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Sergueï Lebedev : « Il est trop tôt pour demander pardon aux Ukrainiens »

L’écrivain russe Sergueï Lebedev, à Mantoue, en 2018. BASSO CANNARSA/OPALE.PHOTO

Après des années de guerre larvée, la Russie a de nouveau attaqué ouvertement l’Ukraine.

Jours de honte. Jours les plus noirs de notre histoire.

L’attaque, qui avait été annoncée, a quand même été une surprise.

Mais le poison de l’inimitié mijotait depuis longtemps.

Beaucoup disent maintenant que le président Poutine est le seul responsable. Et que les Russes sont massivement contre la guerre, même s’ils ont peur de le montrer ouvertement.

Il se peut qu’une partie considérable de la société soit contre la guerre, surtout pour des raisons égoïstes et de bon sens. Mais cela n’enlève rien à la question de savoir comment cette guerre a été rendue possible : politiquement et psychologiquement.

A la question du racisme post-impérial russe.

Qui a été et reste le fondement et le carburant de la politique agressive de Poutine – politique étrangère ou intérieure.

Et ce racisme ne disparaîtra pas tout seul, même avec le départ de Poutine.

La Fédération de Russie est un pays multinational.

La Fédération de Russie est un pays raciste.

Il s’agit d’un racisme post-impérial, profondément ancré dans notre conscience et notre culture, notre langue et notre vision ordinaire du monde, qui ne compte pas une, ni deux, mais des dizaines de nations-objets, rangées en une hiérarchie chauvine multiple et fluctuante.

Au milieu des années 1990 et au début des années 2000, lorsque la Russie faisait la guerre en Tchétchénie, les attitudes racistes se concentraient sur les personnes originaires du Caucase. Il existait même un terme semi-officiel, un cliché tout droit sorti du rapport d’un policier ignare : « Individu de nationalité caucasienne ».

C’est cet « individu de nationalité caucasienne », un portrait collectif, qui était la cible du nationalisme ordinaire, nourri du récit de l’oppression des Russes « blancs » désorganisés par les montagnards « noirs ». C’est cet « individu de nationalité caucasienne » que la propagande d’Etat, pour justifier la guerre en Tchétchénie, a tenté de présenter comme le visage de l’ennemi, de l’envahisseur, du terroriste ; comme l’image du mal.

Puis, pendant les années de vaches grasses du règne de Poutine, alors que la Tchétchénie était définitivement occupée, de nombreux ouvriers des Etats d’Asie centrale (Tadjikistan, Ouzbékistan, Kirghizistan et autres) sont venus travailler en Russie. Et une autre image raciste a émergé, colportée par la culture populaire. A présent c’était un « jaune », un Asiatique, un « Djamchout » [caricature d’ouvrier immigré tadjik] collectif, sale et sans éducation, mais rusé, une créature inférieure qui a pour fonction de servir les maîtres blancs nouvellement et soudainement enrichis. Au début, la Russie de Poutine était riche à crever ; le secteur de la construction était en plein essor et il était rentable d’exploiter pour presque rien les travailleurs sans papiers, dont les conditions de vie et de travail n’étaient pas différentes de celles des esclaves. Cet odieux cas de figure est, hélas, encore très courant en Russie aujourd’hui.

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