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Les violences pré-vacances scolaires, symptôme du malaise de l’école ivoirienne

Publié le : 26/12/2021 – 14:44Modifié le : 26/12/2021 – 14:47

En Côte d’Ivoire, de nombreux établissements scolaires étaient sur le qui-vive tout le mois de décembre à l’approche des congés de fin d’année qui ont débuté le 17 décembre. Des élèves prônant les congés anticipés ont perturbé les cours et délogé de force plusieurs de leurs camarades dans des collèges et lycées de l’intérieur du pays. Une situation récurrente dans le pays qui traduit un malaise plus général dans le système éducatif.

Des dizaines de jeunes quittent leurs salles de classe en courant pour éviter de se faire caillasser par des élèves qui refusent de venir en cours. Des élèves blessés, des professeurs incapables de ramener le calme sans l’aide des forces de l’ordre. Ces scènes se sont déroulées dans les collèges et lycées de plusieurs localités de la Côte d’Ivoire au mois de décembre. Dernière émeute en date, celle de la ville d’Arrah, le 13 décembre dernier. Une vidéo virale filmée ce jour-là montre plusieurs centaines de jeunes gens en uniforme scolaire de lycée affronter directement les forces de police avec des pierres.

Chaque année compte on lot de morts et de blessés

Ces violences sont devenues récurrentes en Côte d’Ivoire à l’approche de chaque vacances scolaires . Après les examens de fin de trimestre, des élèves estimant avoir mérité de partir en congés avant la date officielle décident de déloger leurs camarades. Chaque année compte sont lot de morts et de blessés. Dans la période 2019-2020, 3 morts étaient à déplorer. Ce mois-ci, les violences ont une fois de plus dégénéré : plusieurs dizaines d’étudiants et d’enseignants ont été blessés et un mineur a été tué à l’arme blanche dans la ville d’Issia, dans le centre-ouest.

Malgré des heurts à Anono et Yopougon, les lycées de la capitale économique Abidjan ont été relativement épargnés. Dans un lycée de Yopougon qui avait été perturbé l’an dernier, le corps enseignant ne cache cependant pas son inquiétude : « Ça peut dégénérer très vite ». Par peur de représailles, le directeur de l’école souhaite que son établissement reste anonyme : « Si on nous identifie dans votre reportage, nous pourrions avoir des soucis », souffle-t-il. 

Lors des attaques, les enseignants sont pris pour cible, mais également les élèves ayant décidé de suivre les cours jusqu’au dernier jour. Fanny*, une élève de terminale, se souvient des violences de l’an dernier : « Certains de nos amis ont été attaqués avec des cailloux, cette année je ne suis pas inquiète car il y a un bon dispositif de sécurité ». Ces violences signent souvent l’arrêt du fonctionnement normal des cours, quelques jours avant les vacances. Damien*, un élève de première, s’en inquiète : « Il y a un programme qui a été établi pour l’année scolaire et le fait qu’on anticipe [les congés], ça nous pénalise », déplore-t-il.

Officiellement, 150 arrestations

Les tensions se répètent depuis plus de 3 ans. Mais ce mouvement des « congés anticipés » trouve ses racines à la fin des années 1990, quand les syndicats estudiantins provoquaient des troubles pour choisir leur date de départ en vacances.

Pour tenter d’endiguer ce phénomène, chacun y va de sa recette. Le gouvernement a procédé à des arrestations et poursuivi les responsables. Officiellement, 150 personnes auraient été arrêtées, les procédures sont en cours. Les polices et gendarmeries de certaines localités ont conduit les meneurs à s’excuser auprès des élèves délogés. Au-delà de la répression judiciaire, les établissements ont lancé des campagnes d’affichage disant « Non aux congés anticipés ! » La Fesci, syndicat étudiant — souvent pointé du doigt lors des vagues de violences estudiantines — a organisé une caravane de sensibilisation à travers le pays.

Les organisations de parents d’élèves aussi se mobilisent. Leur méthode : la sensibilisation et l’encouragement à travers des messages positifs. Nour Bakayoko, psychologue de l’Organisation des parents d’élèves et étudiants de Côte d’Ivoire, est intervenu dans de nombreux établissement de la capitale. Il y voit surtout un problème d’accompagnement moral des élèves : « On leur rabâche que ce n’est pas bien, mais on ne leur dit pas réellement ce qu’il faut faire. Notre démarche consiste à les booster pour qu’ils puissent comprendre pourquoi ils sont à l’école ». 

Un phénomène symptomatique d’une école ivoirienne en crise

Pour expliquer le phénomène, enseignants et chercheurs peinent à répondre d’une seule voix. Les premiers voient un souci de discipline quand les second pointent les problèmes matériels des élèves. Tous s’accordent cependant à dire que ces mouvements de colère sont symptomatiques d’une école ivoirienne en crise. En 2019, l’ONG Social Justice a révélé que 19,5 % des enfants ont abandonné l’école avant la fin du cycle primaire. Pour la sociologue de l’éducation Tenin Diabaté Touré interrogée par France 24, l’école a tendance à ignorer que de nombreux élèves vivent de petits boulots manuels : « il faut voir les congés anticipés sous l’angle social » dit-elle. « Est-ce que l’école m’offre à la sortie un métier ? C’est ça la question fondamentale. »  L’experte plaide pour une meilleure valorisation de l’apprentissage des savoir-faire manuels. Une question fondamentale qui fait partie des thèmes abordés par les états généraux de l’enseignement lancés en juillet dernier par le ministère de l’Éducation. Reste à savoir quel plan d’action concret sera avancé à la fin des discussions, prévue pour début 2022.

*Les noms ont été changés

Source

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