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Entre l’Indonésie et la Malaisie, une route migratoire bondée et mortelle

Le 15 décembre dernier, plus de vingt Indonésiens sont morts dans le naufrage de leur embarcation, sur laquelle ils tentaient d’atteindre la côte malaisienne. Cet incident est loin d’être isolé dans la région, selon nos Observateurs, qui tentent de porter assistance à ceux qui empruntent ces voies migratoires illégales, dans l’espoir de trouver un emploi, pourtant souvent très précaire, en Malaisie.

Dans la nuit du 15 décembre, aux alentours de 4h30 du matin, un bateau a chaviré dans une mer très agitée par la mousson saisonnière sur les côtes de la Malaisie. L’embarcation, conçue pour accueillir une trentaine de personnes, transportait environ 50 migrants indonésiens, qui tentaient d’atteindre l’état de Johor, dans le sud-ouest de la Malaisie.

Le naufrage a fait 21 morts, et 16 disparus, tandis que 13 personnes ont été sauvées, selon le dernier bilan des services de secours locaux, qui ont arrêté leurs recherches le 19 décembre.

Des images partagées par ces services de secours ainsi que les garde-côtes de l’état de Johor, montrent les équipes extraire de la mer agitée le bateau complètement retourné, ainsi que plusieurs corps dans des sacs mortuaires sur la plage.


du 15 au 19 décembre, les gardes côtes de l’état de Johor ont partagé plusieurs photos et vidéos des opérations de secours sur leur page Facebook

Malaysie : 5 autres corps ont été retrouvés un jour après qu’un bateau soupçonné de transporter des sans-papiers a chaviré au large de l’État de Johor, dans le sud de la Malaisie, portant à 16 le nombre de morts dans l’accident.https://t.co/K4yN1wVZmQ pic.twitter.com/dZtA4NuIRP

— Rebecca Rambar (@RebeccaRambar) December 16, 2021

Ce naufrage témoigne des dangers d’une route migratoire illégale très empruntée par les Indonésiens, qui viennent travailler dans les secteurs de l’agriculture, de la construction et de la production dans la Malaisie voisine, au PIB par habitant trois fois plus élevé.

“Ils traversent sur des bateaux à moteur qui prennent bien plus de passagers que leur capacité ne le permet” 

Alex Ong est coordinateur en Malaisie pour  « Migrant CARE »  une association basée à Jakarta destinée à aider les migrants indonésiens à travers le monde. Ils sont plus de 2,5 millions en Indonésie.

“Cela fait des centaines d’années que les Indonésiens migrent vers la Malaisie par la mer. En plus de la proximité géographique, les deux pays ont une culture et une langue très proche. Et il y a la plus grande diaspora indonésienne au monde, beaucoup de communautés y sont installées depuis des années.

Outre les raisons économiques, les Indonésiens migrent aussi parfois à cause des catastrophes naturelles, telles que les éruptions volcaniques ou les typhons.”

Les migrants à bord du bateau sinistré étaient, selon les autorités malaisiennes, originaires des environs de Bali, dans l’est de l’Indonésie. Ils arrivaient de Batam, une île indonésienne à une cinquantaine de kilomètres des côtes malaisienne et singapourienne. Une position géographique qui en fait une véritable plaque-tournante de l’immigration dans la région.   

“Dans cette zone, ce type d’accident est fréquent [Entre la région de Sumatra et l’ouest de la Malaisie], il y a plein de petites îles très proches qui appartiennent à la Malaisie ou à l’Indonésie, ce qui rend notre frontière très poreuse et difficile à couvrir pour les garde-côtes. Les Indonésiens peuvent aller jusqu’à Batam sans passeport puis essayent d’obtenir un visa pour aller en Malaisie. Si ça ne fonctionne pas, ils choisissent l’option illégale et traversent avec un passeur, sur des bateaux à moteur qui prennent bien plus de passagers que leur capacité ne le permet, ce qui favorise les accidents. “`

carte montrant les flux migratoires entrant de l’Indonésie vers la Malaisie © France 24

carte montrant les flux migratoires entrant de l’Indonésie vers la Malaisie © Les Observateurs de France 24

Le nombre d’Indonésiens qui tentent illégalement le voyage par la voie maritime est difficile à chiffrer, selon Alex Ong, et les autres acteurs qui tentent de surveiller le phénomène – les bateaux qui se font arrêter ou qui ont des accidents ne représenteraient, selon lui, que la partie visible de l’iceberg. 


