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« En Inde, les opportunités professionnelles des femmes dépendent surtout des hommes »

Chronique. Pendant sept ans, l’économiste Shrayana Bhattacharya a sillonné les quartiers pauvres d’Inde pour interroger des femmes sur leur travail. Une mission difficile, tant les interviewées sont réticentes à parler de ce sujet qui leur semble sans intérêt. Plutôt que de les questionner sur leurs salaires, leurs conditions de travail ou leurs aspirations, l’économiste a choisi d’engager la conversation sur Shah Rukh Khan, une star de cinéma révérée dans le sous-continent. Les langues se sont déliées. En parlant de leur admiration pour lui, elles ont évoqué, en creux, leurs désirs, leurs frustrations, les problèmes auxquels elles font face dans leur travail. « En me disant quand, comment et pourquoi elles se tournent vers Shah Rukh, elles nous parlent de quand, comment et pourquoi le monde leur brise le cœur », écrit l’économiste dans son ouvrage Desperately Seeking Shah Rukh (HarperCollins, 2021, non traduit).

Les témoignages rassemblés permettent de mieux comprendre, autrement que par les statistiques, la marginalisation croissante de la main-d’œuvre féminine dans l’économie du pays. L’Inde est le seul pays au monde où le développement s’est accompagné d’une chute de la participation des femmes dans la population active, à un niveau qui est l’un des plus bas de la planète, proche de celui de l’Iran ou de l’Egypte. Elles ne représentaient en 2019 que 20 % de la population active. La situation a empiré depuis le début de la pandémie de Covid-19 puisque ce sont, en très grande majorité, des femmes qui ont perdu leur emploi. Leur place sur le marché du travail dépend de leur condition dans la société. « Ma famille pense que le seul métier qui puisse convenir à une femme, c’est de réussir son mariage », témoigne ainsi Gold, une jeune hôtesse de l’air originaire de Jaisalmer, aux confins du Rajasthan, dont l’éducation ne fut considérée par son père que comme un simple « loisir », en attendant son mariage.

« Echapper à une vie confinée »

En regardant le film Kabhi Khushi Kabhie Gham (La Famille indienne, en français), dans lequel joue Shah Rukh Khan, Gold découvre qu’« il y a un autre monde que Jaisalmer, et où vivent des hommes décents ». Le film emmène les spectateurs à Londres, où des Indiennes comme elle peuvent travailler, ouvrir des magasins. Bien que lointain, ce monde n’est finalement pas aussi hostile que ce que lui dépeint sa famille, en l’enfermant dans un mariage ou un foyer pour sa « protection ». Gold choisit alors de s’émanciper, à ses risques et périls, car s’éloigner de son mari ou de sa famille, c’est prendre le risque de devenir une paria. « Si vous traitez le travail comme une vocation et non comme un simple détour sur la route du mariage, vous devez continuellement fournir des preuves que vous êtes une femme dite “honorable” », ajoute l’économiste. Elle explique que la plupart des femmes restent donc chez elles, à effectuer des tâches domestiques, un travail non rémunéré qui n’est pas reconnu comme tel : « La musique et les films sont un moyen d’échapper à une vie confinée, où aller chez le médecin, même après que votre mari vous a battue, nécessite sa permission. »

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