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Ukraine : la guerre en direct à l’heure des réseaux sociaux

Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, les réseaux sociaux sont submergés de vidéos provenant des deux camps. La guerre moderne se joue désormais en direct, téléphone portable à la main. Dans ce combat d’un nouveau type, l’Ukraine a pour l’instant remporté la bataille de l’image.

Sur son compte TikTok, la photographe ukrainienne Valeria Shashenok publie ordinairement des vidéos de ses voyages, de ses shootings de mode ou de ses soirées entre amis. Mais depuis une dizaine de jours et le début de l’invasion russe en Ukraine, le contenu de ses messages a bien changé.

La jeune femme âgée d’une vingtaine d’années raconte son quotidien sous les bombes depuis la ville de Tchernihiv, située à une centaine de kilomètres au nord de Kiev. Non sans humour, et en musique, elle décrit à ses quelques 300 000 abonnés « une journée ordinaire dans un abri anti-aérien » ou leur explique « quoi acheter dans un supermarché en temps de guerre ».

Alors que son pays fait face à une attaque d’ampleur, ces vidéos peuvent paraître complètement décalées, mais elles génèrent pourtant des millions de vues. À l’heure des réseaux sociaux, les téléphones portables sont omniprésents et nous font vivre la guerre en direct.

Des soldats qui dansent

Même les militaires ukrainiens utilisent Instagram, TikTok ou encore Twitter pour raconter ce qu’ils vivent sur le champ de bataille. Avec ses 4,3 millions d’abonnés, le soldat Alex Hook est certainement le plus connu d’entre eux. Basé dans la région du Donbass, il publie régulièrement des vidéos de lui et de ses camarades en armes en train de danser sur des chansons de Nirvana ou se préparant à partir au combat.

L’armée ukrainienne a elle aussi son propre compte Twitter et fait suivre heure par heure à ses plus de 340 000 abonnés la progression du conflit. Les forces armées du pays montrent des scènes de combat, mais aussi des images de prisonniers russes, ce qui est pourtant interdit par la convention de Genève.

L’utilisation des réseaux sociaux lors d’une guerre n’est pas une nouveauté. Durant les Printemps arabes ou encore en Syrie, les différents belligérants n’ont pas manqué d’y avoir recours pour organiser des manifestations ou faire pencher l’opinion en leur faveur.

La différence réside aujourd’hui dans un storytelling d’un nouveau genre. Alors que de plus en plus de personnes ont un portable en main et documentent quotidiennement leur journée sur les différentes plateformes, la guerre est devenue un sujet comme un autre. La jeunesse utilise ses propres codes pour raconter ce qu’elle vit en temps réel. Résultat, certains influenceurs ukrainiens plus connus pour leurs tutos beauté que pour leurs prises de position politiques se sont transformés en résistants version 2.0.

Des influenceurs devenus résistants

Miss Ukraine 2015, Anastasiia Lenna a laissé tomber ses robes et se montre aujourd’hui en treillis une arme à la main sur son compte Instagram pour appeler ses compatriotes à défendre leur pays.

La chanteuse Nadya Dorofeeva, suivie par 5 millions d’abonnés, a elle aussi arrêté de publier des photos de plages privées et de soirées sélectes. Elle est apparue en larmes sur son compte pour demander l’arrêt des combats. « Je reste en Ukraine, à Kiev ! Je demande à tout le monde de rester calme, de ne pas paniquer, de se serrer les coudes et de ne lire que les sources officielles ! Et soutenez-vous comme jamais ! », a-t-elle écrit à côté de ce cliché.

Andreï Khlyvniouk, le chanteur du groupe ukrainien Boombox, l’une des formations les plus populaires du pays, a lui aussi fait le buzz en chantant un hymne traditionnel fusil à l’épaule. La star a abandonné sa tournée aux États-Unis pour se battre contre les Russes.

Трішки мотивації від лідера гурту «Бумбокс» Андрія Хливнюка 🇺🇦 pic.twitter.com/VQFdRjahGF

— ВОЇНИ УКРАЇНИ🇺🇦 (@ArmedForcesUkr) February 28, 2022

Une bataille du numérique remportée par l’Ukraine

Au sommet de l’État, les dirigeants ukrainiens ont aussi bien compris que la guerre se gagnait aussi sur les réseaux sociaux. Alors que jusqu’à présent, les Russes étaient passés maîtres dans l’art de la désinformation à l’aide de leurs armées de trolls, ils semblent aujourd’hui avoir une guerre de retard. Depuis le début de l’offensive russe, le président Volodymyr Zelensky est devenu le visage qui s’affiche un peu partout sur Internet et qui suscite de la sympathie. Son compte Twitter est passé de 300 000 à 4,9 millions d’abonnés en quelques jours.

L’ancien comédien devenu chef d’État s’affiche sur le terrain en mode selfie, tee-shirt kaki sur le dos, proche de la population et maître de la situation. Chaque jour, le président ukrainien s’adresse à ses concitoyens et au monde entier en montrant qu’il résiste et qu’il n’abandonnera pas son poste. Il incarne désormais la lutte, celle du Petit Poucet ukrainien face au géant russe.

À l’inverse, son homologue russe Vladimir Poutine apparaît distant et martial. Assis seul à une table ou accompagné par quelques officiers au garde-à-vous, le maître du Kremlin verrouille sa communication, tout comme il musèle la liberté d’expression dans son pays. Pour contrôler l’opinion publique, le président russe a bloqué l’accès à Facebook en Russie et limité celui à Twitter. Il a aussi signé une loi prévoyant jusqu’à quinze ans de prison pour toute personne publiant des « informations mensongères » sur la guerre en Ukraine.

