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« La crise ukrainienne a aussi une dimension nucléaire »

Il y a dix ans s’éteignait Thérèse Delpech [1948-2012], philosophe, haut fonctionnaire et spécialiste des questions stratégiques. Son dernier ouvrage, La Dissuasion nucléaire au XXIe siècle : comment aborder une nouvelle ère de piraterie stratégique (Odile Jacob), publié en 2013 à titre posthume, fut d’une rare clairvoyance. Elle y prédisait notamment les effets déstabilisateurs de la montée en puissance nucléaire de la Chine, la désinhibition des puissances nucléaires régionales, la tendance à intégrer l’arme nucléaire dans des stratégies de dissuasion coercitives et non plus strictement défensives.

Pierre Vandier [actuel chef d’état-major de la marine, commandant du porte-avions Charles-de-Gaulle de 2013 à 2015] a décrit quelques années plus tard ce « troisième âge nucléaire » désormais advenu, caractérisé par un couplage complexe de conflictualités régionales et du jeu nucléaire stratégique entre grandes puissances.

La crise actuelle, aux frontières de l’Ukraine, a une dimension nucléaire – sous-jacente pour l’heure –, au minimum parce qu’une invasion russe constituerait une nouvelle violation directe du mémorandum de Budapest (1994), signé avec la Russie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, par lequel Kiev a renoncé à un statut nucléaire en échange de l’engagement russe de respecter sa souveraineté.

« Sanctuarisation agressive »

N’oublions pas également que la Russie a conduit une politique de « signalement nucléaire » (« nuclear signaling ») active lors de l’annexion de la Crimée en 2014. Elle a fait allusion à son statut nucléaire pour décourager toute opposition à l’imposition d’un fait accompli territorial et/ou politique.

Plusieurs techniques ont été utilisées par Moscou lors de cette annexion pour crédibiliser ses actions conventionnelles par l’ombre portée du nucléaire : tirs d’essai de missiles balistiques sol-sol et mer-sol concomitants à l’annexion, violation des espaces aériens et maritimes européens par des forces à capacité nucléaire, déploiement temporaire d’avions bombardiers nucléaires en Crimée, déploiement de missiles Iskander à Kaliningrad (enclave stratégique russe au sein de l’Union européenne), déclarations officielles ou autorisées faisant référence au statut nucléaire russe, etc.

Cette stratégie, autrement appelée de « sanctuarisation agressive », selon le mot du chercheur Corentin Brustlein, est également utilisée dans les dynamiques nucléaires asiatiques, en particulier par la Corée du Nord.

La Chine regarde sans doute avec attention le déroulement de la crise ukrainienne pour en tirer des conclusions sur un scénario taïwanais. Plusieurs caractéristiques seraient communes aux deux théâtres : supériorité conventionnelle locale de la puissance remettant en cause le statu quo, asymétrie des enjeux entre puissance attaquante et puissance protectrice, ambiguïté sur le degré de protection offert par cette dernière.

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