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RécitDisparue en 2005, la Suissesse milita sa vie durant en faveur des droits des travailleuses du sexe. De son expérience des bas-fonds, elle tira des écrits contestataires et empreints d’une grande humanité. L’écrivaine Nancy Huston lui consacre un livre et les éditions Seghers s’apprêtent à publier son œuvre poétique complète : « Chair vive ».
Longtemps Nancy Huston a détesté Grisélidis Réal. Trop pute, trop soumise aux hommes, trop naïve dans sa quête de l’amour idéal, jugeait de loin l’écrivaine canadienne installée en France. Dans son nouvel ouvrage à paraître le 10 février, Reine du réel. Lettre à Grisélidis Réal (NiL Editions), elle évoque son ancienne prévention à l’égard de cette flamboyante autrice, autoproclamée « putain révolutionnaire », disparue en 2005. « On eût dit que tu acquiesçais à tout ce que les hommes te demandaient. Tu semblais n’avoir aucun problème pour incarner leur fantasme : la pute au grand cœur, celle qui aime ça, celle qui comprend les messieurs et ne les juge jamais », écrit Nancy Huston la féministe.
C’est en lisant tous ses livres (un roman, un journal de prison…) et sa correspondance qu’elle a découvert l’indomptable et inclassable « Gri ». Prostituée, dealeuse, taularde, écrivaine, mère, amante, peintre, poétesse, elle a défendu jusqu’à sa mort le droit des prostituées sans jamais vraiment connaître la gloire. Touchée au cœur par ce destin, Nancy Huston a retourné sa plume dans son essai élogieux. « Je te considère comme un des humains les plus lucides, joyeux, généreux et courageux à avoir foulé la surface de cette planète », écrit-elle. Venant de celle dont l’œil bleu acier a scruté tous les combats des femmes des cinquante dernières années, l’hommage n’est pas mince.
« Un travail d’utilité publique »
En se ralliant à la cause de Grisélidis, Nancy Huston risque de s’attirer les foudres des abolitionnistes de la prostitution, des Femen, d’Osez le féminisme ! ou encore de La France insoumise. Les féministes des années 1970 ont ignoré Grisélidis Réal, qui les détestait. « Elles nous prennent la parole, nous infantilisent… elles sont pires que le pire des clients », dénonçait-elle alors, comme on peut le voir dans le documentaire de Jacques Malaterre Une courtisane libertaire (2016). A l’époque, les post-soixante-huitardes du MLF défilaient derrière le slogan « Nous sommes toutes des prostituées ». En clair, mamans et putains même combat, quel que soit leur milieu social, les femmes subissent la domination patriarcale.
Grisélidis Réal manifestant à Berlin en 2000. Sur sa pancarte : « Le pouvoir des putains ». MARIANNE SCHWEIZER, CENTRE GRISELIDIS REAL, ASPASIE
Une telle prise de position faisait fulminer la brune impérieuse sous sa toque en fausse panthère : « Une pute se fait payer, c’est un travail d’utilité publique, désagréable mais nécessaire à la société. » Prostituée patentée à Genève, elle passait une partie de son temps à Paris, coude à coude avec l’emblématique Ulla, en tête du combat des prostituées pour se débarrasser des souteneurs autant que des moralistes. Elle occupait les églises parisiennes, écrivait à la terre entière et défilait sous le slogan « La prostitution est un acte révolutionnaire, mieux vaut être pute que caissière ».
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