Des réseaux sociaux russes muselés

Le pouvoir russe aurait également essayé d’orchestrer une campagne de soutien envers l’invasion en Ukraine. Selon le site Reddit, plusieurs dizaines d’influenceurs du pays ont publié des vidéos similaires où ils récitent exactement le même discours favorable au Kremlin et dénonçant « le génocide dans le Donbass ».

Russian « influencers » on TikTok defend the invasion of Ukraine by giving the same exact propagandist speech as each other pic.twitter.com/dJo3lIdhT5

— Fifty Shades of Whey (@davenewworld_2) March 4, 2022

Malgré les risques, des personnalités russes ont elles choisi d’exprimer leur désaccord. L’acteur Danila Kozlovski, connu pour son rôle dans la série « Vikings », n’a pas hésité à dire non à la guerre dans un message publié sur son compte Instagram suivi par plus d’un million d’abonnés.

о, что происходит сейчас, это катастрофа. Во всех смыслах. Человеческая, гуманистическая, политическая, экономическая. Да какая угодно. Я люблю свою страну. Всем своим сердцем. И всегда считал, что истинный патриотизм, это решительность говорить правду, заключающуюся в том, что ты по настоящему чувствуешь и испытываешь. К моему огромному личному разочарованию, далеко не всегда я проявлял это качество. Но сейчас тот момент, когда надо говорить. Та точка невозврата, которую мы проходим, буквально на танках. И пишу я этот текст не ради хайпа или Боже упаси, желания ещё больше разжечь пожар агрессии, а потому что, по настоящему болит. Сейчас задают, ставший уже легендарный вопрос «где ты был все эти восемь лет»? Хочется сразу спросить, «а где собственно были вы», но вопросом на вопрос отвечать неприлично, поэтому отвечу по другому. Не знаю..Не видел, не понимал или не хотел видеть и понимать..был равнодушен, интересовался исключительно своей жизнью, когда надо было всеми способами призывать к разуму и миру. Наивно полагал, что все это закончится и там уж наверху точно договорятся, ведь умные люди сидят. Не допустят войны. Допустили. Страшно. Больно. Невыносимо грустно. И стыдно. И в том числе, за себя. За своё молчание и равнодушие все эти годы. Но разве возможно насилием принести мир? Насилие порождает насилие. Разве можно в 21 веке, в это расшатанное и взнервленное ковидом и прочими конфликтами, время, решать подобные проблемы «военными операциями» против братского народа. Ведь почему многие так ошиблись в своих прогнозах? Только потому, что это совершено невозможно было представить. Что Харьков, Киев и другие прекрасные города будут звучать в военной хронике, а наши украинские друзья в телефонных разговорах будут потерянно спрашивать «почему», а мы что то мямлить нечленораздельное в ответ. Нас сейчас всех без исключения, это затрагивает, ибо проклятья, ненависть, обвинения, которыми заволокло наше пространство, идущие от нас самих, это то, что порождает любая война.
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L’un des rappeurs les plus populaires du pays, Oxxxymiron, a aussi annoncé sur son compte qu’il avait pris la décision d’annuler six concerts à Moscou et Saint-Pétersbourg. « Je ne peux pas vous divertir alors que des missiles russes tombent sur l’Ukraine et que certains habitants de Kiev sont contraints de se cacher dans les sous-sols ou dans le métro tandis que d’autres sont en train de mourir », a-t-il expliqué dans une vidéo.

Les guerres ne se remportent donc plus seulement sur le champ de bataille, mais aussi sur les réseaux sociaux. Dans son essai publié en 2003 et intitulé « Devant la douleur des autres », la philosophe américaine Susan Sontag expliquait que la guerre civile espagnole avait fait émerger le photojournalisme – avec des pionniers comme Robert Capa et Gerda Taro armés de leur Leica au plus près des combats – puis que quelques décennies plus tard, la guerre du Vietnam avait été la première à être télévisée de manière quotidienne.

La guerre en Ukraine restera aussi dans l’Histoire comme la première à avoir été autant documentée en temps réel. Mais que restera-t-il de ces images de réfugiés sur les routes du pays, de ces enfants sous les bombardements ou de combattants épuisés ?

Comme le souligne The New Yorker, ce flot est « peut-être simplement susceptible de susciter en nous un sentiment de sympathie le temps que nous faisions défiler ces contenus sur notre écran », mais il n’empêche que même si « les médias sociaux sont un chroniqueur imparfait en temps de guerre, il peut aussi s’agir dans certains cas de la source la plus fiable dont nous disposons », affirme le magazine américain.

Pour Susan Sontag, nous n’y sommes en tout cas pas insensibles. Comme le célèbre cliché de Robert Capa « Mort d’un soldat républicain » pris en 1936, certaines de ces images resteront dans nos mémoires de génération en génération. « Je suis d’avis qu’il faut laisser ces images nous hanter, même si ce ne sont que des images, des symboles, des parcelles importantes d’une réalité qu’elles ne sauraient toutes embrasser : elles remplissent, néanmoins, une fonction vitale. Les images disent : ‘Voilà ce que les gens sont capables de se faire les uns aux autres !’ ‘N’oubliez pas !’, avait résumé la philosophe.

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