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En RDC, des conflits fonciers réveillés par l’éruption du volcan Nyiragongo

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Un éleveur du village de Munigi et ses vaches, le 14 octobre 2021. CORALIE PIERRET

Au pied du volcan Nyiragongo, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), trois vaches peinent à trouver de l’herbe parmi les cailloux de lave séchée. « Nous sommes menacés », s’inquiète Jean-Baptiste Maliru en regardant le sommet du cône. Les différentes coulées, notamment celle du 22 mai, quand le volcan est entré en éruption, ont ravagé « 70 % de nos terres », poursuit ce paysan. A Munigi, village situé aux portes de Goma, dans la province du Nord-Kivu, les bovins ont presque disparu du paysage. Aujourd’hui, le chômage guette les 350 familles qui vivent de l’élevage.

L’ensevelissement des champs n’est pas la seule conséquence des événements du mois de mai pour Jean-Baptiste Maliru et les siens. Bottes et bâtons de bergers entassés sur le paillasson, les éleveurs du territoire de Nyiragongo, une des entités administratives du Nord-Kivu, tiennent une réunion dans le salon de leur président. La tête baissée, Habawézé Tabaro s’indigne : « Si tous nos espaces sont vendus, on va vivre avec quoi ? »

Après l’éruption, une initiative privée lancée par l’ancienne première dame, Marie-Olive Lembé Kabila, a réveillé un conflit foncier dormant. L’épouse de l’ex-président Joseph Kabila a offert 100 hectares aux sinistrés du volcan pour qu’ils puissent reconstruire des logements. Des terres jusqu’ici laissées en friche et qu’elle affirme avoir achetées « il y a quelques années », comme elle l’expliquait juste après l’éruption à la presse locale. Or leur acquisition est jugée frauduleuse par les éleveurs.

En 2017, des marches avaient déjà été organisées pour protester contre l’achat de terres par des hommes politiques, des militaires et d’autres personnalités influentes.

« Le plus grand spoliateur, c’est l’Etat ! »

Selon la société civile, les parcelles, distribuées en octobre à plus de 200 ménages, appartiennent à des espaces collectifs régis par les autorités traditionnelles. Ces champs sont réservés pour le pâturage du bétail depuis les années 1940, comme le stipulent les documents de l’administration coloniale fournis par les éleveurs. Or au cours de la dernière décennie, près de 45 % de ces enclos communautaires ont été vendus à des particuliers, sans aucune transparence dans les procédures, estime le comité villageois. « On résout les problèmes des sinistrés, mais on en crée d’autres pour nous. Sans herbage, pas de vaches, donc pas de viande et pas de lait ! », s’exclame Jean-Baptiste Maliru.

Ce conflit foncier est loin d’être le seul dans la région et plus largement en RDC. Partout dans le pays, le même scénario d’accaparement des terres se répète. A tel point qu’en mars 2019, l’Etat congolais a mis en place une commission baptisée « Etienne-Tshisekedi » (le père de l’actuel président, Félix Tshisekedi), chargée de recenser tous les cas où des citoyens ont été délogés de force ou privés de leurs parcelles, afin de mettre fin à ces spoliations. Pourtant, ce fléau persiste.

« Le plus grand spoliateur, c’est l’Etat lui-même ! », accuse Jean-Claude Mambo Kawaya, président de la société civile du territoire de Nyiragongo, un regroupement d’associations citoyennes. Depuis plus de cinq ans, il examine les plaintes de ses concitoyens. Mais il n’a jamais remporté un seul combat. Malgré la raréfaction des espaces agricoles, « des politiciens, des généraux ou de riches opérateurs économiques » réussissent encore à s’en procurer. « Et si quelqu’un conteste la propriété de ces nouveaux venus, ils arrivent à fournir des papiers qui viennent des autorités provinciales ou de Kinshasa », explique le militant dans son bureau construit en planches de bois, éclairé à la lampe torche faute d’électricité.

Plus de 1 000 habitants par kilomètre carré

Deux systèmes juridiques s’opposent : l’un, moderne, s’appuie sur des documents officiels émanant des administrations centrales ou locales ; l’autre, coutumier, repose sur la parole des communautés. En conséquence, les recours en justice n’aboutissent pas, même quand les affrontements sont meurtriers. « Ils font partie de notre quotidien », explique le commissaire Jean-Marie Malossa. Depuis qu’il est devenu administrateur adjoint du territoire, il a renforcé la sécurité de son poste de police. Sa kalachnikov derrière lui et son arme de poing posée près de son képi, il reconnaît que certains lopins ont été usurpés. « Mais nous avons lancé une procédure pour les répertorier et les récupérer », assure-t-il.

En attendant, la lente disparition des terres pourrait mettre en péril les métiers d’éleveur et d’agriculteur. Et, partant, accroître l’insécurité dans la zone. « Sans emploi, les jeunes chômeurs pourraient eux aussi se constituer en milices rebelles », prévient l’un des doyens du village de Munigi. La violence exercée par les groupes armés dans l’est du pays depuis plus de vingt ans a poussé des centaines de milliers de personnes à fuir leur village et à se réinstaller à proximité de la ville de Goma. En 2016, on y comptait plus de 1 000 habitants au kilomètre carré, un chiffre plus de vingt fois supérieur à la moyenne nationale, selon un document officiel du gouvernement provincial du Nord-Kivu.

La pression démographique ne cesse de s’accroître dans ce district coincé entre le Rwanda à l’est, le parc national des Virunga à l’ouest et le volcan au nord. Le Nyiragongo est pourtant l’un des plus dangereux d’Afrique et pourrait de nouveau surprendre la population avec une nouvelle éruption, explique Albert Muhindo, le directeur de l’Observatoire volcanologique de Goma : « Quand nous vivons ici, nous sommes forcés d’accepter de subir ce genre de pression. »

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