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Sécurité au Sahel : la force Takuba est-elle encore la bienvenue au Mali ?

Publié le : 27/01/2022 – 17:50

Alors que Paris comptait sur une montée en puissance de la force de lutte antiterroriste Takuba pour compenser le départ des soldats de l’opération Barkhane, le Danemark a annoncé qu’il allait retirer ses troupes du Mali, et ce à la demande de la junte au pouvoir.

Faut-il y voir le début de la fin pour l’opération Takuba ? La junte militaire au pouvoir à Bamako vient en tout cas de porter cette semaine un sérieux coup à cette coalition de forces spéciales européennes, portée à bout de bras par la France, en obtenant le départ d’une centaine de soldats danois.

« Les généraux au pouvoir ont envoyé un message clair où ils ont réaffirmé que le Danemark n’était pas le bienvenu au Mali », a constaté le ministre des Affaires étrangères danois, Jeppe Kofod, après une réunion au Parlement jeudi 27 janvier, actant le retrait des troupes.

En exigeant le départ du contingent danois de son territoire, la junte s’attaque à la clé de voûte du nouveau dispositif militaire français annoncé en juin par le président de la République, Emmanuel Macron.

Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a dénoncé jeudi les « mesures irresponsables » d’une junte « illégitime » au pouvoir à Bamako, alors que le Danemark vient d’annoncer qu’il retirait ses troupes du Mali. « Cette junte est illégitime et prend des mesures irresponsables […]. Elle porte l’entière responsabilité du retrait des forces danoises et s’isole davantage encore de ses partenaires internationaux », a réagi le ministre à Paris.

« La junte multiplie les provocations », s’est indignée mardi la ministre française des Armées, Florence Parly, qui a annoncé « une concertation approfondie avec nos partenaires, et notamment ceux de Takuba ».

Lancée en mars 2020, la Task force Takuba doit jouer un rôle central dans le recalibrage de l’opération Barkhane avec pour objectif la formation des soldats maliens, le renseignement ou encore les opérations ciblées des forces spéciales.

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Le départ forcé du contingent danois « est un coup dur et une énième attaque à l’endroit de la France », analyse Caroline Roussy, chercheuse associée à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), contactée par France 24. « Le Danemark apparaît ici surtout comme une victime collatérale [de la défiance des militaires maliens envers Paris] », ajoute la spécialiste.

Initiative fragilisée

Au-delà de son rôle opérationnel, ce groupement de forces spéciales, symbole d’une Europe de la défense, devait aussi montrer que Paris cédait la main sur les opérations au Mali. Exit le drapeau tricolore, Takuba agit sous pavillon européen.

Pourtant, sur les 900 hommes qui composent cette Task Force, près de la moitié sont Français. Par ailleurs, seuls le Danemark, l’Estonie, la Suède et la République tchèque ont jusqu’ici envoyé des forces spéciales. Les autres pays engagés se sont contentés d’envoyer des soldats affectés à des tâches logistiques. Par exemple, l’Italie qui depuis le 1er janvier a mis à disposition un contingent de 200 soldats en charge de l’entretien des hélicoptères. 

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Avec cette nouvelle démonstration d’hostilité de la junte malienne, l’initiative Takuba apparaît encore un peu plus fragilisée. Dans ce contexte de tensions entre Paris et Bamako, les capitales européennes, déjà réticentes à envoyer des troupes, vont-elles continuer à s’engager au côté de la France ? Les pays qui ont promis des renforts seront-ils en mesure de convaincre leurs parlements respectifs ? De son côté, la Suède a déjà prévu de ne pas renouveler son engagement.

D’autant que ce n’est pas la première fois que les Européens se retrouvent entravés dans leur intervention au Mali. En janvier, le gouvernement de transition malien avait accusé un avion militaire français d’avoir survolé sans autorisation son territoire. Quelques jours plus tard, un avion allemand se voyait refuser le survol de l’espace aérien malien. Face à ces incidents à répétition, la Mission des Nations unies pour le Mali (Minusma) a interrompu tous ses vols internes pendant plusieurs jours.

Rester mais « à quel prix » ?

« Cet épisode danois risque en effet de contrarier les autres capitales. On voit que les autorités maliennes ne souhaitent guère travailler avec les Européens et encore moins avec la France, sans toutefois l’assumer complètement », estime Caroline Roussy. « En attendant, le pays est défait, l’insécurité règne et Bamako ne contrôle que 30 % du territoire ».

De source française proche du dossier, les avis sont partagés entre les pays européens qui ne veulent pas travailler avec la junte et ceux qui refusent de laisser une carte blanche à la Russie et aux mercenaires du groupe Wagner.

Le coup d’État au Burkina Faso complique également la donne pour Paris. Sur les cinq pays du Sahel où est déployée la force antijihadiste Barkhane, trois (Tchad, Mali, Burkina) sont désormais dirigés par une junte militaire.

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L’UE veut rester engagée au Mali et au Sahel « mais pas à n’importe quel prix », a averti mercredi le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell à l’issue d’entretiens à Bruxelles avec les ministres des Affaires étrangères du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad.

Le bilan de neuf ans d’intervention militaire française au Sahel est pour le moins mitigé. Les groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda ont conservé un fort pouvoir de nuisance malgré l’élimination de nombreux chefs.

L’État malien, lui, n’a jamais véritablement réussi à s’installer durablement dans les territoires délaissés. Et les violences se sont propagées dans le centre du pays puis au Burkina Faso et au Niger voisins, avant de descendre vers le sud, dans le nord de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Ghana.

Avec Reuters et AFP

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