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Pourquoi l’héritage est mal vu des économistes

A rebours de son impopularité auprès des Français, il existe un quasi-consensus des économistes sur la nécessité d’imposer l’héritage, et même de taxer plus les gros patrimoines. En France, la part de la fortune héritée représente aujourd’hui 60% du patrimoine total, contre 34% en 1970 (voir graphique ci-dessous). Les économistes keynésiens, au premier rang desquels Thomas Piketty (Paris School of Economics), s’inquiètent de ces inégalités dynastiques qui bloquent l’ascenseur social. Les libéraux, tel Jean-Marc Daniel (ESCP), se préoccupent, quant à eux, de l’inefficacité à voir la naissance et la rente prendre le dessus sur le mérite et le travail.

Dans une étude publiée en mai 2021, l’OCDE note que l’héritage (perçu désormais en moyenne en France bien au-delà de 50 ans) crée « une concentration du patrimoine marquée chez les plus âgés et une difficulté des plus jeunes à s’en constituer un » et, vu la hausse des prix de l’immobilier et de la Bourse, « un fort creusement des écarts au profit des plus riches ». L’organisation milite donc pour que les impôts sur les successions « jouent un rôle plus important », y compris en France. Olivier Blanchard, ancien chef économiste du Fonds monétaire international, et Jean Tirole, Prix Nobel, dans leur rapport sur « les grands défis économiques », préconisent aussi de taxer mieux, voire davantage.

Spécialiste de l’acceptabilité sociale des politiques fiscales, Stefanie Stantcheva (Harvard) esquisse une réforme. Il s’agirait de relever le seuil à partir duquel les successions sont imposées (aujourd’hui de 100.000 euros par parent donateur) mais d’imposer l’héritier en tenant compte de tout ce qu’il a reçu tout au long de sa vie (actuellement, chaque parent peut donner jusqu’à 100.000 euros libres de droits tous les quinze ans à chaque enfant) et d’instaurer « une assiette large, avec un barème progressif ». Exit aussi les niches qui « offrent trop de possibilités aux grosses successions d’échapper à l’impôt ». Pour accroître le consentement à cette taxation, Stantcheva suggère d’en « affecter les recettes à des actions favorisant l’égalité des chances », investissements dans l’éducation ou dotation de capital à chaque jeune.

Mauvaise redistributivité du système

En décembre dernier, le Conseil d’analyse économique (CAE), organisme rattaché à Matignon, a repris ces recommandations dans une note qui a fait du bruit. Stefanie Stantcheva y tient la plume avec Camille Landais (London School of Economics), Clément Dherbécourt (France Stratégie) et Gabrielle Fack (Dauphine). Ils commencent par pointer les inégalités: plus d’un tiers des Français n’héritent de rien, l’héritage médian est d’environ 70.000 euros, alors que les 0,1% les plus fortunés reçoivent près de 13 millions. Du coup, l’héritage moyen du Top-0,1% représente 180 fois l’héritage médian, « un écart bien plus spectaculaire que celui des revenus du travail, où les 0,1% les mieux rémunérés ne touchent que 10 fois le salaire médian, relève Camille Landais. Désormais, le haut de l’échelle des niveaux de vie n’est plus accessible si on n’a pas hérité ».

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Ensuite, ils diagnostiquent la mauvaise redistributivité du système. D’un côté, celui-ci ponctionne lourdement les transmissions en ligne indirecte (beau-père, tante…) qui rapportent plus de 50% des recettes alors qu’elles représentent moins de 10% du capital transmis. De l’autre, les exemptions « nombreuses » et « généreuses » sur les actifs détenus par les plus riches font tomber la facture du Top-0,1% à 10% du patrimoine hérité malgré un taux maximal affiché de 45%. Les auteurs de la note préconisent donc de relever le montant exonéré à 200.000 euros, mais de taxer l’ensemble des sommes transmises en cours de vie, de baisser le barème mais d’inclure l’assurance-vie dans l’assiette et de plafonner le dispositif Dutreil. « L’Allemagne a d’ailleurs, en 2016, limité l’exemption des patrimoines professionnels à 90 millions d’euros. » D’après le CAE, 99% de la population seraient gagnants, mais le 1% des plus riches devrait acquitter 12 milliards supplémentaires. Les recettes dégagées permettraient de verser un « héritage universel de 10.000 à 40.000 euros à tout Français majeur » … ou de « réduire les impôts des ménages ».

Les économistes Gilbert Cette (Banque de France) et Elie Cohen (CNRS) critiquent cependant cette proposition, au motif que la France est le pays où la fiscalité sur l’héritage est l’une des plus lourdes (voir graphique page 30). S’agaçant du « réflexe pavlovien français consistant à alourdir la fiscalité pour réduire les inégalités », ils pointent « la faillite de notre système éducatif, qui participe plus qu’ailleurs à la reproduction sociale » comme réforme prioritaire. L’un n’exclut pas l’autre.

 

 

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