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Enquête : à Kharkiv, des zones civiles visées par des armes russes à sous-munitions

Publié le : 04/03/2022 – 18:04

Le 28 février 2022, à Kharkiv, l’armée russe a bombardé plusieurs zones civiles avec des roquettes à sous-munitions. C’est la conclusion d’une enquête menée par la rédaction des Observateurs, basée sur l’analyse d’images satellite et de vidéos amateur.

La Russie mène des frappes aériennes sur la ville de Kharkiv depuis au moins le 25 février 2022. Le 28, cette ville, la seconde la plus peuplée d’Ukraine, a été visée par des roquettes à sous-munitions, interdites par la Convention sur les armes à sous-munitions de 2008.

Ces armes permettent d’atteindre une large zone de cibles simultanément, avec de multiples “petites” explosions. Quand une roquette de ce type est tirée, son container s’ouvre à l’avant pour larguer de multiples « petites » bombes, tandis que l’arrière du projectile continue sa trajectoire avant de s’écraser au sol plus loin. 

Un modèle 9M55K, de fabrication russe. En jaune, la partie qui contient les sous-munitions. © Armament Research Service (ARES)

Le modèle ci-dessus, un 9M55K, est tiré par un engin appelé Smerch, qui permet de délivrer des salves de douze roquettes par tir.

À Kharkiv, le 28 février, (nous en parlions ici), plusieurs de ces débris de projectiles ont été vus en train de s’abattre dans des zones civiles, comme le montre la vidéo ci-dessous où on voit une roquette plantée en plein milieu de la rue Vasylia Stusa (localisation exacte ici).

Nous n’avons pas été en mesure d’identifier clairement le modèle de roquette sur la vidéo ci-dessus, car elle est filmée à une distance de plusieurs dizaines de mètres, et les détails ne sont pas visibles. Un autre projectile est tombé le même jour, quelques mètres plus loin, dans la rue Hvardiitsiv-Shyronintsiv (localisation exacte ici). Cette fois-ci, l’arrière de la roquette semble être un 9M55K, un modèle conçu pour transporter des sous-munitions. Les trois fentes à l’arrière de l’appareil, au niveau des ailettes, correspondent au modèle exposé plus haut.

Des scènes qui semblent montrer l’usage de bombes à sous-munitions ont aussi été filmées par les habitants ukrainiens. On peut voir, sur la vidéo en-dessous, un entrepôt visé par de multiples explosions, au milieu d’habitations civiles.

La Cour pénale internationale a annoncé, le 2 mars, lancer une enquête sur des possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Ukraine. Interviewé par France 24, Karim Khan, le procureur de la CPI, explique qu’il est « très clair que l’utilisation d’armes à large portée, d’armes sans discrimination, en particulier de telles armes dans des zones peuplées, peut engager la responsabilité pénale. »

La Convention sur les armes à sous-munitions (2008) interdit toute utilisation de cette catégorie d’armes, signée par une centaine de pays, mais pas la Russie ni les États-Unis ou la Chine.

Possible use of cluster munitions in Kharkiv. There was a video posted earlier that showed a Smerch MLRS rocket booster landing in Kharkiv, which can carry cluster munitions. https://t.co/fitcfyuNDr pic.twitter.com/Xd9XubbhuL

— Rob Lee (@RALee85) February 28, 2022


Vidéo 2 : Cette vidéo, filmée à Karkiv le 28 février 2022, montre une frappe avec des sous-munitions. Sur Google, la zone visée est un regroupement de parkings et d’entrepôts.

Nous avons montré les images tournées à Kharkiv le 28 février à Alan Barlow, chef de l’unité technique de l’organisation Conflict Armament Research (CAR). À propos de la vidéo 2 : “Elle montre clairement une série de petites explosions à proximité les unes des autres, je dirais qu’il s’agit du résultat d’une frappe de sous-munitions” analyse-t-il. Et d’ajouter : “Compte tenu des éléments de preuve observés sur la séquence vidéo 2, je dirais qu’il s’agit d’une frappe de sous-munitions (bombe à fragmentation) par les forces russes.”

Nous avons authentifié une autre vidéo qui montre le même site visé, sous un autre angle.

🇺🇦🇷🇺
Harkiv şehir merkezine Rus bombardımanı devam ediyor. pic.twitter.com/fWziQnxRqn

— Momchil Ilker Ivanov (@momchil_ivanov1) February 28, 2022


Vidéo 3 : même scène et lieu que la vidéo 2, sous un autre angle. Prise à Kharkiv, le 28 février 2022.

Une trajectoire qui vient de la Russie

Nous avons ensuite cherché à savoir d’où venaient les tirs. Nous avons géolocalisé la vidéo 2 qui montre les explosions sur l’entrepôt et celle montrant l’arrière d’un projectile planté au sol (vidéo 1) rue Vasylia Stusa. Ensuite, nous les avons placées sur une carte, et nous avons tracé une droite entre les deux points, en plaçant l’arrière du projectile au bout de celle-ci : elle se dirige vers le territoire russe, à 30 km de là.

Trajectoire recréée par notre équipe, en prenant le point d’impact de la roquette et le lieu de la frappe. © Google Earth Pro

Michael Sheldon, chercheur au DFRLab de l’Atlantic Council, est parvenu à la même conclusion s’agissant des deux vidéos (Vidéo 1 ici et Vidéo 2 ) que nous avons analysées.

Il a ensuite tracé une autre ligne droite en analysant des vidéos d’une autre frappe qui a visé Kharkiv le même jour. Il s’est aperçu que les deux droites se croisaient à un point, 40 km au nord-est de la ville, 8 km à l’intérieur du territoire russe. Enfin, le chercheur s’est procuré une image satellite de la zone où se croisaient les deux trajectoires. Sur une image datée du 27 février 2022 (soit la veille des bombardements à sous-munitions sur Kharkiv), des véhicules russes, regroupés, tirent en direction de la ville. La fumée des roquettes est visible sur cette image satellite.

At one of these locations, you could even see a smoke cloud from a recently fired MLRS, leading in the direction of Kharkiv. pic.twitter.com/HxMI8rDDAx

— Michael Sheldon (@Michael1Sheldon) March 1, 2022


Localisation du point de départ d’un tir en territoire russe le 27 février 2022. La fumée est encore visible, ainsi que les véhicules qui ont réalisé le tir.

L’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch a également enquêté sur ces incidents. Elle évoque un usage de roquettes à sous-munitions 9M55K sur Kharkiv le 28 février, qui a tué au moins neuf civils. Amnesty International, de son côté, a annoncé le même nombre de morts, et explique lancer une enquête indépendante.

Les sous-munitions en Ukraine, utilisées dès 2014

Le média indépendant Bellingcat, spécialisé dans les sources ouvertes, a lui aussi documenté l’usage de bombes à sous-munitions en Ukraine depuis le 25 février.

These remains of rocket motors from BM-30 multiple rocket launcher rockets have been documented in various civilian areas, and considering these are usually associated with cluster munition use it raises concerns of cluster munitions being used by Russia in civilian areas. pic.twitter.com/zNstU53KoQ

— Eliot Higgins (@EliotHiggins) February 25, 2022

Ce n’est pas la première fois que l’Ukraine est visée par des sous-munitions. Dès le début de la guerre dans le Donbass, en 2014, l’organisation Human Rights Watch a documenté l’usage de ces munitions.

Source

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