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Sur les traces de Mohamed Kamel, Ahmed Belhireche et Fayçal Hamrouche, migrants algériens morts sur des rails au Pays basque

Des personnes tiennent une banderole devant la gare de Saint-Jean-de-Luz-Ciboure, lors d’une manifestation à l’appel d’associations locales, le 13 octobre 2021, au lendemain de la mort de trois migrants et de la blessure grave d’un autre qui ont été heurtés par un train. FRANCK LAHARRAGUE / AFP

Une sonnerie sourde annonce le passage d’un train. A Oum Drou, les habitants vivent au rythme du chemin de fer qui traverse leur commune située à dix kilomètres de la ville de Chlef, dans l’ouest algérien. Ici, les rails sont à quelques mètres des habitations et les enfants ont l’habitude de les longer ou de les traverser pour se rendre à l’école. Alors pour Zohra, la quarantaine, il est impensable que son fils, Mohamed Kamel, se soit endormi sciemment sur une ligne ferroviaire.

Ce jeune Algérien de 21 ans est mort, mardi 12 octobre, à des milliers de kilomètres de chez lui après un long périple qui l’a mené de l’Algérie au Pays basque. Le drame s’est joué à Ciboure (Pyrénées-Atlantiques), vers 5 heures du matin, quand un TER en provenance d’Hendaye a percuté quatre migrants algériens qui étaient allongés sur les rails. Trois d’entre eux sont décédés, tandis que Mourad (le prénom a été modifié), 28 ans, a survécu à de graves blessures à la tête, au bassin et à la jambe. « Il se trouve actuellement en maison de santé dans le sud-ouest de la France et se remet difficilement à marcher », indique Marie Cosnay, écrivaine, très engagée dans l’accueil des migrants et qui a participé à l’identification des corps.

Le rescapé, originaire de la wilaya de Boumerdès, à l’est d’Alger, a déposé une plainte contre X le 6 décembre auprès du procureur de la République de Bayonne pour « homicide involontaire », « mise en danger de la vie d’autrui », « blessure involontaire » et « administration de substances nuisibles ». Les proches de Mohamed Kamel et de Fayçal Hamrouche, une autre victime, ont décidé de se joindre à la procédure. Tous veulent comprendre ce qui a pu se passer cette nuit-là.

« La misère » comme cause de départ

Les quatre harraga, du nom donné aux migrants sans papiers qui tentent le passage vers l’Europe, étaient arrivés en Espagne dans différentes embarcations en août et au début du mois de septembre. « Il n’avait jamais parlé d’émigrer. C’est seulement à son arrivée qu’il nous a appelés en nous demandant de le pardonner d’être parti », souffle Zohra, la mère de Mohamed Kamel. Le jeune homme, qui avait quitté l’école à 15 ans, travaillait par-ci par-là et vivait dans la maison familiale où cohabitent plusieurs générations. Son père, agriculteur, fait défiler quelques photos sur son téléphone. Sur l’une d’elles, on voit Mohamed sur un scooter : il l’avait vendu pour payer son voyage, apprendront plus tard ses parents.

Quelques heures avant de passer la frontière franco-espagnole, il avait fait la connaissance d’Ahmed Belhireche, une autre victime de 41 ans, qui avait, lui aussi, embarqué des côtes de Ténès, ville du littoral algérien située au nord de Chlef. « Son embarcation est tombée en panne, ils sont restés trois jours en pleine mer puis ont été secourus par les gardes-côtes espagnols », explique Jabria, sa veuve. Son mari lui avait fait part de son projet un mois avant son départ, en août. Elle a bien tenté de le dissuader mais « c’est la misère » qui l’a poussé à partir, assure-t-elle.

