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Combattre l’endométriose en France : “Un corps sans douleur, je ne connais pas”

Une femme sur dix dans le monde souffre d’endométriose, une maladie chronique invalidante qui provoque des douleurs extrêmes et va parfois jusqu’à entraîner l’infertilité. Cette affection est pourtant largement méconnue, souffrant d’une tendance bien ancrée dans les sociétés à négliger la santé des femmes et à minimiser leur douleur. La France compte se doter d’une stratégie nationale de lutte contre la maladie.

La première fois que Jawaher a ses règles, elle se retrouve allongée dans une mare de sang, entourée de caillots de sang menstruel, le corps rongé par une douleur lancinante et implacable. « J’ai toujours eu des règles douloureuses », se souvient-elle. « Mais pour une première expérience, c’était vraiment très traumatisant ».

Jawaher est rapidement mise sous pilule, ce qui atténue la douleur. Elle commence à prendre du paracétamol toutes les quatre heures, soit huit comprimés par jour. Comme aux autres filles, on lui dit qu’elle doit apprendre à gérer la douleur. Un discours tenu y compris par son gynécologue, qui lui soutient qu’il est parfaitement normal qu’elle ait mal pendant les rapports sexuels.

Jawaher n’apprend que plus de dix ans après la cause de ses souffrances, à la suite d’une violente crise de douleur qui l’empêche de se tenir sur ses deux jambes. Lorsqu’un gros kyste est détecté par IRM sur l’un de ses ovaires, un médecin lui annonce qu’elle souffre d’endométriose, une maladie courante et invalidante qui provoque des douleurs chroniques et, dans certains cas, l’infertilité.

Ce diagnostic marque le début d’un parcours médical long et tortueux, qui la fait passer d’un spécialiste à l’autre. Elle découvre alors que « les soi-disant experts ont souvent très peu d’expertise » en ce qui concerne sa maladie.

Jawaher reçoit un nouveau traitement hormonal qui stoppe net son cycle. Mais après huit ans d’effets secondaires toujours plus graves, elle apprend que ce traitement lui fait courir un risque accru de développer un type de tumeur appelé méningiome. Elle arrête alors la pilule et réduit sa consommation de médicaments. Elle n’en prend plus que pour « rendre la douleur à peu près supportable ».

« Lorsque j’ai arrêté les médicaments, j’ai commencé à m’évanouir dans les toilettes au travail. Je pouvais à peine soulever mes mains au-dessus du clavier, tant la douleur était forte », raconte la journaliste de 42 ans. « Un corps sans douleur, je ne connais pas. Elle est constante. Il y a des jours où elle est si forte que j’ai envie de sauter par la fenêtre ».

« Pas un problème de femmes, un problème de société »

Comme des millions d’autres femmes touchées par l’endométriose, Jawaher a pris l’habitude de souffrir en silence, sa vie quotidienne étant profondément affectée par une maladie qui est largement ignorée, à la fois du grand public mais aussi des spécialistes. « Nous vivons dans des sociétés où il est encore difficile de parler de maladies qui sont liées aux règles, à notre vie la plus intime », explique-t-elle.

L’endométriose en chiffres © Studio graphique FMM

En combinant la traditionnelle négligence de la santé des femmes avec le tabou social associé aux menstruations, l’endométriose a longtemps été un champ oublié de la recherche et de l’enseignement médical. Une situation entraînant un manque d’attention étonnant pour une maladie très handicapante qui touche environ une femme sur dix dans le monde et peut avoir un impact sur tous les aspects de la vie.

La maladie apparaît lorsque des fragments de tissus similaires à l’endomètre, qui tapisse l’intérieur de l’utérus, se développent à l’extérieur, ciblant les ovaires, les parois du bassin et parfois des organes aussi éloignés que le foie. Les tissus indésirables réagissent aux cycles hormonaux des femmes, gonflant et tentant de saigner à chaque nouvelle période de règles, ce qui entraîne une inflammation et des lésions.

Comprendre l’endométriose © Studio graphique FMM

Bien qu’elle soit parfois asymptomatique, l’endométriose entraîne généralement des règles et des rapports sexuels douloureux, ainsi qu’une irritation des intestins et de la vessie, des nausées et une fatigue chronique. La fertilité est également fréquemment réduite. Les effets de la maladie peuvent enfin générer du stress, de l’anxiété et de la dépression, pesant lourdement sur la vie personnelle et professionnelle des femmes. Pour ne rien arranger, les patientes attendent en moyenne sept ans avant d’être diagnostiquées et doivent faire face à un parcours tout aussi long et difficile vers le traitement.

