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Crise ukrainienne : les sanctions peuvent-elles vraiment mettre la Russie sous pression ?

Le président russe, Vladimir Poutine, lors des célébrations nationales de la journée « des défenseurs de la patrie » à Moscou, le 23 février 2022. ALEXEI NIKOLSKY / AP

L’effort diplomatique semble avoir vécu. Après des mois de tensions autour de l’Ukraine, le président russe, Vladimir Poutine, a choisi, lundi 21 février, de reconnaître les deux territoires séparatistes faisant partie de la région du Donbass – la « République populaire de Louhansk » et la « République populaire de Donetsk » – et a annoncé l’envoi de son armée en appui.

Pour les Occidentaux, l’heure est désormais aux sanctions graduelles contre Moscou. Quelle forme prendront ces représailles ? Quelles conséquences peuvent-elles avoir sur la Russie ? Ces mesures peuvent-elles, par effet de ricochet, pénaliser les Européens ?

Pourquoi utiliser l’arme des sanctions économiques ?

L’Ukraine ne fait pas partie de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), une alliance politico-militaire dont les membres s’engagent à se protéger mutuellement en cas d’attaque. Une intervention directe de l’Alliance atlantique sur le territoire ukrainien n’est donc pas envisageable. Concrètement, plusieurs pays fournissent du matériel militaire à Kiev, mais aucun n’enverra de troupes combattre sur son sol. Les sanctions économiques constituent un autre levier d’action pour faire pression sur le président russe, Vladimir Poutine.

Quelles sont les sanctions annoncées contre la Russie ?

Les Etats membres de l’Union européenne (UE) ont immédiatement condamné les décisions prises par le chef du Kremlin. Ils ont aussi traduit sans tarder leur colère en actes, en annonçant une première série de sanctions qui devait entrer en vigueur mercredi.

Ces représailles visent d’une part des responsables politiques russes – désormais interdits de visa dans l’UE, où leurs avoirs seront gelés – et d’autre part des banques impliquées dans le financement des séparatistes prorusses – qui ne pourront plus émettre ou échanger des obligations sur les marchés européens. L’UE privilégie une approche graduelle et garde en réserve d’autres mesures pour faire face à une éventuelle escalade du conflit.

L’Allemagne a porté le coup le plus symbolique : le chancelier Olaf Scholz a annoncé mardi suspendre l’autorisation de Nord Stream 2. Achevé en novembre 2021, ce gazoduc, qui doit acheminer du gaz russe en Allemagne via la mer Baltique, n’a pas encore été mis en service.

De son côté, le Royaume-Uni a décidé mardi de geler les avoirs de trois milliardaires considérés comme des proches de Vladimir Poutine, et de les interdire sur le territoire. Les sanctions britanniques visent de plus cinq banques russes, dont Rossiya et Promsvyazbank, très actives pour financer l’industrie de la défense. « Nous ferons bien plus en cas d’invasion », a prévenu le premier ministre britannique, Boris Johnson.

En accord avec leurs alliés européens, les Etats-Unis ont choisi de couper la Russie des financements occidentaux. Concrètement, Moscou ne peut plus lever de fonds aux Etats-Unis ou en Europe et ses nouvelles émissions de dettes ne peuvent plus être négociées sur les marchés financiers américains ou européens.

Deux banques publiques russes sont également visées – la Vnesheconombank et la Promsvyazbank – qui représentent 70 milliards d’euros d’actifs (ce qui est bien moins que les principales banques du secteur). Washington s’attaque aussi à cinq proches du président russes, qui voient leurs avoirs aux Etats-Unis gelés.

Là encore, certaines mesures restent en réserve. Pour l’heure, pas question d’interdire les exportations vers la Russie d’équipements avec des composants américains, ou bien de déconnecter Moscou du système d’informations financières Swift, ce qui aurait des effets redoutables pour les entreprises occidentales.

La Russie a-t-elle déjà subi de telles sanctions ?

Après l’annexion de la Crimée par la Russie, en 2014, l’UE et les Etats-Unis avaient adopté une série de sanctions économiques. Cela s’était traduit par une fuite massive de capitaux, un plongeon des investissements et une forte baisse du rouble.

Néanmoins, le coût de ces mesures de rétorsion « n’a pas été assez fort pour favoriser un retrait russe mais il a simplement signalé ce que les Européens jugeaient inacceptable », explique au Monde Sven Biscop, professeur de stratégie à l’université de Gand et directeur du programme « Europe dans le monde » au groupe de réflexion Egmont, à Bruxelles.

