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« Les toilettes doivent être séparées » : au Brésil, les W-C mixtes d’un McDonald’s donnent lieu à une polémique nationale

Le panneau montre trois pictogrammes : un premier personnage est vêtu d’une robe, un deuxième porte un pantalon, le dernier est habillé avec les deux vêtements. Filmée en gros plan, cette signalétique, qui indique des toilettes mixtes, a suscité l’ire d’une cliente d’un McDonald’s de Bauru, ville de l’Etat de Sao Paulo, dans le sud-est du Brésil.

« Il faut fermer cette saleté ! », s’indigne la cliente dans cette vidéo, publiée dans la semaine du 8 novembre, devenue très virale durant le week-end des 13 et 14 novembre au Brésil, rapporte le Correio Braziliense. Elle filme à l’aide de son téléphone une succession de cabines individuelles, mais avec une entrée et des lavabos communs. « Des enfants utilisent ces toilettes ! », s’agace-t-elle, ajoutant : « C’est du communisme à Bauru, une honte. » La femme poursuit en affirmant de pas vouloir aller là « où tout le monde utilise les mêmes toilettes ».

La cliente interpelle aussi les conseillers municipaux de Bauru, les exhortant à « prendre soin de la ville » et à « mettre fin à cette honte ». A la fin de la vidéo, la femme quitte le fast-food « dégoûtée », jurant de ne plus jamais revenir.

Deu ruim para o Mc Donalds que terá que modificar todos os seus banheiros porque a Dona Maria não curtiu. https://t.co/dNEMMCWhzU

— guilhermesousa (@gui sousa)

Evangéliques conservateurs

La maire de Bauru, Suellen Rosim, affiliée aux évangéliques conservateurs du parti Patriota, qui soutient le président d’extrême droite, Jair Bolsonaro, s’est rapidement emparée de la polémique. « Les autorités sanitaires se sont rendues sur place et ont constaté que les normes sanitaires de la municipalité n’avaient pas été respectées », a écrit sur Twitter Mme Rosim.

D’après l’article 96 du code sanitaire de Bauru, les toilettes « doivent être séparées et identifiées, une pour chaque sexe », insiste la mairie dans un communiqué, précise le Correio Braziliense dans un autre article. McDonald’s a été condamné à payer une amende et dispose de quinze jours pour se mettre en conformité, au risque de voir son restaurant fermer.

Le géant américain de la restauration rapide a réagi dans un communiqué en expliquant avoir mis en place des « cabines individuelles » dans ses W-C pour que « toutes les personnes se sentent bienvenues et puissent les utiliser », indépendamment de leur genre. La chaîne ajoute « être en contact avec les autorités » pour que ses restaurants soient mis aux normes.

Bataille d’idées

Sur les réseaux sociaux, de nombreux habitants de Bauru ont critiqué la décision prise par la municipalité. « Ce sont des W-C individuels. Avec une porte à chaque toilette. […] On dirait qu’ils font exprès d’être complètement ignorants », peste l’un d’eux. Un autre juge que Mme Rosim « a un penchant pour la haine et les préjugés, et non pour la justice ». D’autres estiment encore que la maire devrait se préoccuper de sujets plus importants.

Certains internautes ont apporté leur soutien à l’élue, saluant son « courage » et dénonçant au passage les « élites corrompues », responsables, selon eux, de la mise en place de toilettes non genrées dans l’espace public.

Les questions liées au genre sont particulièrement sensibles au Brésil

Les questions liées au genre sont particulièrement sensibles au Brésil depuis l’arrivée au pouvoir, en 2018, de Jair Bolsonaro, soutenu par les églises évangéliques et coutumier des propos sexistes, racistes et homophobes. Le pays est aussi le premier au monde pour les meurtres de personnes transgenres – à 80 % des femmes noires ou métisses issues des classes défavorisées –, loin devant le Mexique ou les Etats-Unis. Leur espérance de vie ne dépasse pas 35 ans, contre près de 75 ans pour l’ensemble de la population, d’après le rapport annuel de l’Association nationale des travestis, transsexuels et transgenres (Antra).