Un délai qu’Emmanuel Macron a jugé inacceptable dans un message vidéo diffusé le 11 janvier, alors qu’il dévoilait, sur les réseaux sociaux, les contours d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose. Le chef de l’État a notamment souligné la nécessité de « briser le silence » afin de « mieux comprendre la maladie et ses causes et de trouver des traitements thérapeutiques. »

L’endométriose.
Ce n’est pas un problème de femmes, c’est un problème de société. La stratégie nationale que nous lançons porte l’espoir d’une meilleure qualité de vie pour des millions de filles et de femmes. pic.twitter.com/86IJj005wU

— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) January 11, 2022

« Ce n’est pas un problème de femmes. C’est un problème de société », a-t-il déclaré à propos de cette maladie qui touche quelque 2,5 millions de femmes en France, dont beaucoup sont « épuisées, lassées par une douleur qui peut conduire à l’évanouissement ».

Impératif que les médecins soient formés

Le président français, dont le plan s’appuie sur le rapport de la gynécologue et députée européenne Chrysoula Zacharopoulou, a par ailleurs assuré que la stratégie nationale viserait à encourager la recherche et à sensibiliser à la maladie, améliorer la formation du personnel médical, accélérer et faciliter le diagnostic, et enfin à garantir une prise en charge globale dans toute la France. Si ses annonces manquent cruellement de calendrier et de détails sur le financement, elles ont toutefois été largement saluées par les associations de patients, donnant ainsi raison à des décennies de lobbying pour la reconnaissance de la maladie.

« C’est la première fois que l’on entend un président parler de l’endométriose et annoncer un plan d’action. En cela, c’est déjà une victoire », estime ainsi Yasmine Candau, responsable de l’association EndoFrance, pour qui les mots d’Emmanuel Macron signalent enfin « une prise de conscience du problème et une forme de reconnaissance pour celles qui souffrent ».


« Il était grand temps », ajoute-t-elle. « C’est loin d’être une maladie nouvelle. Maintenant, nous sommes impatients de savoir comment le plan va être promulgué et avec quel budget. »

Parmi les priorités énoncées par Emmanuel Macron, Yasmine Candau accorde une importance particulière à la formation médicale, estimant qu’il est impératif que les médecins apprennent à détecter des signes précoces d’endométriose. « Beaucoup ne savent tout simplement pas comment regarder », souligne-t-elle, dénonçant également l’habitude récurrente de minimiser une maladie décrite en termes médicaux comme « bénigne » (c’est-à-dire non mortelle).

« Pendant trop longtemps, nous avons banalisé la souffrance des femmes pendant leurs règles, comme si le vieil adage biblique ‘Dans la douleur tu enfanteras’ était normal », dit-elle. « L’endométriose constitue un véritable handicap. Nous parlons d’une douleur invalidante qui éloigne les filles et les femmes de l’école et du travail, qui résiste aux antalgiques de base, qui peut causer des problèmes urinaires et digestifs, et parfois entraîner des défaillances respiratoires, comme un pneumothorax. Sur dix femmes touchées, entre trois et quatre connaîtront également des problèmes de fertilité. »

Pas une priorité de la recherche

Yasmine Candau insiste par ailleurs sur l’importance de développer la recherche sur une maladie dont les causes restent mystérieuses. En l’état actuel des choses, les traitements permettent de soulager les douleurs et d’endiguer la prolifération de la maladie, mais ils ne réussissent pas à la guérir.

« Il n’y a actuellement aucun budget dédié en France », dit-elle. « Notre association fait sa part pour aider à financer la recherche grâce aux dons. Mais il est aberrant de penser que les malades financent la recherche avec leurs propres ressources. »

Que ce soit en France ou à l’étranger, la santé des femmes n’est toujours pas une priorité de la recherche, estime pour sa part la Dre Marina Kvaskoff, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à Paris, dont les travaux portent sur l’endométriose et le cancer. « Les maladies qui touchent les hommes reçoivent beaucoup plus de fonds », explique-t-elle. « C’est profondément injuste. »

En plus de l’injustice flagrante, le mépris pour la santé reproductive des femmes est également déroutant d’un point de vue scientifique, écrit Rachel E. Gross dans le New York Times.

« Dynamique, résilient et enclin à se réinventer, l’utérus offre une fenêtre sur certains des plus grands secrets de la biologie : régénération des tissus, cicatrisation sans cicatrice et fonction immunitaire », dit-elle. « On peut se demander pourquoi davantage de chercheurs ne se sont pas intéressés à l’utérus jusqu’à récemment. »

Pour Marina Kvaskoff, chargée de coordonner un groupe de travail sur « la recherche, l’innovation et l’épidémiologie » dans le cadre de la stratégie nationale française de lutte contre l’endométriose, c’est une excellente nouvelle que la France soit le deuxième pays, après l’Australie, à annoncer un plan d’action complet.

