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En Ethiopie, les discours hostiles se multiplient vis-à-vis de l’Occident

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Des Ethiopiens vivant en Afrique du Sud protestent contre une prétendue ingérence étrangère, lors d’une manifestation face à l’ambassade des Etats-Unis à Pretoria, le 29 novembre 2021. LUCA SOLA / AFP

« L’ambassade américaine, terroriste ! » Cette diatribe, postée le 27 novembre sur Facebook, émane de Taye Dendea, vice-ministre de la paix, l’équivalent du ministère de l’intérieur en Ethiopie. Dans son message, le responsable politique compare la chancellerie des Etats-Unis à un « cobra qui mord ». Il l’invite également à « quitter l’Ethiopie, et progressivement l’Afrique entière ».

Taye Dendea a rédigé ces mots deux jours après le défilé d’un millier de manifestants devant les ambassades américaine et britannique à Addis-Abeba – des bâtiments déjà largement vidés de leur personnel diplomatique du fait de la dégradation de la situation militaire – pour demander aux deux pays de « ne pas toucher à l’Ethiopie ».

Depuis quelques semaines, le gouvernement éthiopien reproche plus ou moins ouvertement aux pays occidentaux, Etats-Unis en tête, de s’ingérer dans ses affaires internes. Certains, comme le vice-ministre de la paix, vont jusqu’à accuser Washington de collusion avec le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), le parti tigréen à la tête d’une coalition rebelle en guerre contre le premier ministre Abiy Ahmed depuis plus d’un an dans le nord de l’Ethiopie.

Cette récente hostilité de l’appareil d’Etat à l’égard de l’Occident peut se résumer en un hashtag : #NoMore ou #Beka en langue amharique (#Assez). Popularisé sur les réseaux sociaux par la porte-parole d’Abiy Ahmed, le slogan s’est répandu comme une traînée de poudre au sein de la société éthiopienne. Il est brandi en réponse aux appels à un cessez-le-feu de la communauté internationale, après la récente avancée rebelle à moins de 200 kilomètres de la capitale Addis-Abeba.

« Nettoyage ethnique »

C’est pourtant bien le gouvernement éthiopien qui a exhorté Jeffrey Feltman, l’émissaire américain pour la Corne de l’Afrique, à venir dans le pays fin octobre pour entamer des pourparlers avec les rebelles du Tigré.

Conscient des critiques adressées à Washington, Jeffrey Feltman a tenté de rectifier le tir devant la presse, le 23 novembre. « Il y a une narration que je veux ici réfuter (…), un discours selon lequel les Etats-unis seraient nostalgiques d’un retour du FLPT à la tête du gouvernement », a-t-il indiqué en référence aux trois décennies durant lesquelles l’élite politique tigréenne contrôlait tous les leviers du pouvoir.

Cette ère s’était achevée avec l’arrivée au pouvoir, en 2018, du premier ministre Abiy Ahmed, alors perçu comme un jeune réformateur libéral et qui s’était aussitôt attiré les faveurs de la scène diplomatique internationale.

Mais la guerre au Tigré a radicalement changé la donne. En mars, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken qualifiait de « nettoyage ethnique » les atrocités commises par les miliciens de la communauté Amhara, alliés d’Abiy Ahmed, dans l’ouest du Tigré.

« L’esprit d’Adoua »

Au mois de mai, l’annonce de sanctions américaines contre des officiels éthiopiens en raison de violations des droits humains dans ce conflit a poussé l’ancien Prix Nobel de la paix à durcir le ton vis-à-vis de ses anciens partenaires.

Le fossé s’est encore creusé lorsque les Etats-Unis ont annoncé début novembre la suspension provisoire de l’Ethiopie de l’African Growth Opportunities Act (AGOA), cette loi qui facilite l’accès au marché américain pour les pays d’Afrique subsaharienne.

Dépeignant l’Ethiopie comme la dernière victime des faucons américains, certains officiels éthiopiens comparent désormais le traitement du pays à celui de l’Irak ou de la Libye. Une accusation reprise par des responsables érythréens, comme le ministre de l’information Yemane Gebremeskel, ou chinois, tel le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Wang Wenbin, qui utilisent à leur tour, non sans opportunisme, le hashtag #NoMore.

Ce discours de lutte contre l’Occident impérialiste reçoit un écho tout particulier en Ethiopie, unique pays africain à n’avoir jamais été colonisé. Son histoire moderne repose en grande partie sur un acte fondateur : la bataille d’Adoua, victoire de l’armée­ impériale face aux Italiens en 1896. « L’esprit d’Adoua » est souvent invoqué par le gouvernement au moment d’appeler les citoyens à rejoindre le front pour combattre les rebelles.

« Mettre fin au néocolonialisme »

Le panafricanisme, dont l’Ethiopie, siège des institutions de l’Union africaine, est un pays creuset, sert aussi de cri de ralliement. « Nos frères et sœurs africains rejoignent le mouvement #NoMore et je pense qu’il s’agit d’un chapitre historique pour le panafricanisme. Il est temps de mettre fin au néocolonialisme », a ainsi assuré sur Twitter le 29 novembre le ministre de l’industrie Melaku Alebel, à propos du mouvement #NoMore.

En réalité, de nombreux partenaires africains ont appelé Abiy Ahmed à trouver une solution politique au conflit. L’Afrique du Sud, le Kenya et Djibouti, entre autres, ont appuyé les efforts de conciliation menés par l’Union africaine.

Mais dans le climat actuel, alors que la guerre se rapproche d’Addis-Abeba, les soutiens du régime d’Abiy Ahmed usent largement de cet argument régional, réclamant « des solutions africaines aux problèmes africains ».

Solomon Kassa, un consultant et membre influent de la diaspora basé aux Etats-Unis, compare « le complot dont est victime l’Ethiopie » aux restrictions de voyage qui touchent l’Afrique australe à cause du variant Omicron ou à l’action de l’armée française au Sahel. Mercredi 1er décembre, la chaîne publique ETV assurait que le Niger, le Burkina Faso et le Mali avaient rejoint le mouvement #NoMore.

Cette rhétorique de défiance se traduit dans le réel. Le 24 novembre, l’Ethiopie a expulsé, sans explication, quatre diplomates irlandais. Trois semaines plus tôt, Dublin avait signé la déclaration du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à un cessez-le-feu et réclamé l’ouverture d’un dialogue politique entre les parties de même qu’un accès humanitaire au Tigré.

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