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Au Cameroun, « la vie est devenue trop chère »

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Un marché à Douala, en janvier 2022. CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Claudine Méné est à son « troisième tour » du marché Sandaga à Douala, la capitale économique du Cameroun. De boutique en boutique, cette femme de 53 ans au front creusé de rides s’enquiert des prix. « Ils ont tous augmenté », répondent invariablement les commerçants.

Selon les marques, le paquet de pâtes de 500 grammes est passé de 375 francs CFA à 425 francs CFA (de 57 centimes à 65 centimes d’euros) ou encore de 500 à 650 francs CFA, au cours des quatre derniers mois. Et la tasse de riz, qui valait 100 ou 125, est vendue aujourd’hui 150, 175 voire 200 francs CFA.

Claudine s’adosse à un comptoir vide. « Je ne comprends plus rien, soupire cette mère de six enfants, en essuyant son visage à l’aide d’un bout de sa longue robe colorée. Chaque semaine, les prix grimpent. Le riz, l’huile, le poisson, les œufs. La vie est devenue trop chère au Cameroun. »

Des clientes comme Claudine, Abdelaziz ne cesse d’en voir défiler dans sa boutique. Certaines l’accusent même « de vol. Elles pensent que c’est moi qui augmente les prix. Ce qui est faux. Nous aussi nous subissons », s’écrie-t-il. En quelques mois, il a vu les sacs de riz passer de 15 000 ou 19 000 à 21 000 francs CFA et plus. « Nous sommes obligés de nous aligner. Et je perds des clients », constate-t-il.

« Les prix ont galopé »

Dans la pièce qui jouxte sa boutique, les responsables de ce marché considéré par certains comme le plus grand d’Afrique centrale pour les produits frais, se sont retrouvés jeudi 10 février pour leur traditionnelle réunion hebdomadaire. Assis autour de la table, tous assurent être « affectés par l’inflation ». « Les gens ne vendent pas cher pour le plaisir », tient à préciser Jean Gédéon Mbianji Mengue, le président du marché Sandaga, mais parce que « les prix des produits de première nécessité ont galopé ».

Près de lui, Victor Jatsa est « à bout ». Ce commerçant et agriculteur dit avoir perdu plus de 12 millions de francs CFA (plus de 18 300 euros), investis dans la culture de la tomate. Il a tout fait pour relancer son activité. Mais, « le prix de l’engrais est passé de 15 000 à plus de 25 000 francs CFA. Comment peut-on s’en sortir ? Les ménagères sont affectées. Nous sommes affectés », peste-t-il.

Selon l’économiste Dalvarice Ngoudjou, la valse des étiquettes est d’abord la conséquence de la hausse des prix des matières premières – notamment les denrées alimentaires et les intrants agricoles – sur les marchés mondiaux, résultat d’une combinaison de facteurs liés à la pandémie.

Cette montée des cours se répercute rapidement au Cameroun, très dépendant des importations pour de nombreux produits de grande consommation comme le riz, le blé ou encore le poisson. A titre d’exemple, le pays couvre à peine un quart de ses besoins en riz avec la production locale. Le reste est importé, soit près de 320 000 tonnes au premier semestre 2021, en hausse de 23 % sur un an, d’après l’Institut national de la statistique (INS).

Des allègements fiscaux « insuffisants »

Dans un pays où le salaire minimum garanti est de 36 000 francs CFA (55 euros) par mois, de nombreux Camerounais peinent déjà à joindre les deux bouts. La hausse des prix alimentaires, qui s’ajoute aux autres dépenses courantes, est donc « intenable » pour les ménages modestes, affirme M. Ngoudjou.

Le contexte est délicat pour les consommateurs et les commerçants, mais également pour l’industrie agroalimentaire. Ainsi, le 8 février, le groupement des industries meunières du Cameroun, représentant 70 % de la filière, a suspendu toute livraison de blé sur l’ensemble du territoire. Selon le communiqué, cette « mesure prise à contrecœur vise à limiter la portée des pertes que ces entreprises enregistrent depuis trois mois à cause de l’augmentation ininterrompue et sans précédent du cours du blé, leur matière première ».

« A ce jour, nous n’avons plus suffisamment de trésorerie pour pouvoir garantir une disponibilité de la farine sur le marché à des quantités suffisantes », explique Alfred Momo Ebongue, secrétaire général du groupement. « Nous avons un écart important entre nos coûts de production compte tenu du prix de revient du blé et le prix de vente de la farine », poursuit-il, tout en précisant que, depuis octobre 2021, la filière perd en moyenne 5 milliards de francs CFA (quelque 7,6 millions d’euros) par mois.

En septembre 2021, le groupement a entamé des négociations avec le ministère du commerce, mais les meuniers jugent « insuffisantes » les mesures – notamment des allègements fiscaux – prises par le gouvernement pour les épauler. Désormais, ils réclament l’autorisation aux pouvoirs publics de pouvoir augmenter de 3 000 francs CFA le sac de farine de 50 kg vendu actuellement 19 000 francs CFA sur le marché.

« Il faut que cela change »

« Ce n’est pas pour gagner plus d’argent, mais pour que nous ayons une trésorerie suffisante qui nous permette de continuer à acheter du blé et à ravitailler le marché, souligne Alfred Momo Ebongue. Il en va de la pérennité de nos entreprises. » Certains meuniers ont déjà augmenté les prix, concède-t-il. Ce qui fait craindre une hausse du coût de la baguette de pain dont le tarif est officiellement fixé à 125 francs CFA. « D’autres boulangers ne produisent même plus le pain… La situation n’est pas bonne », s’inquiète Jean-Claude Yiepmou Kapwa, président national du Syndicat patronal des boulangers du Cameroun.

Pour Dalvarice Ngoudjou, la baisse du pouvoir d’achat des Camerounais risque de « créer un climat social délétère ». « La plupart des grandes révolutions, dans le monde entier, sont motivées d’abord par les besoins de base, le panier de la ménagère », avertit l’économiste.

Au marché Madagascar, autre espace commerçant de la capitale économique, Solange Nana, vendeuse ambulante de morues fumées, tente de convaincre Aïcha d’acheter ses poissons. Cette dernière, visiblement contrariée, lui explique « ses péripéties » : « En dehors de l’huile végétale dont le prix a légèrement diminué, tout est cher. Chaque jour, l’argent de la ration [alimentaire] ne suffit plus. Si ça continue, nos enfants seront affamés. Les garçons deviendront des bandits. Il faut que cela change. »

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