« Nous connaissons cette maladie depuis très longtemps, mais ce n’est que récemment que le diagnostic a rattrapé son retard », explique-t-elle. Si les procédures chirurgicales restent la référence en matière de diagnostic dans le monde entier, les améliorations apportées à la cartographie par IRM – une méthode nettement moins invasive – constituent une avancée majeure pour les patientes. Mais il reste encore beaucoup à faire.

« Il reste beaucoup d’inconnues sur la santé des femmes, la santé des filles, les menstruations et la santé reproductive. La lutte contre l’endométriose doit servir de précédent à des efforts plus importants en faveur de la santé des femmes en général. Nous avons besoin de beaucoup plus de ressources pour les pathologies féminines telles que l’endométriose », ajoute l’épidémiologiste, soulignant l’énorme différence de financement de la recherche entre les États-Unis et la France.

En 2020, le financement fédéral américain pour la recherche sur l’endométriose a ainsi doublé, passant de 13 à 26 millions de dollars. Cette démarche fait suite à un plaidoyer passionné de l’élue démocrate Abby Finkenauer, 32 ans, qui a témoigné de son propre parcours face à l’endométriose devant la Chambre des représentants.

« Votre répertoire téléphonique ne contient que des médecins »

Comparées à ses nombreux autres maux, les règles douloureuses représentent un problème relativement mineur pour Sacha, 34 ans, qui dit avoir attendu 16 ans avant d’être diagnostiquée. Quand le verdict est enfin tombé, c’était comme « être frappée par un tsunami ».

Sacha souffre d’une forme grave et évolutive d’endométriose, qui touche de nombreux organes et jusqu’à son système nerveux. Son régime alimentaire et son programme de remise en forme sont axés sur la prévention des risques d’inflammation. Mais lorsque les crises surviennent, sans prévenir, elle peut rester alitée pendant des semaines.

Dans ces moments-là, « mes nerfs sont tellement en feu que je ne peux pas poser le pied à terre », explique-t-elle. Et lorsque la douleur s’estompe enfin, « c’est à chaque fois comme si j’apprenais à marcher à nouveau ».

Pour Sacha, l’association traditionnelle de l’endométriose avec les douleurs menstruelles et les problèmes de fertilité envoie un message fort et important, mais qui peut parfois dissimuler d’autres symptômes et retarder le diagnostic. Avec leur spécialisation croissante, peu de médecins sont capables de faire le lien entre les nombreuses manifestations de la maladie.

« Les symptômes sont extrêmement complexes et variés, allant des problèmes digestifs et du mauvais fonctionnement de la vessie aux rapports sexuels douloureux et à l’inflammation des nerfs, qui peut rendre la marche difficile », explique-t-elle. « Quand on a tout cela, qui va-t-on consulter ? Quel médecin peut traiter tous ces symptômes ? Vous finissez par aller voir des gynécologues, des ostéopathes, des physiothérapeutes, des sophrologues, etc. Votre vie se résume à aller chez le médecin. Même votre répertoire téléphonique ne contient que des médecins. »

Dans le cas de Sacha, malgré le grand nombre de spécialistes consultés à Paris, aucun n’a été capable de mettre un nom sur la maladie qui la tourmentait. Parmi eux, une batterie de gynécologues, de gastro-entérologues et de radiologues, dont aucun n’avait reçu de formation adéquate pour reconnaître les lésions causées par l’endométriose.

« Il m’a fallu des années pour comprendre ce qui n’allait pas », poursuit-elle. « Au final, la réponse est venue moins des médecins que de mes propres recherches, en lisant des livres sur le sujet et les histoires partagées par des patientes, notamment sur les réseaux sociaux. »

Aussi, entendre le président français parler de sa maladie a été, en soi, une forme de reconnaissance pour elle.


« Je ne peux pas dire que j’ai sabré la bouteille de champagne, mais oui, entendre un président prononcer le mot ‘endométriose’, cela signifie beaucoup », dit-elle. « Parce que c’est un tel combat, tout le temps, et un combat solitaire aussi (…). Comme lorsque vous vous traînez au travail, sous morphine et en vous efforçant de sourire, juste pour prouver que vous pouvez faire le travail comme tout le monde. »

Un handicap professionnel

Sacha explique que ses collègues sont généralement compréhensifs et d’un grand soutien, mais qu’elle ne peut pas aller plus loin dans le partage de ses expériences de la maladie et de la douleur. « Les gens comprennent la grippe, le rhume ou la gastro ; ils ne peuvent pas comprendre une maladie chronique ultracomplexe dans laquelle plusieurs organes sont touchés et tout le système est dysfonctionnel », explique-t-elle.

