Editorial du « Monde ». L’assaut contre le Congrès des Etats-Unis, le 6 janvier 2021, avait jeté un voile sombre sur la démocratie de ce grand pays. Qu’un président sortant battu à la régulière dans les urnes mette tout en œuvre pour empêcher le transfert pacifique du pouvoir avait définitivement frappé d’infamie le mandat de Donald Trump. Ce qui s’est passé depuis, quoique moins spectaculaire, est pourtant tout aussi alarmant. Au point de soulever des interrogations sur la solidité des institutions des Etats-Unis.
Car l’électrochoc que cette attaque contre la volonté générale exprimée par le vote aurait dû déclencher ne s’est pas produit. Il est vrai qu’une large majorité des élus républicains de la Chambre des représentants avait voté contre l’officialisation de la victoire de Joe Biden sans la moindre justification légale, la nuit venue, alors que les couloirs du Capitole de Washington résonnaient encore du tumulte.
Une forme de guerre civile à bas bruit s’est enkystée aux Etats-Unis. L’adhésion à la thèse d’une élection prétendument « volée » est devenue la nouvelle bien-pensance des conservateurs américains. Il s’agit désormais d’une preuve de loyauté, non pas à un pays, ni même à un parti, mais à l’homme auquel le Grand Old Party persiste à s’identifier.
Rares voix alternatives
Un an après le 6 janvier 2021, près de deux républicains sur trois continuent de remettre en cause la légitimité du président démocrate, selon un sondage du Washington Post. Cette doxa est relayée et entretenue par l’écosystème médiatique conservateur, qui se vide de ses rares voix alternatives, comme l’a encore montré le départ de Fox News du respecté Chris Wallace, au même rythme que le Parti républicain se purge de ses dissidents.
Sous la pression de l’ancien président, les élus de son parti se sont tout d’abord opposés à sa destitution symbolique. Puis ils ont empêché qu’une commission d’enquête indépendante voie le jour, et enfin multiplié dans les Etats décisifs les coups de boutoir contre le vote et sa certification par des instances non partisanes. Ce travail de sape a été méthodique. Au point que l’on peut se demander ce qu’il adviendrait aujourd’hui en cas de scrutin présidentiel particulièrement serré.
Pour le plus grand malheur de la démocratie américaine, aucune amélioration ne s’esquisse pour des institutions irréformables en l’absence d’un consensus minimal. Le charcutage électoral qui réduit au minimum le nombre des circonscriptions disputées fait que les élections à la Chambre se règlent lors de primaires qui favorisent les voix les plus extrêmes. Le mode d’élection du Sénat, comme de la présidence, accorde une prime inégalitaire aux Etats ruraux où les républicains sont dominants.
Le pouvoir judiciaire a également été rattrapé par cette polarisation délétère. Lorsque les démocrates ont supprimé au Sénat la majorité qualifiée pour la confirmation des juges fédéraux, en riposte à l’obstruction systématique des républicains, ces derniers ont répliqué, une fois redevenus majoritaires, en supprimant cette même majorité qualifiée pour les nominations à la Cour suprême. Cette décision a permis à Donald Trump de nommer trois juges très conservateurs, accentuant le décalage entre la plus haute instance judiciaire du pays et la société sur laquelle pèsent ses arrêts.
La somme de ces affaissements est considérable. Réparer cette démocratie abîmée implique une prise de conscience nationale et un sens de l’intérêt général, mais les deux font pour l’instant défaut. Hélas pour un pays qui s’est longtemps considéré comme modèle.
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