Publié le : 27/11/2021 – 18:06
Après plusieurs semaines de manifestations à Ispahan, contre les politiques de gestion des ressources en eau, la police iranienne est intervenue, samedi, ainsi que la veille, pour empêcher les rassemblements. Le pays connaît une multiplication d’épisodes de sécheresse.
Ils se donnaient rendez-vous chaque jour dans le lit asséché de leur rivière, le Zayandeh-roud, pour crier leur colère. Depuis le 12 novembre, des manifestations étaient organisées quasi quotidiennement par les habitants et les agriculteurs d’Ispahan, troisième ville d’Iran, pour se plaindre de la terrible sécheresse frappant la région depuis des années.
Samedi 27 novembre, les autorités iraniennes ont mis fin à ces démonstrations populaires avec l’aide de la police anti-émeute, empêchant les protestataires de rejoindre le lit du Zayandeh-roud. La veille, la manifestation s’était achevée par des scènes de violences ayant fait au moins deux blessés graves. Plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux attestent de ces répressions.
Selon la police d’Ispahan, le mouvement, initié par les agriculteurs, frustrés de ne pas avoir pu arroser leurs cultures d’automne, a été récupéré par « les opportunistes et les contre-révolutionnaires » qui ont incendié du mobilier urbain. Des agents de police, des membres des Gardiens de la révolution – armée idéologique de la République islamique – et des services de renseignement appelés en renfort, ont procédé à 67 arrestations, selon le chef de la police de la province.
Une mauvaise gestion de l’eau
Pour les habitants d’Ispahan, le Zayandeh-roud, enjambé par plusieurs ponts monumentaux classés au patrimoine mondial de l’Unesco, fait partie de l’identité de leur ville. Le soir venu, ils ont pour habitude de se retrouver le long de ses rives pour pique-niquer en famille ou écouter des chanteurs traditionnels postés sous ses ponts aux arcades illuminées.
Des habitants d’Ispahan marchent sur le lit asséché de la rivière Zayandeh-roud, le 10 juillet 2018. © AP
La sécheresse due au réchauffement climatique, qui a engendré la disparition de plusieurs glaciers de la province, est perçue comme l’une des causes de l’assèchement de cette rivière, à sec depuis 2000 sauf pour quelques brèves périodes. Mais les cultivateurs de la région protestent aussi contre le détournement par les autorités d’une partie de l’eau, en amont de la ville, à des fins d’approvisionnement de la province voisine de Yazd, qui manque elle aussi cruellement d’eau.
« L’Iran connaît de plus en plus de problème d’accès à l’eau, et ça n’est pas seulement lié au réchauffement climatique mais à une mauvaise gouvernance », explique Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran pour le centre de recherche Etopia à Bruxelles. En cause, la construction de grands barrages visant à produire de l’énergie hydraulique et à redistribuer l’eau vers les surfaces agricoles d’autres régions et vers les grands conglomérats sidérurgiques, gourmands de ce corps liquide.
La ville d’Ispahan, en plus d’être située dans l’une des principales régions agricoles d’Iran, est un important centre industriel. Les agriculteurs de la province se disent victimes de ces industries lourdes, accusées de gaspiller les ressources naturelles. Ils réclament que les industries de production de tuiles et d’acier de la région soient plus logiquement basées dans une zone littorale, « et non dans une province située à des kilomètres de la mer ».
Tout le pays est gravement touché par la sécheresse
Ispahan n’est pas la seule affectée par cette crise de la sécheresse. À proximité, dans la province de Chahar Mahal-Bakhtiari, plusieurs centaines de personnes ont elles aussi manifesté, mercredi, pour exiger une solution à la pénurie d’eau potable. Selon la télévision iranienne, environ 300 villages y sont désormais approvisionnés par camion-citerne.
Les agriculteurs de tout le pays ont été gravement touchés par les pénuries d’eau au cours de la dernière décennie et des protestations ont éclaté dans de nombreuses régions iraniennes. Cet été, les habitants du Khouzestan, situé dans le sud-ouest du pays, ont subi de grave coupures d’eau. La province a été le théâtre de multiples manifestations qui ont fait plusieurs morts.
« Alors que sa population a grimpé en flèche, le pays est en train de réaliser que ses ressources en eau sont limitées. Or son modèle agricole est à revoir. Celui-ci ne se base pas sur une gestion durable », résume Jonathan Piron, qui mène des recherches sur l’eau en Iran depuis plusieurs années. Et le spécialiste de lister des « aberrations agricoles », telles que le développement de la culture de riz, très consommatrice en eau, dans une région comme le Khouzestan, où les précipitations ont diminué de moitié en quelques années. « L’État iranien est dans une logique de souveraineté alimentaire. La priorité étant d’avoir une ‘économie de la résistance’, et de n’avoir besoin de l’aide de quiconque », détaille le chercheur.
Des militants écologistes en prison
« L’État est bloqué, il s’est engouffré dans une logique qui n’a plus de sens », analyse Jonathan Piron. Le réchauffement climatique ayant induit une diminution des ressources en eau, ouvrir la vanne pour alimenter une région revient à réduire les ressources hydrauliques d’une autre, qui va à son tour manquer d’eau. « Cette politique de court terme a montré ses limites. Et à cela vient s’ajouter la corruption et des perspectives qui ne sont pas bonnes avec le réchauffement climatique ».
Des militants écologistes ont bien tenté d’alerter, mais plusieurs d’entre eux ont été arrêtés en 2018 et condamné à dix ans de prison. « Ils gênent car ils demandent des transformations structurelles et politiques qui vont à l’encontre des intérêts du système et donc des Gardiens de la révolution », indique Jonathan Piron. Ces derniers possèdent, en effet ,de nombreuses entreprises en Iran, notamment dans les secteurs de la construction de barrages.
L’urgence est pourtant là. Les experts prévoient une aggravation de la situation dans les prochaines années, avec des conflits sociaux, mais aussi des déplacements de la population des régions du sud vers le nord, moins affectée par la sécheresse.
Régissant aux manifestations à Ispahan, le président iranien, Ebrahim Raïssi, avait promis, le 11 novembre, de résoudre le problème de l’eau affectant la région, ainsi qu’à Yazd. Le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a, lui, qualifié ce sujet de « problème du pays », sans faire allusion aux manifestations. « Ce ne sont pas les premières déclarations d’Ali Khamenei, mais comme elles ne sont pas suivies d’actions, une partie de la population n’y croit plus », constate Jonathan Piron.
Avec AFP
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