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Ayesha Malik, première femme à la Cour suprême pakistanaise

Ayesha Malik, 55 ans, a été nommée à la Cour suprême du Pakistan le 6 janvier. Une première dans l’histoire du pays qui suscite de nombreux espoirs pour les droits des femmes.

« On attendait ça depuis longtemps ! », s’exclame auprès de France 24 Ambreen Qureshi, avocate spécialisée dans les droits humains à Lahore, au Pakistan. Jeudi 6 janvier, la juge Ayesha Malik, 55 ans, a été nommée pour siéger à la Cour suprême. Elle devient ainsi la première et seule femme à intégrer la plus haute instance judiciaire du Pakistan. 

L’annonce a immédiatement été saluée par de nombreux défenseurs de l’égalité femmes-hommes comme une petite révolution. « C’est un jour historique pour l’émancipation des femmes au Pakistan », a par exemple twitté Zartaj Gul-Wazir, la ministre de l’Environnement. « Le plafond se brise », a abondé Maleeka Bokhari, la secrétaire parlementaire pour le Droit et la Justice.

Congratulations to ?? & Hon Justice Ayesha Malik. An Important & defining moment in our country as a brilliant lawyer & decorated judge has become Pakistan’s first female SC judge. To shattering glass ceilings & to ?. Thank you to Hon JCP , Justice Bandial & Hon Law Min. pic.twitter.com/MLTdmT3tA4

— Maleeka Bokhari (@MalBokhari) January 6, 2022

« Le Pakistan était le seul pays de la région à ne jamais avoir eu de femme à ce poste », explique à France 24 Nida Usman Chaudhar, avocate et fondatrice de l’association Women in Law initiative, qui œuvre pour une meilleure représentation des femmes dans le monde de la justice. « Cette nomination montre que nous allons enfin dans la bonne direction. »

Contre les tests de virginité

À 55 ans, Ayesha Malik a déjà une longue carrière derrière elle. D’abord diplômée du Pakistan College of Law, à Lahore, elle a ensuite poursuivi ses études à l’École de droit de Harvard, aux États-Unis. De retour dans son pays natal, elle a commencé par exercer pour des cabinets d’avocats en se spécialisant dans les domaines de la banque, des entreprises et du droit civil.

En 2012, cette mère de famille de trois enfants est finalement devenue juge à la Haute Cour de Lahore, la deuxième plus grande ville du pays. Depuis, elle s’est illustrée à de nombreuses reprises dans son combat pour le droit des femmes. 

Elle a par exemple régulièrement rendu des jugements remarqués pour leur garantir le droit de vote. Une grande partie du Pakistan, pays musulman conservateur, vit toujours sous un code patriarcal d’ »honneur » qui systématise l’oppression des femmes. Si, en théorie, elles ont le droit de voter, en pratique, elles en sont souvent empêchées au nom de la tradition. 

Mais c’est en 2021 qu’Ayesha Malik s’est fait connaître du grand public en rendant un jugement interdisant les tests de virginité pour les victimes de viol. Cet examen, appelé sous sa forme la plus commune test des « deux doigts », est censé éclairer le passé sexuel de la victime. « En résumé, on insère deux doigts dans son vagin et cela permet de définir si elle est sexuellement active. Le supposé étant, pour les femmes célibataires, qu’elles ont plus de risques d’être violées si tel est le cas », explique Ambreen Qureshi. « Beaucoup de victimes vivent cela comme un second viol… Et le résultat est que la majorité n’ose pas se manifester ». 

Ayesha Malik a été la première à rendre un jugement dénonçant ouvertement cette pratique. Elle avait alors déclaré qu’il s’agissait d’ »une pratique humiliante, utilisée pour jeter la suspicion sur la victime, au lieu de se concentrer sur l’accusé et le viol ». 

