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Guerre en Ukraine : l’illusion allemande d’un bouclier antimissile pour se protéger de la Russie

Le chancelier allemand Olaf Scholz a confirmé que Berlin réflechissait à acheter à Israël un de ses célèbres systèmes de défense antimissile. Une démarche qui prouve à quel point la guerre en Ukraine a changé la donne sécuritaire en Europe, mais qui repose aussi sur l’illusion qu’il pourrait exister un « bouclier » capable de protéger complètement un pays comme l’Allemagne contre les missiles russes.

Un bouclier antimissile pour protéger l’Allemagne contre les velléités guerrières russes. Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a évoqué cette possibilité dimanche 27 mars, lors d’une interview accordée à l’ARD, la première chaîne de télévision du pays.

Une telle proposition aurait paru incongrue il y a encore à peine deux mois dans un pays qui, comme l’Allemagne, se targuait de sa posture pacifiste. Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie a changé la donne. « Nous devons nous préparer à faire face à la nouvelle réalité d’un pays voisin [la Russie] qui utilise la force pour parvenir à ses fins », a affirmé le chef du gouvernement allemand.

Arrow 3 plutôt que le Dôme de fer israélien

Olaf Scholz a précisé qu’une des principales options sur la table était l’achat à Israël d’un système de défense clef en main. Une délégation de députés allemands s’est rendue dimanche à Tel Aviv afin d’en savoir plus sur les capacités israéliennes d’intercepter et détruire les missiles qui menaceraient son territoire, a confirmé Marie-Agnes Strack-Zimmermann, présidente du comité de la Défense du Bundestag.

La pression exercée sur le gouvernement allemand pour renforcer ses défenses antimissiles se fait ressentir depuis que les troupes russes sont entrées en Ukraine. Des élus conservateurs de la CDU avaient ainsi suggéré début mars que l’Allemagne achète pour protéger sa capitale le Dôme de fer israélien, le célèbre bouclier antimissile qui avait prouvé son efficacité contre la pluie de missiles à courte portée lancés depuis Gaza par le Hamas en mai 2021.

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Une demande qui ne faisait pas grand sens. « L’arsenal dont dispose la Russie n’a rien à voir avec les roquettes que le Hamas utilise à la frontière et que le Dôme de fer est chargé d’intercepter. C’est comme comparer les capacités offensives d’une équipe jouant en Ligue des champions à celles d’une formation évoluant en division régionale », explique Oliver Thränert, spécialiste des questions de défense antimissile au Center for Security Studies de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), contacté par France 24.

C’est pourquoi Olaf Scholz et le gouvernement allemand s’intéressent plutôt à Arrow 3, qui est un dispositif israélien complémentaire au Dôme de fer, spécifiquement conçu pour intercepter les missiles à portée intermédiaire. « C’est le type de système de défense qui, en théorie, sert à se protéger contre les missiles tels que les Iskander que la Russie devrait utiliser si elle voulait frapper l’Allemagne », confirme Rafael Loss, spécialiste des questions de sécurité allemande au Conseil européen des relations internationales, contacté par France 24.

L’Allemagne et l’Europe démunies face à une menace venue des airs ?

Les experts des questions de défense allemande saluent, dans leur majorité, l’ouverture d’un débat autour d’un renforcement des défenses antimissiles allemandes. « Cela faisait longtemps qu’une telle réflexion devait avoir lieu », estime Rafael Loss. Après la fin de la Guerre froide, « c’est le secteur de la défense qui a le plus souffert, car les Allemands ne pensaient plus qu’une menace sérieuse puisse venir de airs en Europe », ajoute cet expert.

Pour lui, l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 aurait dû ouvrir les yeux aux responsables politiques allemands. Mais il a fallu attendre la guerre d’invasion déclenchée par Moscou en Ukraine, qui a « rendu la menace plus claire, et a montré que la Russie n’hésitait pas à recourir à des missiles », note Götz Neuneck, chercheur sénior à l’Institut pour la paix et la sécurité (Institut für Friedensforschung und Sicherheitspolitik, IFSH) de l’université de Hambourg, contacté par France 24.

