Publié le : 13/12/2021 – 17:17
Drapeau blanc à la main, il s’avance sur les champs de bataille pour évacuer les corps des combattants morts, et leur offrir des funérailles dignes auprès de leurs proches. Depuis 2016, Hadi Jumaan, un ancien scout, se propose bénévolement comme médiateur dans le conflit entre rebelles houthis et forces pro-gouvernement au Yémen. Une vocation pour le moins risquée, qui lui vaut alternativement la confiance ou la défiance des belligérants. Il détaille son quotidien dans l’émission des Observateurs.
Depuis 2014, les rebelles houthis soutenus par l’Iran et les forces loyalistes du gouvernement d’Abd Rabbo Mansour Hadi, allié de l’Arabie Saoudite, se livrent une guerre sans merci pour le contrôle du pays.
Et c’est dans le gouvernorat de Marib que les combats se font les plus violents depuis le mois de février : les houthis essayent en effet de chasser les forces pro-gouvernement de son plus important bastion au nord du Yémen.
Hadi Jumaan se rend souvent sur les lignes de front dans cette zone avec son équipe de bénévoles, pour récupérer les corps des combattants morts. Des interventions qu’il négocie au coup par coup avec les belligérants sur le théâtre des combats.
Il tient un journal sur son compte Twitter. Sur ces photos publiées le 4 décembre, on voit son équipe de bénévoles charger des corps à l’arrière d’un pick-up.
« Il y a eu un échange de trente corps, à égalité, entre les deux parties au conflit, à Marib et al Jawf », explique Hadi Jumaan dans ce tweet.
بفضل الله سبحانه وتعالى تم انجاز صفقة تبادل عدد 4 جثث بتاريخ 27 نوفمبر الماضي، والتي تم انتشالها من خطوط التماس بعد محاولات عدة تعرضنا خلالها للعديد من الاخطار والحصار تحت القصف لمدة يومين ناهيك عن إطلاق النار الثقيل والخفيف والمتوسط.
كان ذلك من الجبهات الجنوبية في #مأرب.
1️⃣ pic.twitter.com/qLIn0uUsm5
— Hadi Jumaan (@HadiGumaan) December 5, 2021
“Grâce à Dieu, nous somme parvenus à conclure un accord portant sur un échange de quatre cadavres, le 27 novembre ; nous les avons évacués des lignes de démarcation après plusieurs tentatives, pendant lesquelles nous avons été exposés à tous les dangers, nous nous sommes retrouvés coincés sous les bombardements pendant deux jours, sans oublier les tirs d’artillerie[…]. C’était sur les lignes de front à Marib », lit-on sur ce Tweet de Hadi Jumaan.
Avec les jeunes bénévoles qui travaillent avec moi, nous avons connu beaucoup de situations dangereuses. Nous avons été visés par des frappes au moins à cinq reprises, explique Hadi Jumaan”.
Dans cette vidéo, publiée le 13 novembre, on le voit abrité sous un arbre, par crainte d’être repéré par un avion de la coalition [NDLR : menée par l’Arabie Saoudite, en soutien au gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi] qui effectuait des frappes dans la zone.
البعض يسأل لماذا ندخل الجبهات لانتشال الجثث دون تنسيق مع التحالف. أود ان اوضح لهم أنه لايوجد قناة تواصل متاحة وما نقوم به هو التنسيق مع الاطراف المسيطرة على الجبهة.
كما أننا نفتقر الى ابسط الامكانيات، واوجه هنا دعوة للصليب الأحمر في #اليمن @ICRC_ye بتزويدي بالأكياس الخاصة بالجثث pic.twitter.com/QpWKhXFAbW
— Hadi Jumaan (@HadiGumaan) November 13, 2021
Hadi Jumaan explique :
Certains me demandent : ‘pourquoi tu te rends au front pour évacuer les corps sans te coordonner avec la coalition ?.’ Je veux leur clarifier qu’il n’existe aucun canal de communication avec la coalition. Nous coordonnons nos interventions avec les parties qui se trouvent sur le front, localement.
Et nous manquons terriblement de moyens. Nous n’avons pas de sacs mortuaires, par exemple, ni de véhicules réfrigérés pour transporter les corps. Nous avons aussi besoin d’un téléphone satellitaire Thuraya. Aujourd’hui, je dois prévenir les belligérants deux jours à l’avance pour les prévenir de mon arrivée, car les combats se déroulent le plus souvent là où il n’y a pas de couverture réseau. Si j’arrive en avance ou en retard au front, et que je n’ai pas moyen de leur annoncer au téléphone qu’il s’agit de moi, ils peuvent me prendre pour un ennemi et me tirer dessus.
Hadi Jumaan a récemment lancé une cagnotte sur les réseaux sociaux pour pouvoir acheter du matériel.
Outre l’évacuation des morts, Hadi Jumaan a participé à plusieurs accords d’échange de prisonniers entre les houthis et les loyalistes. Une activité qui lui aussi valu quelques déboires :
Il arrive qu’on nous accuse de ne pas être neutres, un partie vous accuse de rouler pour la partie adverse. J’ai été emprisonné à huit reprises par des responsables militaires qui me soupçonnaient de rouler pour la partie adverse.
Sur ces photos, on voit un échange de prisonniers supervisé par Abdallah Soltane, un collègue de Hadi Jumaan, dans la région de Taez.
Mais, quels que soient les obstacles, personne ne nous empêchera de poursuivre notre travail. C’est un travail humanitaire, un travail qui satisfait Dieu et qui satisfait les proches des détenus et des martyrs.
Depuis 2016, Hadi Jumaan dit avoir réussi à rendre plus de 1000 corps de combattants morts à leurs familles.
Selon un rapport des Nations Unies publié en novembre 2021, le Yémen compte 150 000 morts liés aux combats et 227 000 à leurs conséquences indirectes, soit un total de 377 000 morts en lien avec le conflit.
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