« Mais il n’y a pas que sur la question du droit des femmes qu’elle œuvre », poursuit Nida Usman Chaudhar, qui a eu l’occasion de la côtoyer à plusieurs reprises lors de rencontres avec son association. « Elle a aussi jugé de nombreuses affaires relevant aussi bien de questions bancaires et commerciales que de questions environnementales. »

« J’ai décidé de porter la voix des femmes »

En parallèle, Ayesha Malik milite depuis de nombreuses années pour améliorer la représentation des femmes dans le milieu judiciaire. « Quand je suis arrivée à la Haute Cour de Lahore, j’étais la seule femme juge. À l’échelle du pays, nous n’étions que cinq », a-t-elle témoigné lors d’une interview avec l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime. « J’ai décidé de porter la voix des femmes. Je suis là pour dénoncer les discriminations, les stéréotypes et sensibiliser aux questions de genre. Je suis cette voix qui attire l’attention et cherche des moyens pour rendre notre système judiciaire plus inclusif. »

Membre du Conseil de l’académie judiciaire du Pendjab, elle organise ainsi régulièrement un cours sur la sensibilisation aux questions de genre dans les procédures judiciaires et des formations pour les juges sur la violence sexiste. 

Le monde de la justice est en effet largement dominé par les hommes. Selon des données collectées par Women in Law initiative et publiées en juin 2021, le Pakistan ne dénombre que 15 % de juges femmes dans ses tribunaux, et seulement 5 % dans les hautes cours.

« Quand j’ai créé Women in Law initiative en 2016, les femmes avocates ou juges se sentaient très isolées », témoigne Nida Usman Chaudhar. « Nous avions l’impression de devoir nous battre sans cesse pour notre place. Nous étions si peu nombreuses que nous n’avions même pas de toilettes réservées, rit-elle. Heureusement les choses s’améliorent petit à petit et la nomination d’Ayesha Malik en est le symbole. »

L’avocate a l’espoir que la nouvelle juge aura une influence positive sur ses confrères. « La Cour suprême doit souvent trancher des affaires qui relèvent de nos droits fondamentaux, comme les droits humains ou le droit de vote », rappelle-t-elle. « Avoir le point de vue d’une femme améliora forcément la qualité de la justice rendue. Elle va pouvoir témoigner de son vécu de femme, le partager et ainsi faire évoluer les mentalité », salue-t-elle.

De son côté, Ambreen Qureshi, aimerait que le parcours de sa collègue inspire des vocations : « Nous avons besoin de plus de femmes dans nos tribunaux ». « Leur présence est primordiale pour que la justice soit mieux rendue, notamment dans le cas des violences faites aux femmes », insiste-t-elle.

Renforcer l’action sur le terrain

Signe de la misogynie qui perdure dans le monde judiciaire, le parcours pour accéder à la Cour suprême a été semé d’embûches pour Ayesha Malik. En effet, pour y obtenir un siège, il faut tout d’abord être choisi par une commission judiciaire composée de neuf membres, notamment le président de la Cour suprême. En septembre 2021, avec le soutien de ce dernier, le nom d’Ayesha Malik avait déjà été soumis à candidature. 

« Elle avait essuyé un refus, la commission n’étant pas parvenue à se mettre d’accord », se rappelle Ambreen Qusheri. Cette fois-ci, elle a obtenu une majorité de voix. Mais malgré le soutien du Président de la Cour, un groupe d’avocats et de juges sont allés jusqu’à menacer de se mettre en grève si Ayesha Malik était élue, plaidant – faussement – qu’elle ne satisfaisait pas certaines règles d’ancienneté.

Avant d’accéder officiellement à son poste, la juge devra cependant être validée par un second comité. Une formalité normalement.

Si les deux femmes sont ainsi optimistes et entrevoient un exercice de la justice de plus en plus égalitaire, elles appellent cependant à renforcer le travail sur le terrain. « Les lois sur la protection des femmes restent particulièrement difficiles à mettre en œuvre », déplore Nida Usman Chaudhar, « il faut continuer à se battre. » Dans le Rapport mondial sur l’écart entre les genres 2021 du Forum économique mondial, le Pakistan occupait la 153e place, sur 156.

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