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Des partisans du chef de l’Etat brandissent un portrait de Kaïs Saïed, à Tunis, le 3 octobre 2021. ZOUBEIR SOUISSI / REUTERS
L’heure est à la pédagogie en Tunisie. Pour promouvoir la réforme des institutions que le président Kaïs Saïed souhaiterait soumettre à un référendum, l’entourage du chef de l’Etat et ses partisans les plus déterminés ont lancé ces dernières semaines une « campagne explicative » (« hamla tasfiria », en arabe) censée jeter les bases d’un dialogue avec la jeunesse. Un rapprochement que Kaïs Saïed a appelé de ses vœux le 21 octobre, un mois après s’être arrogé par décret les pleins pouvoirs.
Ni le format ni le contenu de cette campagne ne sont toutefois clairs à ce stade. Une poignée de trentenaires basés à Tunis ont commencé à solliciter les médias et à s’organiser pour tester l’opinion publique sur le projet, non pas « du président », mais « porté par le président ». La plupart d’entre eux sont issus de cette jeunesse révolutionnaire ayant participé à des sit-in en janvier 2011 pour réclamer la chute du gouvernement de transition et une nouvelle vision politique. Beaucoup ont rencontré Kaïs Saïed, alors enseignant en droit, à cette époque et ont commencé à discuter avec lui d’un nouveau projet de démocratie pour la Tunisie.
Ils ont désormais entre 30 et 40 ans et l’enthousiasme de la révolution a laissé place, chez eux, à de la « déception », selon Ramy Hammami, 30 ans, qui vit à Ben Arous, une banlieue de Tunis. Ancien militant d’un parti de gauche, il a participé à la campagne présidentielle de Kaïs Saïed en 2019. Aujourd’hui, il utilise le même procédé pour expliquer le projet politique du président. « C’est très horizontal comme méthode. Par exemple, à mon échelle, je parle avec des collègues de travail, avec des amis dans mon quartier, et dès que quelqu’un manifeste un intérêt dans une autre région, je prends ma voiture et je vais débattre », dit-il, précisant que « chacun peut contribuer ». Les seules exigences sont d’être en adhésion avec le projet et de ne pas appartenir à un parti politique.
Ni porte-parole ni mot d’ordre
Les partisans du chef de l’Etat cherchent à reproduire la dynamique de l’élection de 2019, quand des groupes de jeunes s’étaient agrégés à l’entourage du candidat. Ils mobilisent au sein des réseaux régionaux des proches du président et sur les pages Facebook pro-Kaïs Saïed.
« En 2019, des figures qui sont aujourd’hui présentes dans les médias, comme Ridha Chiheb Mekki, à l’origine du projet politique de Kaïs Saïed, l’homme d’affaires Ahmed Chafter ou l’enseignant Jamel Mkadmi, s’appuyaient déjà sur des noyaux durs de jeunes issus principalement de la gauche panarabiste et nationaliste », relève Rihen Sallem, membre d’Al Bawsala, une ONG qui œuvre pour la transparence démocratique : « Ils leur servaient de relais pour alimenter des débats et des cafés politiques quand Kaïs Saïed se déplaçait pour faire campagne, loin des médias. »
Le phénomène était difficile à chiffrer pendant l’élection, puisque de nombreux bénévoles avaient rejoint la campagne de Kaïs Saïed lorsqu’il était s’était qualifié pour le second tour. Mais il avait porté ses fruits : le candidat avait été élu avec 72 % des voix et la jeunesse avait été un moteur de sa victoire.
Aujourd’hui, les défenseurs de son projet politique revendiquent la même autonomie, « sans porte-parole » et « sans mot d’ordre ». Ils agrègent de nouvelles figures, ralliées à Kaïs Saïed après son coup de force du 25 juillet, comme Bouthayna Ben Kridis, une juriste de 35 ans originaire de Sfax, qui multiplie les apparitions sur les plateaux télévisés pour expliquer les ressorts juridiques de cette nouvelle démocratie proposée. Estimant que la discussion doit inclure toute la société civile, y compris la jeunesse des régions marginalisées du centre, elle plaide pour une meilleure redistribution des ressources, en écho aux récentes déclarations du chef de l’Etat sur la « mise en location des terres domaniales au profit des jeunes chômeurs ».
« L’idée est vraiment de se recentrer sur les questions de la révolution, les demandes sociales de l’époque et d’aller vers des réformes », défend Faouzi Daas, un entrepreneur de 37 ans basé à Tunis. Ce projet doit passer par un « dialogue citoyen », sans les corps intermédiaires ou les partis politiques, par opposition au « dialogue national » proposé pendant la crise politique de 2013 par des syndicats et des associations – et vilipendé par Kaïs Saïed.
La Libye de Kadhafi ou la Suisse ?
Selon ses thuriféraires, le chef de l’Etat plaide en effet pour l’instauration d’une démocratie par le bas : la représentation trouverait sa source première dans des élections de conseils locaux au scrutin uninominal – se substituant à l’actuel scrutin de liste –, dont émaneraient ensuite des conseils régionaux puis l’Assemblée nationale, le tout étant contrebalancé par un pouvoir exécutif fort. Un modèle que la plupart des membres de la « campagne explicative » ont du mal à qualifier, puisqu’il ne s’agit ni de démocratie représentative, ni de démocratie participative.
« On ne comprend pas toujours pas si c’est l’exemple libyen de Kadhafi ou le modèle suisse », résume le chercheur en sociologie Aymen Belhadj. Un flou théorique justifié par le fait que le modèle proposé, fruit des réflexions de l’entourage proche de Kaïs Saïed depuis des années, n’a pas encore été expérimenté sur le plan politique.
Les contours de la consultation nationale prévue par Kaïs Saïed et les idées qu’elle est censée porter restent pour le moins vaporeux, pointe le chercheur en sciences politiques Mohamed Dhia-Hammami. Par exemple, on ignore « quelles pourraient être les prérogatives des structures locales et régionales dans la nouvelle répartition des pouvoirs », souligne l’universitaire. Et pour le moment, « les principaux acteurs politiques, les forces syndicales et les élites sont tous opposés à ce projet ». La plupart, sceptiques sur sa finalité, critiquent aussi l’absence de dialogue ou d’inclusion.
Le projet séduira-t-il davantage ces « jeunes » que Kaïs Saïed cherche à ramener dans son giron ? Ou se heurtera-t-il à la lassitude et à la désillusion de cette frange de la population au sein de laquelle le taux de chômage dépasse les 40 % ?
Si l’idée de vouloir réconcilier les jeunes avec la participation politique est louable, « le manque de clarté sur le rôle que vont jouer la société civile et les citoyens pose question », estime Salma Jrad, directrice exécutive d’Al Bawsala et elle-même ancienne étudiante du président. Le débat, ajoute-t-elle, est actuellement trop polarisé entre les « pro » et les « anti » Kaïs Saïed pour qu’un dialogue fécond et libre ait vraiment lieu.
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