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En Turquie, le “milliardaire rouge” Osman Kavala reste derrière les barreaux

Publié le : 26/11/2021 – 22:51

Détenu depuis quatre ans sans procès, l’homme d’affaires turc Osman Kavala restera en détention jusqu’à une prochaine audience, le 17 janvier, a décidé vendredi un tribunal d’Istanbul. Amnesty International dénonce une « grave violation » des droits de cet éditeur, l’une des bêtes noires du président Erdogan.

« Notre droit à un procès équitable nous a été dénié. Par conséquent, nous ne prévoyons pas de présenter de défense aujourd’hui », a déclaré Tolga Aytöre, l’avocat d’Osman Kavala face au tribunal d’Istanbul, vendredi 26 novembre.

L’entrepreneur turc, surnommé le « milliardaire rouge » pour son engagement à gauche, est incarcéré sans procès depuis le 18 octobre 2017. Le président Recep Tayyip Erdogan l’accuse alors publiquement dans deux discours de « financer le terrorisme » et de « représenter en Turquie » le milliardaire américain George Soros, figure de la philanthropie internationale et bête noire de plusieurs dirigeants autoritaires dans le monde.

Derrière ces accusations publiques, on trouve en filigrane le soutien apporté par Osman Kavala aux manifestations antigouvernementales de Gezi en 2013… et le ressentiment d’Erdogan. Poursuivi pour « tentative de renversement du gouvernement », il est finalement acquitté pour manque de preuve en février 2020, mais est aussitôt placé à nouveau en détention, accusé cette fois d’avoir « cherché à déstabiliser la Turquie » lors du coup d’État manqué de 2016. Il risque la prison à vie.

Face à cette situation, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a jugé dès 2019 sa détention contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme (dont la Turquie est signataire) et a exigé sa « libération immédiate ».

Figure de la société civile

« Depuis son placement en détention en 2017, affirme Milena Büyüm, chargée de campagne pour Amnesty International Turquie contactée par France 24, Amnesty a continuellement appelé les autorités turques à relâcher Osman Kavala. Il n’y a pas de base légale à sa détention provisoire. Cela va faire deux ans que la décision de la CEDH n’est pas suivie par le gouvernement turc, et nous espérons que le Conseil de l’Europe va engager une procédure de suspension contre la Turquie. Le refus d’appliquer cette décision de la CEDH est une grave violation des droits d’Osman Kavala, et une menace contre le système des droits humains dans toute la région. »

En septembre dernier, le Conseil de l’Europe a en effet menacé la Turquie d’engager une procédure de suspension si Osman Kavala n’était pas relâché. Cette procédure, rare et complexe, n’a été appliquée qu’une fois à l’encontre de la Russie, de 2017 à 2019. À la suite de cette annonce, dix ambassadeurs occidentaux ont rédigé un communiqué pour exiger la libération d’Osman Kavala. Recep Tayyip Erdogan les a alors menacés d’expulsion, avant de se raviser, évitant de justesse une crise diplomatique majeure.

Figure centrale de la société civile, Osman Kavala est connu en Turquie et à l’étranger pour ses actions humanistes et progressistes. Il œuvre depuis plusieurs années à la réconciliation des mémoires et à la démocratisation de la Turquie.

Né en 1957 dans une des familles les plus aisées du pays, il étudie l’économie à Manchester, en Grande-Bretagne, où il manifeste contre la politique néolibérale et conservatrice de Margaret Thatcher, alors en plein affrontement avec l’IRA. Il continue sa formation à New York, où il passe deux ans à la New School for Social Research.

Il rentre ensuite en Turquie et prend la tête de la société familiale en 1982, après le décès de son père. Il crée alors Iletisim, une maison d’édition mettant en avant des textes sur la démocratie en Turquie. En 1986, selon Ariane Bonzon dans Slate, il accueille les premiers militants écologistes de Turquie dans un de ses immeubles, alors qu’ils protestent contre l’érection d’un hôtel sur une plage abritant des tortues maritimes en voie d’extinction.

Engagement pour la reconnaissance du génocide arménien

En 2002, après l’accession au pouvoir de l’AKP, il soutient financièrement la société civile en créant une fondation, Anadolu Kultur, qui promeut le dialogue avec les Kurdes et les Arméniens à travers l’art et la culture.

Il participe ainsi en 2010 à la première commémoration – non officielle – du génocide arménien organisée en Turquie.

La même année, il coproduit « Chienne d’histoire », un film d’animation de Serge Avédikian. Récompensé par la Palme d’Or du court-métrage du festival de Cannes, le film raconte la déportation massive des chiens errants de Constantinople en 1910. Tiré de faits réels, il peut se voir comme une métaphore du génocide arménien.

Osman Kavala parvient à en faire distribuer des DVD dans les écoles. Il assiste également plusieurs ONG venant en aide aux réfugiés du sud-est de la Turquie, mais échoue à organiser un concert du chanteur franco-arménien Charles Aznavour.

Mobilisation européenne

Pour marquer la quatrième année de détention préventive du mécène turc, l’artiste photographe Ateş Alpar a parcouru début novembre les rues d’Istanbul avec un grand portrait d’Osman Kavala.

Une façon d’alerter sur la situation de ce prisonnier politique, qui estimait en octobre que sa détention permettait à Recep Tayyip Erdogan de justifier ses « thèses complotistes » : « Puisque je suis accusé d’avoir pris part à un complot organisé par des puissances étrangères, me libérer affaiblirait cette fiction et ce n’est certainement pas ce que le gouvernement souhaite », déclarait-il ainsi à l’AFP depuis sa cellule.   

La décision du tribunal d’Istanbul risque donc de raviver les tensions diplomatiques : le Conseil de l’Europe se réunit du 30 novembre au 2 décembre prochain, et pourrait décider d’enclencher la procédure de suspension à l’encontre de la Turquie.

En attendant, « la fondation Anadolu Kultur continue à fonctionner, affirme Milena Büyüm, d’Amnesty International Turquie, et Osman Kavala s’intéresse à ce qu’il se passe en dehors de la prison. Il continue à produire des idées, à lire et à réfléchir à des projets d’échanges culturels, qu’il transmet à ses collègues et à sa femme par l’intermédiaire de ses avocats. »

>> À lire, notre webdocumentaire : « Turquie, la grande purge. Quatre destins bouleversés par l’état d’urgence »

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