Filmée par un migrant en octobre 2021, ce bateau de migrant indonésiens rentrant depuis la Malaisie est surchargé. Ils sont tous arrivé en Indonésie sans être blessé. La légende en indonésien parle du fait que le conducteur du bateau attend un signal pour rentrer en Indonésie © Tiktok / Anti-human trafficking consil

Mais selon son association Migrant CARE, entre 100 000 et 200 000 Indonésiens voyageraient illégalement vers la Malaisie chaque année. Une fois sur place, ils ne parviennent pas tous à obtenir un statut légal – ou le perdent parfois après coup. En tout, le pays compterait plus de 1,5 million de travailleurs indonésiens illégaux, qui ne disposent donc d’aucune protection sociale s’ils se blessent, ou si leurs employeurs décide de moins bien les payer ou de se passer d’eux. Ils risquent aussi d’être mis au travail forcé.  

>> LIRE SUR LE SITE DES OBSERVATEURS :  en Malaisie, les ouvriers au sommet des gratte-ciels sans aucune sécurité

 “Je me rappelle trop de bateaux qui ont chaviré”  

Aziz est régulièrement sur le terrain pour aider les migrants illégaux à rentrer en sécurité chez eux, en Indonésie. Il est membre du “Anti-Human Trafficking Council” (Conseil contre le trafic humain)  de l’état voisin de Selangor, où se trouve la capitale Kuala Lumpur, et où les migrants arrivent également d’Indonésie par le détroit de Malacca. 

Il explique que les routes maritimes entre Indonésie et Malaisie concernent en majorité les migrants qui choisissent de rentrer chez eux, de façon temporaire, pour voir leur famille pendant les fêtes comme l’Aïd ou les mariages, mais aussi de façon permanente.

Selon Aziz, ce chemin est encore plus emprunté dans le sens de la Malaisie vers l’Indonésie.

Je me rappelle trop de bateaux qui ont chaviré. J’ai rencontré plusieurs fois des migrants avant qu’ils traversent la mer,  ils m’expliquaient qu’il devaient partir car ils n’étaient  pas en règle et risquaient des sanctions de l’état, ou parce qu’il étaient menacé par leurs employeurs. Même si certains sont arrivés légalement dans le pays, il arrive que les employeurs ne renouvellent pas leur visa,  et les exploitent en leur confisquent parfois leur papier. 

Photo partagée par Aziz lors d’un naufrage en 2015 au nord-ouest du pays où il était présent, lors duquel 18 migrants indonésiens sont morts en tentant de rejoindre leur pays d’origine. © Human Trafficking Watch

“ Il y a par exemple ces jeunes filles indonésiennes de 18 et 19 ans que j’ai essayé d’aider, qui avaient signé un contrat officiel et avaient donc tout en règle pour venir travailler dans une entreprise d’électricité. Mais une fois arrivées, on leur a confisqué tout leur document et leur contrat signé en Indonésie n’était plus valide. Elles n’ont jamais eu la paie prévue, et on les menaçait de les signaler aux autorités si elles essayaient de repartir.

Ce système d’exploitation, qui concerne les travailleurs migrants de Malaisie venus de toute l’Asie du Sud-Est est dénoncé depuis plusieurs années par les ONG de défense des droits de l’Homme.

En novembre 2020, la Malaisie a mis en place un programme pour tenter de régulariser la situation des travailleurs migrants d’ici au 31 décembre 2021,  notamment face à la pandémie de Covid-19 qui a dégradé leur situation en les privant soudainement de revenus, alors qu’ils étaient sans aucune forme de protection. Ces procédures devaient permettre à certains immigrants illégaux de retourner volontairement dans leur pays et autorise les employeurs “éligibles” à enregistrer légalement des immigrants dans le pays, sans être poursuivis et condamnés.

Mais selon Alex Ong, ces plans de régulation de l’immigration, auxquels ne sont pas éligibles tous les migrants irréguliers, ne sont pas suffisamment bien calibrés pour empêcher les traversées illégales. Il explique, qu’au contraire, certains Indonésiens comptent justement sur cette amnistie temporaire accordée aux employeurs de migrants illégaux pour obtenir un permis de travail légal. 

“Maintenant que l’économie redémarre, la demande en main d’œuvre étrangère est en train d’augmenter à nouveau. Et beaucoup d’Indonésiens qui travaillaient en Malaisie veulent y retourner. Il est probable que les migrants qui voyageaient à bord du bateau qui a chaviré la semaine dernière venaient pour travailler dans le secteur de l’huile de palme, en très forte demande en cette période précise de l’année. Mais les procédures légales pour venir en Indonésie sont longues – et les travailleurs migrants ne peuvent pas attendre, ni les producteurs Indonésiens.”

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