Publié le : 22/02/2022 – 15:06
Après avoir empêché les femmes de travailler durant des années, le royaume ultra-conservateur encourage les Saoudiennes à accéder à des métiers traditionnellement masculins. Poussées par ces mesures incitatives, les Saoudiennes n’hésitent pas à faire leur place sur le marché de l’emploi.
Une offre d’emploi visant à recruter 30 conductrices de train en Arabie saoudite a engendré près de 28 000 candidatures. Un succès qui en dit long sur les aspirations des Saoudiennes, dans un pays ultra-conservateur ayant récemment assoupli ses restrictions à l’emploi des femmes.
L’annonce, publiée en janvier par une succursale de la compagnie ferroviaire espagnole Renfe, propose de former les candidates tout en les rémunérant pendant une année. Âgée de 22 à 30 ans, elles ont déjà passé une première phase de sélection en ligne basée sur leurs dossiers scolaires et leurs compétences en anglais, indique un communiqué de Renfe, qui a déjà éliminé la moitié des postulantes.
Les trente conductrices retenues seront amenées à piloter, à partir de mars 2023, des trains à grande vitesse de la ligne de chemin de fer reliant la Mecque à Médine, une route empruntée par des millions de pèlerins musulmans chaque année. L’opérateur ferroviaire espagnol emploie actuellement 80 hommes pour conduire ses trains en Arabie saoudite, et 50 autres sont en cours de formation. Mais « c’est la première fois dans l’histoire du pays que des femmes saoudiennes auront accès à cette profession », met en avant la Renfe.
« Je ne suis pas très surpris », commente Arnaud Lacheret, auteur de « La femme est l’avenir du Golfe : ce que la modernité arabe dit de nous » (éd. Bord de l’eau). « Il y a en ce moment une vraie communication autour de l’emploi des femmes en Arabie saoudite, certes en direction de l’étranger, mais aussi pour inciter les Saoudiennes à intégrer le marché du travail ».
Des cabinets de chasseurs de tête pour employer des Saoudiennes
Même si la répression des opposants politiques, et notamment des militantes féministes, s’est accentuée en Arabie saoudite sous l’impulsion du prince héritier Mohammed ben Salmane, la société saoudienne connaît de vrais bouleversements depuis qu’il a lancé un vaste plan de modernisation pour ouvrir le royaume et diversifier son économie. Après avoir obtenu le droit de pouvoir prendre le volant en 2018, les Saoudiennes, qui représentent près de 42 % de la population, ont été autorisées, à partir de 2019, à voyager sans l’autorisation d’un homme, à créer leur propre entreprise et plus récemment à vivre seules. En cinq ans, selon une étude du think thank américain Brooking institutions, le taux d’activité des femmes est passé de 20 à 33 % en 2021.
La plupart de ces femmes travaillent désormais dans les secteurs du tourisme, des loisirs, de l’accueil, mais elles ont aussi massivement investi les métiers des ressources humaines, de la finance et de la banque ainsi que les nouvelles technologies. Jusqu’en 2012, les Saoudiennes n’étaient autorisées qu’à exercer des métiers à l’abri des regards, notamment dans des bureaux ou dans les commerces. Arnaud Lacheret, qui est aussi professeur de sciences politiques, dirige un MBA en partenariat avec l’ESSEC au Bahreïn. Il voit débarquer dans son master des Saoudiennes trentenaires, venus se former sur le tard après l’ouverture du marché de l’emploi aux femmes en Arabie saoudite. « La volonté de féminiser les métiers est réelle, y compris par une politique de quota. Aujourd’hui, il y a des cabinets de chasseurs qui aident les entreprises à recruter des Saoudiennes, parce qu’embaucher des femmes leur permet de toucher des aides publiques ».
Une nécessité économique
Si les tutelles ont été assouplies, permettant aux femmes de sortir du foyer et d’exercer les métiers qui leur plaisent, la réalité est plus complexe, souligne ce fin observateur de la société saoudienne. « La loi a changé, mais la tradition, elle, persiste. Culturellement les femmes doivent encore convaincre celui qui avait le dernier mot dans la famille, d’accepter qu’elles travaillent ».
Toutefois, une « conséquence inattendue » des réformes de Mohammed ben Salmane est venue jouer en faveur des Saoudiennes. « À force de privatiser le pays et de rogner sur les subventions publiques aux familles, le souverain a créé un besoin au sein des classes populaires et des classes moyennes saoudiennes. Les hommes sont plus à même de laisser leurs femmes aller travailler, puisqu’il s’agit de la survie financière de la famille », explique Arnaud Lacheret.
Plus largement, l’emploi des femmes participe à une stratégie nationale de sortie du tout-pétrole. Alors que la rente pétrolière s’épuise, les Saoudiennes sont appelées à participer au développement des secteurs du tourisme, de la finance ou encore des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle, sur lesquels désormais mise le pouvoir.
Et ce, d’autant que depuis la crise du Covid-19, plusieurs millions de travailleurs étrangers venus d’Inde, du Pakistan ou des Philippines ont quitté le pays. Les employeurs se sont alors tournés vers les Saoudiennes, plus propices à accepter de bas salaires même si elles sont plus diplômées, indiquait une seconde étude de Brooking Institutions. Reste que ce dernier bassin d’emploi pourrait s’évaporer bien vite avec le retour des travailleurs migrants. Eux sont payés en moyenne plus de deux fois moins que les Saoudiennes.
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