs été repris par plusieurs de nos voisins européens, à l’instar de la Belgique, l’Allemagne, ou encore des Pays-Bas. Pourtant, les nutritionnistes le contestent majoritairement parce qu’il ne fait que mesurer la valeur nutritionnelle du produit concerné. « On calcule la valeur nutritionnelle et l’on met une lettre pour un plat isolé, mais si vous cumulez ce plat avec un autre produit, cela changera forcément la valeur du Nutri-score total de ce que vous aurez consommé », explique Jean-Philippe Ursulet. Selon les médecins, il vaudrait donc mieux indiquer sur chaque produit sa valeur calorique, nutritionnelle, mais aussi préciser les aliments qui ne devraient pas être consommés avec ce plat transformé.

« De même, tout ce qui est de lettre C, D ou E (indiquant la présence de sucres ajoutés, et souvent différents types de sucres additionnés, NDLR) devrait être interdit », plaide le directeur général de la Ligue contre l’obésité.

Pour aller plus loin, la LCO a demandé aux pouvoirs publics de surtaxer les produits nocifs (et interdire les produits très nocifs), et a contrario, de diminuer la TVA sur les produits sains auxquels le consommateur devrait avoir plus aisément accès.

« Si tout le monde se réfugie sur des produits a priori peu couteux, c’est avant tout lié à un problème de précarité », souligne Jean-Philippe Ursulet. « Le législateur a un devoir à accomplir pour réorienter la consommation de la population. »

« Nous avons appris au fil du temps qu’une politique unique ne fonctionnera pas. Pour réussir en tant que pays ou région, nous avons besoin d’un ensemble complet d’interventions », précise dans le communiqué le Dr Kremlin Wickramasinghe chef par intérim du bureau européen de l’OMS pour la prévention et le contrôle des MNT, qui a produit le rapport régional européen.

Or, à ce jour, aucun pays n’a été en mesure de mettre en place toutes ces politiques en même temps. « Il est important de prioriser 2 ou 3 politiques à mettre en œuvre maintenant et d’avoir un plan réalisable pour introduire le reste des interventions », poursuit-il. Parmi les recommandations, la restriction de la commercialisation d’aliments malsains aux enfants, la taxation des boissons sucrées et l’amélioration de la réponse du système de santé pour la gestion de l’obésité.

En France, « la politique des pouvoirs publics n’est pas assez offensive sur des produits qui ont pourtant été bien ciblés », estime le directeur général de la Ligue contre l’obésité. Ce dernier pointe à nouveau les perturbateurs endocriniens, mais aussi la restauration rapide particulièrement appréciée des jeunes.

Le « marketing agressif » des marques à l’égard des enfants est également dans le viseur de l’association. « Les enfants sont la cible de ce marketing, notamment aux comptoirs de caisses où sont exposés des bonbons et chocolats ultra sucrés, avec un marketing visuel très attractif qui paraît bienveillant pour des produits qui sont extrêmement néfastes ».

De l’importance du sport

Si des disparités (en partie culturelles) préexistent, le constat est le même dans l’ensemble des pays européens. En Finlande, par exemple, le souci d’une alimentation saine est largement véhiculé à travers les émissions télévisées de cuisine (type Top Chef). Pourtant, précise Jean-Philippe Ursulet, « Les Finlandais ne s’attaquent pas vraiment au problème en légiférant sur les produits, parce que ces décisions doivent être prises au niveau européen ».

Pas de chasse aux produits nocifs et perturbateurs endocriniens en Finlande non plus, donc. En revanche, le pays a réussi à instaurer un temps d’activité physique sur le temps de travail pour les salariés, et les employeurs finlandais dépensent en moyenne 200 euros par employé pour une activité physique (contre un allègement fiscal). Même dynamique en Suède, désignée nation la plus sportive d’Europe en 2018 par la Commission européenne dans le cadre de sa lutte contre l’inactivité. En 2017, l’Eurobaromètre consacré au sport et à l’activité physique révélait que seuls 15 % des Suédois ne pratiquaient jamais d’activité physique, contre 46 % des Français.

En France, cette piste de réflexion a été soumise par la LCO au Sénat, début avril, indique Jean-Philippe Ursulet. « Le sport permet le bon fonctionnement des organes, mais aussi d’éliminer les perturbateurs endocriniens ». Ainsi, une heure de sport par jour permettrait d’obtenir des résultats tout à fait encourageants, dit-il. « C’est cette piste qu’il faut suivre. En parallèle, bien sûr, de l’interdiction de certains produits. »

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