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Emmanuel Macron dans le Golfe : quels sont les enjeux diplomatiques ?

Retour de Mohammed ben Salmane sur la scène internationale, crise au Liban, rôle du Qatar dans les négociations avec les Taliban… La visite d’Emmanuel Macron dans le Golfe, de vendredi à dimanche, doit être l’occasion d’évoquer le positionnement de la France sur le plan diplomatique et stratégique autour de plusieurs questions régionales.

Arrivé vendredi 3 décembre dans le Golfe arabo-persique pour une visite express aux Émirats arabes unis, au Qatar et en Arabie saoudite, Emmanuel Macron s’est lancé dans une tournée axée sur les relations économiques, mais aussi le positionnement de la France sur le plan politique, diplomatique et stratégique autour de plusieurs dossiers régionaux.

Après avoir conclu la vente aux Émirats de 80 Rafale, le président français doit se rendre à Doha, au Qatar, puis rencontrer le très controversé principe héritier saoudien, Mohammed ben Salmane. À Jeddah, le président français devrait notamment défendre son souhait d’impliquer le royaume dans la relance du Liban.

Contacté par France 24, Sébastien Boussois, chercheur en sciences politiques, spécialiste du Moyen-Orient associé au CECID (Centre d’études de la coopération internationale et du développement), est revenu sur les relations entre Paris et les trois États du Golfe concernés par la visite d’Emmanuel Macron.

Le spécialiste, qui a récemment publié un ouvrage intitulé « Les Émirats arabes unis à la conquête du monde » (Max Milo), revient sur les enjeux stratégiques d’une telle visite autour de dossiers régionaux tels que la crise au Liban, mais aussi le rôle de négociation du Qatar avec les Taliban.

France 24 : Quelles sont, aujourd’hui, les relations diplomatiques entre Paris et les Émirats arabes unis, le Qatar et l’Arabie saoudite ?

Sébastien Boussois : Les relations entre la France et ces trois pays sont globalement de bonnes relations de partenariat stratégique ou des relations d’intérêt politique et économique. Ce sont des relations entre Paris et trois acteurs important du « hard power » : ce sont des fournisseurs énergétiques, des clients en matière d’armement et haute technologie, mais aussi des acteurs de coopération sécuritaire et militaire sur la fameuse lutte contre le terrorisme.

Si l’on détaille, les relations sont toutefois plus évolutives. Du temps de Nicolas Sarkozy, elles étaient très bonnes avec le Qatar, avec le développement, entre 2007 et 2012, d’une relation privilégiée entre Paris et Doha. Puis ça a évolué du temps de François Hollande (2012-2017) pour se concentrer sur l’Arabie saoudite, avec le même type de relation : à la fois un fournisseur énergétique et un très bon client en matière de haute technologie et d’armement français. C’est d’ailleurs comme ça que Jean-Yves Le Drian a fait ses armes en tant que ministre des Affaires étrangères. Il a été un des plus gros vendeurs d’armes de tous les ministres des Affaires étrangères des 20 voire des 30 dernières années.

Quand Emmanuel Macron est arrivé, il a voulu rééquilibrer les liens avec ces trois puissances pour essayer de les tenir à distance et de ne pas être pris dans des histoires d’influence, de tensions et de guerre liées à la crise du Golfe, durant laquelle les Émirats et l’Arabie saoudite ont décidé d’ostraciser le Qatar et de le mettre au ban du Conseil de coopération des pays du Golfe.

Lors des premières visites officielles des représentants de ces trois États à l’Élysée, ce sont Mohammed ben Zayed (pour les Émirats arabes unis) et l’émir Al-Thani (pour le Qatar) qui ont été reçus. Puis les choses ont vraiment glissé, probablement à cause de cette obsessionnelle quête de lutte contre le terrorisme. Considérant que l’Arabie saoudite et les Émirats étaient un rempart au terrorisme au Moyen-Orient, Emmanuel Macron a de plus en plus penché en faveur d’Abu Dhabi. À tel point que, ces dernières années, de tous les derniers voyages et de toutes les dernières rencontres bilatérales, on retient les rencontres entre Emmanuel Macron et Mohammed ben Zayed (la dernière ayant eu lieu en septembre dernier au château de Fontainebleau, NDLR).

Emmanuel Macron voit en Mohammed ben Zayed un homme militaire qui cherche à stabiliser le Moyen-Orient bien au-delà de sa zone d’influence et considère que les choix faits par les Émirats sont les bons pour stabiliser la région en dépit de la fin des processus démocratiques.

