Publié le : 02/03/2022 – 14:38
Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a fait, mardi, du retrait de Russie de TotalEnergie et d’Engie une « question de principe », alors que la guerre en Ukraine fait rage. Il faut dire que depuis la décision de BP et de Shell de quitter le pays, tous les regards sont tournés vers les champions économiques français qui sont parmi les plus investis.
Courage, restons. Telle semble être la position de plusieurs grands groupes français comme TotalEnergie et Engie, qui ont des activités en Russie. Position qui tranche avec celle adoptée par plusieurs de leurs concurrents anglo-saxons ayant décidé de quitter le pays après le début de l’invasion russe en Ukraine.
La situation commence même à embarrasser le gouvernement. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a ainsi ouvertement demandé aux fleurons français de l’énergie, mardi 1er mars, de cesser leurs activités en Russie. « Je crois qu’il y a désormais un problème de principe à travailler avec toute personnalité politique ou économique proche du pouvoir russe », a précisé le patron de Bercy sur franceinfo.
L’exemple de BP et Shell
Ce dilemme devrait être abordé lors de la réunion des filières concernées par la guerre en Ukraine au ministère de l’Économie et des Finances, mercredi 2 mars. Cependant, Bercy s’est gardé de citer le secteur de l’énergie dans son communiqué, ne faisant référence qu’à ceux de l’automobile, des mines et de la métallurgie, de l’industrie agroalimentaire et, plus généralement, de « l’ensemble des filières industrielles ». Contacté par France 24, le ministère n’a pas précisé s’il s’agissait pour Bruno Le Maire d’avoir la possibilité de traiter cette très sensible question à l’occasion d’une réunion séparée.
Il faut dire que les groupes pétroliers et gaziers internationaux qui opèrent en Russie se sont retrouvés dans une situation inconfortable après les annonces choc, en début de semaine de BP, de Shell et du groupe pétrolier norvégien Equinor pour protester contre l’agression militaire russe.
C’est surtout la décision de BP qui a le plus changé la donne. Le géant néerlando-britannique était le groupe pétrolier le plus exposé, d’après la banque d’investissement Jefferies. Il a décidé de vendre les près de 20 % de parts du géant pétrolier russe Rosneft qu’il détenait depuis 2013 et de se retirer des trois projets pétroliers en Russie auxquels BP était associé.
Un choix qui devrait lui coûter près de 25 milliards de dollars de revenu en moins pour le premier trimestre, affirme le Financial Times. « Ce que BP a fait met tous ses concurrents sous pression », confirme Christyan Malek, responsable des questions d’énergie pour la banque JP Morgan, interrogé par le Financial Times.
À commencer par TotalEnergie qui devient désormais le groupe pétrolier le plus investi en Russie, qui lui fournit environ 17 % de sa production annuelle de gaz et de pétrole. Sa position est donc suivie de très près.
Et pour l’instant, le groupe français persiste et signe… Tout en lâchant du lest. Peu après l’appel de Bruno Le Maire sur franceinfo, le géant français a publié un communiqué dans lequel il « condamne l’agression militaire russe » et annonce avoir décidé de ne plus apporter de capital à de « nouveaux projets en Russie ». Concernant les partenariats en cours, ils sont simplement « en cours d’évaluation ». Autrement dit : TotalEnergie n’a pour l’instant pas l’intention d’imiter BP et Shell.
L’importance du gaz russe pour TotalEnergies
Rompre avec la Russie serait un choix lourd de conséquences pour le pétrolier français. Contrairement à ses concurrents, TotalEnergie a, en effet, augmenté ses investissements en Russie après l’annexion de la Crimée en 2014, rappelle Les Échos.
Le pays est devenu crucial pour la branche gaz du géant français. Il détient 19,4 % de Novatek, le plus important producteur privé russe de gaz, qui lui fournit près de 30 % de son approvisionnement.
TotalEnergie a aussi beaucoup misé sur le développement du gaz naturel liquéfié (GNL) en Russie. Il détient 20 % du champ gigantesque de GNL de la péninsule de Yamal en Sibérie arctique et a acheté, en 2019, près de 10 % d’un autre projet très controversé baptisé Arctic LNG 2. Ce programme d’exploitation de gaz liquifié a, en effet, été lancé sans la participation d’aucune banque américaine ou européenne, puisqu’il avait été démarré après l’instauration des sanctions internationales contre la Russie en 2014.
Si Engie n’est pas aussi exposé que Total à la Russie, le groupe gazier français a cependant des intérêts dans des projets russes particulièrement sensibles. Il a ainsi investi près d’un milliard d’euros dans le célèbre et controversé gazoduc Nord Stream 2. La faillite annoncée mercredi 2 mars du consortium international qui gérait ce projet a entraîné une forte chute de l’action d’Engie à la Bourse de Paris.
La question se pose aussi pour la participation du groupe français à l’exploitation du gazoduc Nord Stream 1, qui relie déjà la Russie à l’Allemagne et fournit du gaz à l’Europe depuis 2012. Engie détient près de 9 % du consortium international mis en place par le géant russe Gazprom pour exploiter ce gazoduc.
La France premier employeur international en Russie
Engie s’est montré encore plus discret que TotalEnergies quant à la poursuite de ses activités en Russie. Le groupe n’a pas communiqué depuis les déclarations de Bruno Le Maire, et avait simplement indiqué prendre « note des évolutions de la situation, en lien avec les sanctions américaines, et analyser les conséquences à en tirer pour le groupe », rapporte le site Usine Nouvelle.
L’embarras du secteur français de l’énergie est symptomatique d’une réalité plus large : les champions économiques français sont très présents en Russie. En tout, 35 groupes du CAC 40 ont une présence en Russie. Ces sociétés ont investi environ 20 milliards d’euros en Russie en 2020 où elles emploient 200 000 personnes. « Ce qui fait d’elles les premiers employeurs internationaux de Russie », souligne Les Échos.
Outre Total et Engie, c’est Renault qui a le plus misé sur le pays puisqu’il contrôle près de 30 % du marché automobile local grâce à son acquisition d’Avtovaz, le propriétaire de la marque Lada. Le groupe Mulliez se développe en Russie depuis le début des années 2000 en implantant des centaines de magasins Auchan, Leroy Merlin ou Decathlon à travers le pays.
En d’autres termes, certains des plus importants champions économiques français auraient beaucoup à perdre si Moscou venait à décider de sanctionner les sociétés occidentales implantées en Russie. Même si Bercy tient à relativiser l’exposition de l’économie française, dans son ensemble. Les échanges sont, en effet, limités puisque les ventes de produits français en Russie ne représentent que 1,3 % des exportations françaises.
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