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Anorexie, exigence et dopage : derrière la patineuse Kamila Valieva, l’ombre d’Eteri Tutberidze

Kamila Valieva, la jeune prodige russe du patinage artistique contrôlée positive à un test antidopage, est la dernière championne en date sortie de l’écurie montée par Eteri Tutberidze, coach aux résultats éclatants mais aux méthodes controversées.

Lundi, un quadruple saut qui marque l’histoire des Jeux olympiques et vendredi, l’annonce d’un contrôle antidopage positif. À 15 ans, Kamila Valieva, favorite pour l’or en individuel mais contrôlée positive à une substance interdite, a déjà marqué ces JO-2022.  

Comme tout ce qui s’est fait de mieux, ou presque, depuis plus de cinq ans dans le patinage féminin, Valieva, arrivée en archifavorite pour l’or olympique à Pékin à 15 ans seulement, est un pur produit de la très rigoureuse école Tutberidze. 

La renaissance comme entraîneuse 

Née à Moscou en 1974, dernière d’une famille de cinq enfants, Eteri Tutberidze chausse les patins dès l’âge de quatre ans. Une fissure de la colonne vertébrale va mettre fin à ses rêves de patinage artistique. Elle se tourne alors vers la danse sur glace. 

À l’âge de 18 ans, elle quitte l’URSS devenue Russie pour les États-Unis. Elle rejoint le « Russian Ice Ballet » pour une tournée à travers l’Amérique. Alors que le show était à l’arrêt et que la troupe se reposait dans une auberge de jeunesse d’Oklahoma City, une explosion survient dans le bâtiment d’en face, le 19 avril 1995. Posée par deux suprémacistes blancs, cette bombe tue 168 personnes et fait 680 blessés. Malgré la violence de l’explosion, la patineuse sort des débris avec de simples coupures. 

Peu après, elle commence à entraîner pour arrondir ses fins de mois, puis finit par rentrer en Russie en 1998, victime du mal du pays. Elle monte son école, façonnant dès le plus jeune âge des enfants pour les programmer pour gagner. 

La « quad squad » 

Dans ses rangs actuellement figurent Anna Shcherbakova, championne du monde en titre, et Alexandra Trusova, médaillée de bronze européenne et mondiale, les deux autres patineuses russes engagées aux Jeux de Pékin. Avec Valieva, ce sont précisément les trois qui ont trusté le podium européen il y a moins d’un mois et ont débarqué dans la capitale chinoise promises au podium olympique. 

Ces trois jeunes filles sont surnommées la « quad squad » pour leur maîtrise du quadruple saut, une figure longtemps considérée comme impossible pour les patineuses.  

Pourtant, Kamila Valieva en a signé trois, lundi 7 février, les trois premiers de l’histoire olympique. Un quadruple Salchow d’abord, puis un quadruple boucle piqué en combinaison avec un triple boucle piqué. Sa troisième tentative s’est soldée par une chute. 

Des championnes à la retraite à 20 ans 

Comment Eteri Tutberidze obtient-elle de tels résultats chez ses élèves ? Avec une rigueur poussée à l’excès chez des enfants souvent pris quasiment à la sortie du berceau. Son club, Sambo 70, dans le sud-ouest de Moscou, elle le qualifie d’ »usine » à champions tandis que ses athlètes sont un « matériau » à façonner. 

Elle les façonne d’ailleurs d’une main de fer en malmenant les corps jusqu’à l’extrême. Elle n’hésite pas à les soumettre à de lourdes charges de travail répétitif, sans prendre en compte le jeune âge de ses athlètes. Elle les pèse également à chaque entraînement. 

Ses anciennes protégées les plus illustres ont souvent eu une trajectoire météorique. Il y a eu Alina Zagitova, championne olympique 2018 et championne du monde 2019, Evgenia Medvedeva, vice-championne olympique 2018 et double championne du monde (2016 et 2017), Ioulia Lipnitskaïa, championne d’Europe et vice-championne du monde 2014. 

Toutes ont pris leur retraite avant l’âge de 20 ans, victimes de problèmes de santé ou d’anorexie. Ioulia Lipnitskaïa a ainsi pris la sienne en 2017 en raison de son anorexie, expliquant avoir l’impression de grossir « rien qu’en respirant de l’air ». Evgenia Medvedeva, qui a attendu ses 22 ans, a également déclaré avoir passé une partie de sa vie « à moitié affamée » à « contrôler tout ce qu’(elle) mangeait ». 

« Je ne contrôle pas leur régime, je les pèse. Même pas moi personnellement, je leur demande juste de m’envoyer leurs résultats », avait répondu aux critiques Eteri Tutberidze auprès de Sports.ru. Reste que dans le milieu, on moque une « date d’expiration » des « produits » Eteri. Les championnes sont souvent éphémères au Sambo 70. 

Le dopage : « la bonne façon de faire » ? 

Jusqu’au contrôle positif de Kamila Valieva, les athlètes d’Eteri Tutberidze n’ont jamais été inquiétées dans des affaires de dopage. Ses élèves se sont retrouvées au centre d’une polémique en 2019. Sur Instagram, Anastasiia Shabotova, une patineuse alors âgée de 13 ans, avait expliqué que tous les patineurs et patineuses de Sambo 70 se dopaient et que c’était « la bonne façon de faire » pour avoir du succès. 

La sortie a provoqué un tollé en Russie. La direction de l’agence antidopage russe a condamné les propos de la jeune patineuse, qui a rapidement expliqué avoir été mal comprise, sa mère volant à son secours pour préciser que sa fille n’avait pas compris les questions qui lui avaient été posées. Possédant la double nationalité, Anastasiia Shabotova avait ensuite demandé à représenter l’Ukraine, le pays de sa mère, une requête acceptée par la Fédération russe. Elle était d’ailleurs une des concurrentes de Kamila Valieva lors de l’épreuve par équipes. 

Cette affaire pourrait relancer la fracture, déjà profonde depuis le scandale des JO-2014 de Sotchi, entre la Russie et les instances sportives internationales. L’affaire a fait réagir jusqu’au Kremlin, qui a dit vendredi « soutenir entièrement » Kamila Valieva.

La Russie a été suspendue fin 2020 de toute compétition internationale par le TAS pour deux ans, mais ses sportifs peuvent concourir sous pavillon neutre s’ils n’ont pas été personnellement sanctionnés pour dopage. 

Si l’affaire Valieva s’avère n’être qu’une entorse individuelle aux règles antidopage, elle n’aura pas de conséquences supplémentaires pour le sport russe, sinon d’écorner à nouveau son image : la décision prise en 2020 visait directement l’agence antidopage russe (Rusada), pour avoir d’abord orchestré et dissimulé un dopage institutionnalisé, puis pour avoir manipulé des données informatiques réclamées par l’AMA. 

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