En janvier 2016, par exemple, la Chambre des représentants de l’Etat du Dakota du Sud, à majorité républicaine, avait voté un projet de loi encadrant strictement l’usage des sanitaires dans les établissements scolaires publics : l’Etat du Midwest américain voulait obliger les élèves à utiliser les toilettes en fonction de leur sexe biologique. En spécifiant que « la condition d’homme ou de femme est déterminée par les chromosomes ou par l’anatomie à la naissance », les législateurs visaient les transgenres, sans les mentionner explicitement. Le texte avait finalement été retoqué par la Chambre des représentants deux mois plus tard.

La « guerre des toilettes » avait ensuite gagné l’Europe : en décembre 2017, le maire de Londres, Sadiq Khan, avait présenté son « plan pour la ville », où il annonçait la construction de toilettes mixtes, dites « non sexistes ». Les conservateurs étaient montés au créneau, affirmant que ces équipements allaient à l’encontre d’une différence « naturelle ». Là encore, les personnes trans et la prétendue « théorie du genre » étaient visées.

Embouteillage

De manière plus générale, les toilettes sont des lieux ­stratégiques, très sensibles, pour les problèmes de genre, que l’on soit transgenre ou cisgenre (personne dont le genre auquel elle s’identifie correspond au genre assigné à la naissance).

C’est ce que montre l’architecte Kathryn H. Anthony dans son essai Defined by Design. The Surprising Power of Hidden Gender, Age, and Body Bias in Everyday Products and ­Places (Prometheus, 2017, non traduit). Les femmes passent en moyenne deux fois plus de temps aux toilettes que les hommes, pour diverses raisons : elles doivent en partie se déshabiller, puis se rhabiller, changer leur protection hygiénique lorsqu’elles ont leurs règles… Ce sont aussi elles qui, la plupart du temps, emmènent les enfants au petit coin, sans oublier le fait que les tables à langer se trouvent généralement dans les toilettes des femmes. Or, la plupart des lieux publics prévoient le même nombre de toilettes pour les hommes que pour les femmes. Résultat : c’est souvent l’embouteillage.

Si les toilettes sont mixtes, le temps d’attente moyen sera de soixante secondes

Dans un article paru en 2017, le Guardian faisait la simulation suivante : sur une période d’une heure, si quinze hommes et quinze femmes veulent se soulager dans des toilettes séparées, en moyenne les hommes devront patienter quarante secondes, et les femmes deux minutes et vingt secondes. Mais si les deux toilettes sont mixtes, le temps d’attente moyen sera de soixante secondes. Autre configuration : si 150 hommes et 150 femmes doivent répondre à l’appel de la nature dans des W-C non mixtes comportant chacun six cabines, le temps d’attente sera respectivement de vingt-sept secondes et de sept minutes et quarante secondes… Ce qui correspond à peu près à ce que nous avons tous et toutes pu observer un jour au théâtre ou à un concert.

En France, le code du travail prévoit que « dans les établissements occupant un personnel mixte, les cabinets d’aisance sont séparés pour le personnel féminin et masculin ». Au-delà du lieu de travail, l’organisation des sanitaires dans l’espace public relève surtout de la « tradition » (il n’y a, par exemple, pas toujours deux toilettes dans les bars ou les restaurants). Les premières toilettes séparées remonteraient à 1739, selon le sociologue Sam Bourcier, qui voit dans cette division « un puissant opérateur de genre au service de sa protection et de la police des genres ». Dans l’idée, il s’agissait de « protéger » les femmes, perçues comme les « proies » des hommes, comme l’explique cet article de Slate.

Un argument contré par certaines féministes : les agresseurs sont, potentiellement, partout, et pas seulement dans les toilettes. En outre, expliquent-elles, ce genre de raisonnement empêche les mentalités d’évoluer en entretenant l’idée d’une binarité des rôles « chassée »/« prédateur ». Pour elles, ce n’est pas en imposant une séparation physique que l’on pourra créer les conditions d’une coexistence sereine. Elles estiment que régler le problème des violences sexistes et sexuelles passera avant tout par l’éducation.

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