Un poisson rouge « conduisant » son aquarium – placé sur roulettes – pour se déplacer dans une pièce : cette vidéo illustre la recherche menée par des scientifiques et destinée à évaluer les capacités des poissons dans un milieu différent du leur. 30millionsdamis.fr a questionné Violaine Colson, ingénieure de recherche en comportement des poissons, sur les enjeux de cette étude et sur ce qu’elle nous apprend de l’intelligence de ces animaux, trop souvent absents des mesures visant à améliorer le bien-être animal.
Évaluer les capacités de navigation des poissons « hors de l’eau » (sans risquer l’asphyxie !) : une étude dont les résultats sont loin d’être anecdotiques. Des chercheurs de l’université Ben Gourion, en Israël, ont conçu une plateforme roulante qu’un poisson peut « conduire » en se déplaçant à l’intérieur son aquarium. Des caméras suivent le mouvement du poisson dans l’eau, et le signal obtenu est envoyé à un ordinateur guidant le véhicule dans la pièce. Ainsi, lorsque le poisson rouge s’approche de l’une des vitres en faisant face à celle-ci, le véhicule avance dans la direction correspondante (vidéo ci-dessous).
Et l’expérience ne s’arrête pas là. Les scientifiques ont ensuite placé une cible à l’extérieur du véhicule, dans la pièce. Lorsque le poisson rouge parvenait à atteindre la cible, il recevait dans son aquarium une récompense alimentaire. Résultat : après quelques jours, les six poissons rouges entraînés ont réussi à atteindre la cible sans s’égarer, « peu importe leur point de départ » et en « évitant des culs-de-sac », souligne l’étude publiée dans la très sérieuse revue Behavioural Brain Research. Des travaux qui démontreraient, selon les auteurs, la « capacité (des poissons) de transférer leur représentation spatiale et leurs capacités de navigation dans un environnement terrestre complètement différent (du leur) ».
Intéressant… mais pas si surprenant ?
« Cette étude est extrêmement intéressante, même si la capacité de transfert de représentation spatiale chez un individu vivant dans un milieu aquatique vers un environnement terrestre – démontrée ici chez le poisson rouge – n’est pas si surprenante, nuance Violaine Colson, ingénieure de recherche au Laboratoire de Physiologie et de Génomique des Poissons de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), contactée par 30millionsdamis.fr. Les poissons d’aquarium voient parfaitement l’environnement terrestre à travers les parois de leur bac et se dirigent vers la paroi du bac où se trouve la personne qui leur distribue de l’aliment. » Un comportement que n’importe quel détenteur de poisson a déjà pu observer ! Toutefois, dans cette étude, les poissons « apprennent que s’ils appuient sur une zone de la paroi en direction d’une cible, ils s’orientent vers la cible pour recevoir une récompense, même si la cible change de place et même si des cibles d’autres couleurs sont présentes, précise la chercheuse. Ils utilisent donc des modalités cognitives spatiales – basées sur des repères visuels présents dans la pièce (environnement terrestre) – pour s’orienter. »
L’intelligence des poissons
Les poissons sont dotés de capacités cognitives complexes.
Violaine Colson, INRAE
Peut-on, par conséquent, parler d’ « intelligence » chez les poissons ? « Oui, les poissons sont dotés de capacités cognitives complexes », affirme Violaine Colson, énumérant les principales caractéristiques scientifiquement démontrées chez ces animaux : navigation, apprentissage social, mémorisation d’évènements positifs ou aversifs (désagréables, NDLR) « parfois pendant plusieurs mois voire années (pour les évènements aversifs) », mais aussi la reconnaissance individuelle de nombreux congénères, ou encore, la « flexibilité cognitive », c’est-à-dire la capacité de changer de tâche ou de stratégie mentale et à passer d’un comportement à un autre, permettant l’adaptation aux situations nouvelles.
« Pour la flexibilité cognitive, on le voit dans cette étude quand la consigne est inversée (changement de place de la cible) », note la chercheuse, qui a elle-même démontré cette aptitude chez les poissons en réalisant sa propre évaluation. Au laboratoire, des truites reçoivent une récompense lorsqu’elles appuient sur l’une des deux tiges placées devant deux images diffusées sur un écran. Résultat : les truites associent parfaitement l’emplacement de la tige avec l’image récompensée. Plus impressionnant encore, « si on inverse la consigne (l’image non récompensée initialement devient l’image récompensée), elles font l’association inverse en seulement quelques essais », glisse V. Colson. Et si l’on inverse à nouveau la consigne (et ce 4 fois de suite), une seule erreur quand la consigne vient de changer leur permettra ensuite de se corriger ! « Cette flexibilité cognitive (…) montre que les poissons peuvent facilement modifier leur comportement face à tout changement de leur environnement, leur conférant des capacités d’adaptation remarquables », souligne la chercheuse.
Les poissons peuvent aussi souffrir, protégeons-les !
Cette étude pourrait-elle constituer un pas vers la reconnaissance de la sensibilité, ou de la « sentience », des poissons ? En 2003, des chercheurs ont tenté de déterminer si les poissons ressentaient la douleur (Sneddon & Lynne, Applied Animal Behaviour Science). Les scientifiques ont injecté, dans la lèvre de truites, soit une substance douloureuse (venin ou vinaigre) soit un placebo (sérum physiologique). Par rapport au groupe témoin ayant reçu le placébo, les poissons ayant reçu la substance douloureuse se sont montrés davantage agités et se sont désintéressés de la nourriture. En revanche, si les truites avaient reçu une dose d’anti-douleur (morphine), aucune différence de comportement significative n’était observée entre les groupes.
Nous savons aujourd’hui que les poissons ressentent des émotions : peur, anxiété, douleur…
Violaine Colson
« Nous savons aujourd’hui que les poissons ont des capacités cognitives complexes et qu’ils ressentent également des émotions (peur, anxiété, douleur, et le plaisir semble avoir aussi été montré même si très peu d’études existent à ce sujet), complète Violaine Colson. Des cichlidés zébrés (poissons originaires d’Amérique centrale, NDLR) sont même capables de biais cognitifs et se montrent plus « pessimistes » quand ils sont séparés de leur partenaire sexuel. » Autant de connaissances qui devraient nous convaincre de mieux traiter ces êtres sensibles, notamment dans les élevages et dans les aquariums. « L’étude sur le poisson rouge ajoute une nouvelle pierre à l’édifice des connaissances sur la cognition et sur l’univers sensoriel des poissons, même si chaque espèce de poisson a ses propres caractéristiques et qu’il en existe plus de 30 000 dans le monde ! », indique la chercheuse.
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