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Ethiopie : « Ce qui se passe au Tigré est sans aucun doute une catastrophe humanitaire »

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Distribution d’aide alimentaire dans un camp de déplacés à Debark, en Ethiopie, le 15 septembre 2021. AMANUEL SILESHI / AFP

La guerre civile qui se déroule depuis novembre 2020 dans le nord de l’Ethiopie est à l’origine d’une catastrophe humanitaire concernant d’abord le Tigré mais aussi, désormais, les régions voisines Afar et Amhara. Le gouvernement d’Addis-Abeba, en guerre contre les rebelles des Forces de défense du Tigré (TDF), est accusé d’exercer un blocus sur la province et ses 6 millions d’habitants. Aucun convoi humanitaire n’a pu y entrer depuis près de deux mois. Michael Dunford, directeur Afrique de l’Est du Programme alimentaire mondial (PAM), tire la sonnette d’alarme alors que, selon une étude publiée le 28 janvier par l’agence onusienne, près de 40 % de la population tigréenne souffre de pénurie alimentaire extrême.

Après plus d’un an et trois mois de conflit, comment qualifier la crise humanitaire dans le nord de l’Ethiopie ?

Elle touche environ 9 millions d’individus, dont 1 million de personnes déplacées. Nous ne parlons pas de famine, principalement car nous n’avons pas les données pour pouvoir le mesurer. Mais ce qui s’y passe est sans aucun doute une catastrophe humanitaire. Pour tenter de l’endiguer, il faut vraiment permettre au PAM et à la communauté humanitaire d’accroître leurs capacités.

Le Tigré n’a pas reçu d’aide alimentaire depuis le 15 décembre 2021. A quel point cette région manque-t-elle aujourd’hui de nourriture ?

Le PAM a récemment mené une étude selon laquelle environ 85 % de la population au Tigré est en situation d’insécurité alimentaire. Près de 40 % des individus connaissent une pénurie extrême de nourriture. Cette étude a été conduite juste après les récoltes, une période durant laquelle les résultats en termes de nutrition sont généralement les meilleurs. Ces niveaux d’insécurité alimentaire sont donc très alarmants, car nous entrons dans la saison creuse. Nous nous attendons à une détérioration de la situation, en particulier pour les enfants et les femmes enceintes, qui sont les plus vulnérables. D’après nos estimations, déjà 13 % des enfants souffrent de malnutrition aiguë et plus de 50 % des femmes enceintes sont sous-alimentées.

Le Tigré étant largement inaccessible, comment y sont conduites les études sur la malnutrition ? Est-il possible pour le PAM d’avoir une vision complète de la crise humanitaire ?

Non, nous ne pouvons pas couvrir 100 % de la région à cause du conflit, du manque d’accès et des pénuries d’essence. Le PAM a utilisé un échantillon de 980 foyers à travers le Tigré, sauf dans l’ouest de la province, qui est presque inaccessible. Mais notre échantillon est représentatif et nous n’avons pas de doutes quant aux résultats, qui sont alarmants. Ce qu’il reste à faire désormais, c’est d’obtenir le soutien de toutes les parties du conflit pour mener à bien nos opérations et inverser la tendance.

Face à la pénurie de nourriture, que font les populations ?

Beaucoup sautent des repas et ne mangent qu’une fois par jour. Des mères ne s’alimentent pas pour laisser leurs enfants se nourrir. Certains vendent leurs biens pour pouvoir acheter de la nourriture, ce qui crée un nouveau cycle de pauvreté. Il y a aussi du troc. Même l’aide alimentaire que fournissaient les acteurs humanitaires [quand ils pouvaient encore le faire, jusqu’à mi-décembre] ne procurait pas assez de calories pour garder un niveau suffisant de sécurité alimentaire.

La limitation des mouvements est-elle la seule difficulté à laquelle est confronté le PAM ?

C’est la principale, mais il y a aussi la question du financement. Le PAM a un besoin urgent de 270 millions de dollars [environ 238 millions d’euros] dans les six prochains mois, uniquement pour le nord de l’Ethiopie. Et même de 550 millions de dollars pour l’ensemble de nos opérations dans le pays. Car il y a d’autres crises profondes qui n’attirent pas autant l’attention que le Tigré, l’Amhara et l’Afar. Actuellement, une sécheresse importante sévit dans les régions Somali, Oromia et SNNPR [Région des nations, nationalités et peuples du Sud].

Après la suspension de plusieurs organisations humanitaires – et notamment de Médecins sans frontières, en août, accusée par les autorités de faire de la « désinformation » sur la crise au Tigré –, quelle est la marge de manœuvre du PAM en Ethiopie aujourd’hui ?

Le PAM est présent en Ethiopie depuis plusieurs décennies et nous avons une longue relation de confiance avec le gouvernement éthiopien. Ils comprennent notre travail et soutiennent nos opérations. Le principal défi, c’est le conflit lui-même. Les corridors humanitaires sont constamment tributaires de l’avancée des combats. Les lignes de front sont mouvantes et cela nous force à revoir constamment nos plans. Le PAM continue de s’entretenir avec toutes les autorités, que ce soit au niveau fédéral ou régional, y compris au Tigré [avec le Front de libération du peuple du Tigré, désigné comme organisation terroriste par le Parlement éthiopien], afin de s’assurer que nos convois puissent se déplacer, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui.

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