L’Allemagne n’a pas grand-chose pour faire face à une telle menace. Elle dispose essentiellement d’un système antidrone et de quelques missiles Patriot américains, qui « sont une technologie vieillissante et adaptée pour détruire les missiles à courte portée », rappelle Ulrich Kühn, directeur du groupe de recherche « contrôle de la prolifération des armements et nouvelles technologie » à l’IFSH, contacté par France 24.

Plus généralement, les défenses de l’Otan en Europe sont mal calibrées pour faire face à d’éventuelles frappes depuis la Russie. Les systèmes antimissiles installés en Roumanie et en Pologne « sont destinés à parer une menace venant plutôt du Sud, ce qui signifie surtout qu’ils ont été configurés pour intercepter d’éventuels missiles iraniens », explique Ulrich Kühn.

Des trous dans le bouclier

Mais si l’intention est bonne, le débat aurait très mal commencé en Allemagne, d’après tous les experts interrogés par France 24. « Il y a actuellement une pression pour faire rapidement quelque chose qui donnerait un sentiment de sécurité à la population allemande, ce qui nuit à une réflexion posée sur cette question », estime Ulrich Kühn.

Principal problème : l’idée « qu’il pourrait exister un bouclier capable de protéger toute l’Allemagne contre les missiles russes est aberrante », tranche ce spécialiste de l’Institut pour la paix et la sécurité.

D’abord parce qu’on ne connaît pas les capacités réelles du système israélien Arrow 3. « C’est un système qui n’a encore jamais eu à abattre le moindre missile de moyenne portée [en condition réelle de conflit] », rappelle Götz Neuneck.

Ensuite, « les Russes ont clairement les moyens de submerger un système comme Arrow 3 », assure Rafael Loss. Il faudrait en effet des centaines, voire des milliers de missiles antimissiles tirés simultanément pour contrer efficacement une attaque de grande ampleur russe qui viendrait des airs. Surtout que « les missiles russes ont, pour certains, des systèmes de leurre intégrés qui rendent l’interception encore plus difficile », souligne Ulrich Kühn.

Un tel dispositif, pour être un tant soit peu efficace, deviendrait un véritable gouffre financier. Les médias allemands ont évoqué un programme qui coûterait « seulement » 2 milliards d’euros… Un chiffrage « qui semble bien hasardeux, compte tenu qu’il faut couvrir un pays de la taille de l’Allemagne », estime Thomas Wiegold, un expert en armement allemand, sur son blog. À l’heure actuelle, « il serait bien plus efficace de construire davantage de bunkers que d’investir dans un bouclier antimissile si on estime que la Russie risque de frapper un pays de l’Otan avec des missiles », juge Götz Neuneck.

Et puis, il faut « aussi des radars capables de repérer précisément des missiles russes en approche », souligne Götz Neuneck. Encore des dépenses supplémentaires à prévoir pour un pays qui dépend surtout des capacités radars de l’Otan pour défendre son espace aérien.

Pour Oliver Thränert, c’est l’autre point faible du débat qui a lieu actuellement en Allemagne : Olaf Scholz semble suggérer que l’Allemagne achèterait un tel système seule dans son coin. « Je ne vois pas comment un dispositif antimissile pourrait être déployé sur le sol allemand sans être intégré au système de défense mis en place par l’Otan, dont l’Allemagne fait partie », note cet expert.

Enfin, renforcer les défenses antimissiles « a aussi un coût politique dont on ne parle absolument pas pour le moment », regrette Ulrich Kühn. C’est, en effet, mettre un pied dans un « cercle vicieux qui peut aboutir à une nouvelle course aux armements », averti Rafael Loss. Si l’Allemagne ou l’Otan renforce sa défense en Europe, la Russie « voudra investir pour augmenter ses capacités offensives, et ainsi de suite », estime Ulrich Kühn.

Dans le contexte actuel de guerre en plein cœur de l’Europe, la volonté des Allemands d’être mieux protégés face à la menace russe peut se comprendre… mais elle implique le risque d’ouvrir la porte sur un monde encore plus dangereux à l’avenir.

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