Selon une étude d’Alice Romerio, chercheuse postdoctorale spécialisée dans l’impact de la maladie sur la vie professionnelle des femmes, quatre femmes sur cinq touchées par l’endométriose hésitent à prendre des jours de congé, même en cas de fortes douleurs. Si certaines se sentent illégitimes à demander des congés, d’autres ne peuvent tout simplement pas se le permettre et ont recours à des stratégies de dissimulation de leur douleur.

« En plus de l’inconfort causé par des règles douloureuses et abondantes, les femmes atteintes d’endométriose souffrent généralement de douleurs chroniques dans le dos et le bassin, ainsi que de problèmes intestinaux qui nécessitent des pauses fréquentes aux toilettes, longues et gênantes », souligne Alice Romerio. « Ces problèmes constituent un handicap particulier dans les professions qui tendent à employer beaucoup de femmes, comme l’enseignement, les services ou les soins, où l’on ne peut pas s’arrêter en cas de crise. »

Pour certaines, la généralisation du travail à distance pendant la pandémie a offert un certain répit, leur permettant de tenir une bouillotte contre leur estomac, de porter des bas de survêtement amples ou de s’allonger en cas de besoin. Mais le travail à domicile n’est pas toujours une option et les femmes atteintes d’endométriose sont encore largement tributaires de la compréhension et de la bonne volonté des dirigeants et des médecins du travail.

Lors de son annonce, Emmanuel Macron a appelé à développer un « réflexe endométriose » à tous les niveaux, y compris sur le lieu de travail. Sa stratégie nationale préconise une approche interdisciplinaire, impliquant le ministère du Travail ainsi que ceux de la Santé, de la Jeunesse et de l’Éducation. Cependant, elle ne répond pas à une demande essentielle exprimée par les associations : donner à l’endométriose le statut d’affection longue durée (ALD), qui fait référence aux maladies chroniques à caractère grave dont tous les coûts sont pris en charge par l’assurance maladie.

« Si l’on additionne les innombrables échographies et IRM, les rendez-vous chez les spécialistes et les interventions chirurgicales, l’endométriose est à la fois épuisante et ruineuse pour les patientes », explique Alice Romerio.

Besoin de l’adhésion de tous

Alors que le gouvernement semble divisé sur la question, l’Assemblée nationale a pesé sur le débat, deux jours seulement après les annonces du chef de l’État, en adoptant une résolution non contraignante en faveur du statut d’ALD. Déposée par la députée La France insoumise Clémentine Autain, le texte a obtenu le soutien unanime des députés de tous bords.

« De gauche à droite, il y a un large consensus sur la nécessité d’agir en faveur des personnes souffrant d’endométriose – et nous ne pouvons que nous en réjouir », se félicite Yasmine Candau d’EndoFrance, tout en avertissant que la mise en œuvre du statut d’ALD serait un processus long. « En attendant, nous devons remédier aux inégalités territoriales existantes dans la prise en charge des patientes à travers la France. »

Alors que l’attente d’un traitement adéquat s’éternise, Sacha et Jawaher ont développé leurs propres stratégies pour faire face à la douleur incessante, grâce à une nutrition adaptée, au recours à l’ostéopathie, au yoga et à la méditation.

« À force de parler de la maladie, je me suis rendue compte qu’il existe de nombreuses autres affections gynécologiques qui provoquent également des douleurs invalidantes », déclare Jawaher. « Nous avons besoin d’un débat plus large sur la souffrance des femmes – et nous devons écouter leur douleur, sans juger ni comparer. »

En plus de ses règles douloureuses, Jawaher souffre de crises aiguës de sciatique causées par de sévères hernies discales, qui provoquent des éclairs de douleur dans tout son corps. Cette affection peut être liée à son endométriose, ou non : de nombreux aspects de la maladie restent à déterminer.

Résoudre l’énigme et fournir des soins adéquats nécessitera d’énormes investissements et un changement d’approche, estime Sacha, qui appelle à une gestion « holistique » de l’endométriose qui « engloberait le corps tout entier ».

« Nous avons besoin de l’expertise et de la contribution des sexologues, des ostéopathes, des physiothérapeutes, des gastro-entérologues, des urologues, des neurologues et d’autres encore. Nous avons besoin de tout le monde à bord », plaide-t-elle. « L’endométriose devrait être plus qu’une simple option à l’université », ajoute-t-elle, faisant référence au lancement récent du premier diplôme universitaire (D.U) consacré à l’endométriose en France. « Il devrait s’agir d’un domaine entier de spécialisation. »

Article adapté de l’anglais par Pauline Rouquette. Retrouvez ici la version originale.

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