De fait, ces sanctions n’ont pas empêché le Kremlin de mener des cyberattaques massives, d’assassiner ou de tenter d’assassiner des opposants politiques, et de menacer le Donbass d’invasion. Leur effet sur la croissance russe a été limité : − 0,2 % du produit intérieur brut (PIB) par an entre 2014 et 2018, selon le Fonds monétaire international. Les colossaux projets gaziers menés dans l’Arctique par le groupe russe Novatek et le français Total ont été financés sans recours au dollar. Un récent rapport du Congrès américain note même que les exportations russes de pétrole vers les Etats-Unis ont augmenté, malgré les restrictions sur certaines technologies imposées par Washington.

Les nouvelles sanctions seront-elles plus efficaces ?

Les premières sanctions décidées par les Occidentaux devraient avoir des conséquences limitées. En tout cas, certainement pas au point de faire fléchir Vladimir Poutine. Les banques visées par l’UE et les Etats-Unis sont relativement mineures, et de nombreux capitaux russes en dehors du pays ont déjà été rapatriés à titre préventif. Les annonces ciblant certains oligarques auront elles aussi un impact faible sur l’économie russe.

En revanche, les difficultés accrues pour l’Etat russe à accéder aux marchés de capitaux occidentaux pour refinancer sa dette pourraient peser sur la valeur du rouble, et par ricochet sur le pouvoir d’achat des consommateurs russes pour les produits importés.

Benoît Vitkine, le correspondant du Monde à Moscou, nuance : « Les Russes sont pauvres, mais les coffres de l’Etat sont pleins. Depuis dix ans que le niveau de vie baisse dans le pays, les réserves s’accumulent, elles sont immenses et elles permettent de voir venir. C’est un peu comme si Moscou se préparait de longue date à cette confrontation dure. » La Russie peut en effet se targuer d’avoir accumulé près de 640 milliards de dollars (566 milliards d’euros) dans ses réserves de change (une épargne permettant à un pays de continuer à importer malgré les aléas du commerce international). Elle dispose également d’un fonds souverain de 183 milliards de dollars (162 milliards d’euros), un énorme bas de laine qui lui permettra d’amortir le choc des sanctions, pour un temps au moins.

« Pardonnez-moi l’expression, mais nous n’en avons rien à foutre de toutes leurs sanctions », avait prévenu sans ambages l’ambassadeur russe en Suède, Viktor Tatarintsev, dans un entretien au journal suédois Aftonbladet le 12 février.

Il faut rappeler ici que les sanctions annoncées mardi s’inscrivent dans une stratégie de graduation : en cas d’escalade russe, les Occidentaux se réservent la possibilité de mener des actions supplémentaires. Un premier « paquet » de sanctions à la portée limitée permet en outre de laisser une chance à la diplomatie. « C’est le début d’une invasion et c’est le début de notre réponse », a ainsi résumé un haut responsable de l’administration américaine.

Quelles conséquences pour les Européens ?

Les représailles décidées contre le Kremlin peuvent-elles se retourner contre les Européens ? C’est possible si la Russie décide à son tour de sanctions, notamment dans le domaine énergétique. L’Europe importe en effet 40 % de ses besoins en gaz de la Russie, avec une forte hétérogénéité entre les Vingt-Sept. La Slovaquie et l’Autriche s’approvisionnent exclusivement en Russie. A l’inverse, l’Espagne n’achète rien à Moscou. En Hongrie et en Finlande, c’est 80 % de l’approvisionnement qui est russe ; ce pourcentage tombe à 50 % en Allemagne, il est d’un peu plus de 20 % en France.

Le Kremlin dispose donc d’un réel pouvoir sur ses voisins. D’autant que les membres des pays exportateurs de gaz, dont fait partie le Qatar, ont prévenu mardi qu’ils disposent de capacités limitées pour augmenter rapidement l’approvisionnement de l’Europe. Et ces derniers mois, les tensions entre Bruxelles et Moscou au sujet de l’Ukraine ont déjà contribué à l’envolée des prix du gaz sur le marché européen.

Sur le marché agricole, la Russie est le premier exportateur mondial de blé et représente, avec l’Ukraine, un quart des exportations mondiales de cette céréale incontournable. Le pays est aussi l’un des plus importants producteurs mondiaux de nickel et d’aluminium.

Au sein de l’UE, c’est l’Allemagne qui a les liens commerciaux les plus forts avec Moscou, mais seulement 2 % de ses exportations sont à destination de la Russie.

A Paris, le ministère des finances relève que l’impact des sanctions économiques « sera plus fort pour la Russie que pour l’UE. [Cette dernière] exporte l’équivalent de 1 % de son produit intérieur brut [PIB] vers la Russie, [celle-ci] exportant vers l’UE 11 % de son PIB ». Même s’il y a évidemment des disparités entre les Etats membres. Pour la France, la Russie est le quinzième marché et le dix-septième pays d’importation.

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