La France a également une base militaire à Abu Dhabi, ce qui est extrêmement important. La relation est donc très bonne : c’est du business économique, de la vente d’armes. On se positionne clairement dans la défense de la vision du Moyen-Orient vendue par Riyad et Abu Dhabi : une déstabilisation des pays où il y avait des transitions démocratiques proche des Frères musulmans, un concours à des guerres contre des rébellions internes soutenues par l’Iran (comme au Yémen). Accessoirement, on est contents de pouvoir vendre 80 Rafale, comme forme de vengeance à l’égard de l’Australie, sauf que la vente de sous-marins à l’Australie est moins problématique dans l’absolu que celle des Rafale et hélicoptères à Abu Dhabi.

La difficulté, c’est que les Émirats ont réussi avec un talent extraordinaire à construire une image respectable, séduisante, ludique et éducative, qui les fait passer comme le pays du Golfe le plus proche de notre mode de vie, qui comprendrait ce qu’est la France, ce que sont les enjeux sécuritaires pour la France, et se positionnerait beaucoup plus près de Paris que ses autres voisins.

Emmanuel Macron est le premier dirigeant occidental à rencontrer de manière officielle le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, largement boycotté depuis l’affaire Jamal Khashoggi. Quel message cela envoie-t-il ?

Au-delà des relations et du contexte militaro-industriel classique, il y a quelques grincements de dents. En effet, autant l’émir al-Thani et Mohammed ben Zayed sont appréciés et ont une image très peu écornée, autant Mohammed ben Salmane (MBS) traîne des casseroles, et cela rend les choses vraiment plus compliquées.

Au moment où il est arrivé à la Maison Blanche, Joe Biden a décrété que l’intermédiaire des États-Unis redeviendrait le roi Salmane : c’était un acte fort.

Le président Macron, lui, a décidé de voir MBS, ce qui est aussi une forme de combat de coq où Emmanuel Macron ne désespère pas de faire revenir à la raison le principal héritier. Mais ce n’est pas forcément évident car c’est un personnage à la politique erratique et très instable, qui a fait beaucoup d’erreurs en peu de temps. Cela fait partie de la personnalité d’Emmanuel Macron. Il avait déjà fait venir Donald Trump, ça n’a pas marché ; il l’a également fait avec Vladimir Poutine, ça n’a pas marché.

En tous cas, tel que c’est parti, MBS sera le prochain roi d’Arabie saoudite. Mais aujourd’hui, Emmanuel Macron demeure dans cette idée, assez égotique, d’essayer de faire revenir à la raison des dirigeants assez particuliers.

>> À lire – Affaire Khashoggi : la déchéance internationale de Mohammed ben Salmane

 


 

La crise au Liban doit aussi être évoquée avec l’Arabie saoudite. Quelle est la stratégie d’Emmanuel Macron ?

Durant toute la période Hariri, l’Arabie saoudite était un soutien majeur : l’objectif était de maintenir Saad Hariri au pouvoir, Riyad soutenait et finançait le régime contre le Hezbollah et l’Iran. On est dans une rivalité et une délocalisation : le Liban est une guerre par procuration.

Emmanuel Macron a essayé de sauver le Liban, en vain. Il sait qu’en réalité, ce n’est pas l’ancienne puissance mandataire qui sera à même de faire quelque chose pour sauver le Liban, ni financièrement ni politiquement. En revanche, il sait que les rivalités régionales sont extrêmement fortes entre l’Arabie saoudite et les Émirats et, de l’autre côté, l’Iran et le Qatar. Donc dans cette lutte acharnée des influences régionales, ce sont les seuls qui peuvent financer un sauvetage (ce qui, en tous cas, ne changera rien tant que le système demeurera corrompu de manière aussi endémique).

La visite d’Emmanuel Macron au Qatar sera-t-elle l’occasion de revenir sur le rôle du Qatar dans les négociations avec les Taliban ?

Le monde entier a salué le rôle du Qatar dans le dossier de l’Afghanistan, aussi bien sa diplomatie depuis 2018 que ses opérations humanitaires (la moitié, voire 60 %, des rapatriements ont été opérés par Qatar Airways pour sauver les Américains et personnels proches des américains et occidentaux). Dans la reprise des négociations récentes et pour essayer de sortir de cette situation inextricable de l’Afghanistan, il est bien de rappeler le rôle du Qatar, mais le Qatar a déjà fait beaucoup.

Pour empêcher les puissances orientales (notamment la Chine et la Russie) de prendre un pas trop important dans la région, la France – comme d’autres pays occidentaux qui y ont de moins en moins prise – essaie de redonner leur place à des puissances régionales considérées comme acceptables. C’est notamment le cas du Qatar et des Émirats qui, par ailleurs, sont deux pays considérés comme des puissances de négociation, de médiation, des micro-confettis géopolitiques qui ont pour habitude, pour leur survie, d’essayer de ne se fâcher avec personne et montrent pour cela une diplomatie proactive, très importante pour des négociations et tentatives de dialogue de ce type.

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