Dans un salon sans meubles, assise sur un matelas posé à même le sol, la veuve revient sur les raisons qui ont convaincu son mari de partir. Il vivotait de petits boulots dans la maçonnerie mais, ces derniers temps, la cherté de la vie et le manque de travail avaient rendu impossible le quotidien de ce père de quatre enfants. « Certains de ses amis qui étaient déjà partis clandestinement en France lui ont dit que s’il venait, il pourrait travailler dans le bâtiment, poursuit Jabria, alors il a bradé notre vieille voiture pour payer son voyage. »

Parti sans téléphone, il communiquait avec sa femme et ses enfants par l’entremise d’un migrant algérien installé en Espagne. Là-bas, il travaillait de temps en temps dans les champs agricoles mais « ce qu’il gagnait ne lui suffisait pas pour ses dépenses quotidiennes et pour se loger », explique Jabria en montrant la dernière photo envoyée par son mari la veille de sa mort, et où il apparaît visage creusé et regard triste.

« Un empoisonnement »

Lorsque le drame s’est produit, les quatre hommes venaient de traverser la frontière franco-espagnole et auraient décidé de longer la ligne ferroviaire pour éviter les contrôles de police. Un cinquième homme, lui aussi de nationalité algérienne, « a accompagné le groupe nuitamment et aurait été payé pour ce faire. C’est le seul qui s’est échappé juste avant ou après la collision avec le train, dans la précipitation, puisqu’il a laissé son passeport sur place », détaille la plainte déposée par Me Gabriel Lassort, avocat bordelais spécialisé dans le droit des migrants, et à laquelle se sont jointes l’Anafé, la Cimade et le Gisti, trois associations d’aide aux migrants.

« Ce n’est pas possible qu’ils se soient tous endormis en même temps sans que l’un d’eux ne fasse le guet », explique la tante d’une des victimes

« L’un des éléments qui a été mis en évidence dans cette plainte est la possibilité, qui n’est pas avérée, selon laquelle ce qui est considéré actuellement comme un accident pourrait avoir été provoqué par un endormissement lié à un empoisonnement », précise l’avocat joint par téléphone. Le cinquième individu pourrait avoir administré « des substances nuisibles dans les boissons des quatre autres personnes ».

« Ce n’est pas possible qu’ils se soient tous endormis en même temps sans que l’un d’eux ne fasse le guet. Mon neveu communiquait encore avec un de ses amis algériens deux heures avant sa mort », explique, au téléphone, la tante maternelle de Fayçal Hamrouche, la troisième victime, originaire de la wilaya de Boumerdès.

Le jeune de 23 ans venait tout juste de boucler cinq années à la faculté de droit. Il était cultivé et parlait plusieurs langues, dit-elle. « On ne sait pas qui lui a mis dans la tête cette idée d’aller en Europe. Mais on a su par la suite qu’il n’avait pas payé son voyage. La personne qui les a transportés en bateau depuis Cap Djinet [50 kilomètres à l’est d’Alger] lui a dit qu’il le ferait passer gratuitement s’il lui ramenait trois personnes », poursuit sa tante. Son neveu, qui avait un problème à la jambe, voulait se faire soigner en Allemagne, a-t-il expliqué à ses parents, une fois arrivé en Espagne.

Si les familles acceptent avec résignation le « mektoub » (destin) de leurs proches, elles ressassent les mêmes questions : « Où sont leurs affaires, toujours pas récupérées ? », « Ont-ils été piégés dans le but de leur voler leur argent ? » alors qu’au moins deux d’entre eux disposaient d’un petit pécule pour poursuivre leur voyage, « Quel rôle a joué le cinquième homme ? ».

« Ce qui ressort par voie de presse, c’est que le cinquième homme aurait été condamné à Bayonne pour des faits de vols et libéré à la fin de sa peine, la veille du drame. C’est à Hendaye, très certainement, qu’il aurait rencontré le groupe d’individus et qu’il aurait peut-être, pour des raisons financières, proposé de les accompagner où ils voulaient se rendre, c’est-à-dire vers Bordeaux », précise Me Lassort. Interpellé à Bayonne peu après le drame, l’homme a ensuite été relâché.

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